Affreux aphrodisiaques
Les fraises au chocolat, c’est pour les petits joueurs. En France comme ailleurs, les recettes traditionnelles d’excitants sexuels sont souvent bien plus évocatrices. Vous reprendrez bien un peu de verge de bélier avec vos couilles de lapin ?
Les aphrodisiaques ne sont plus ce qu’ils étaient. Si l’on retient aujourd’hui les supposées vertus affriolantes de quelques produits effectivement stimulants, du gingembre au cacao, les aphrodisiaques traditionnels français sont globalement tombés dans l’oubli. Ouvrez un grimoire, comme le Petit Albert1, et vous trouverez des recettes étranges, à base de couillons de lapin, de verge de loup (fraîche, précise-t-on, si vous aviez un doute), ou une pommade à l’oing de jeune bouc, ambre gris et civette dont « on frotte le gland » et, surprise, « cela produit un chatouillement qui donne un merveilleux plaisir à la femme dans l’action du coït ». Si cet ouvrage, imprimé pour la première fois en 1668, n’est sans doute qu’une forgerie de cette époque, il a au moins le bon goût d’évoquer à maintes reprises le désir et le plaisir féminin, c’est déjà ça. Et nombre de baumes et potions qu’on y trouve ont des éléments communs avec une pharmacopée ancienne qui, contrairement à la nôtre, n’a pas disparu à l’époque moderne : celle de la Chine.
Chez nous, il ne reste rien ou presque des anciens remèdes : ils ont été rejetés par l’Église, qui y voyait de la sorcellerie, puis le motif religieux a lui-même été largement écrasé par la pensée scientifique. On a donc enfoui tout cela sous plusieurs couches de censure ou de mépris historique. Plus personne en France ne croit aux vertus aphrodisiaques des testicules de jars ou du front de poulain, que recommandait le Petit Albert. La médecine traditionnelle chinoise n’a, quant à elle, pas subi de censure et continue à être pratiquée en parallèle à la médecine moderne. Le viagra n’empêche pas la consommation de pénis de tigre, et inversement. Parmi les produits censés traiter l’impuissance ou donner plus de vigueur sexuelle, on retrouve dans toutes les cultures des aliments aux formes phalliques, des asperges aux gousses de pois mascate, ou des organes prélevés sur des animaux rares, chers et dotés d’une symbolique magique ou évoquant puissance et virilité.
Faire sienne la virilité du buffle
Si moult peuples ont cru et croient encore aux vertus aphrodisiaques de nombreuses plantes et épices, du ginseng à la sarriette, les verges et testicules restent les grands favoris parmi les excitants sexuels. L’idée de base se comprend aisément : c’est celle du transfert des propriétés d’un organe à celui qui le mange, comme si l’on faisait sienne la virilité du buffle, du cerf ou de la tortue – des animaux aux parties génitales prisées par la pharmacopée chinoise.
En France toutefois, cette idée s’est perdue, et la préparation de ces organes aussi. Laëtitia Visse, cheffe du restaurant La Femme du boucher, à Marseille, et autrice du livre Les Couilles, dix façons de les préparer2, attire des gourmands qui viennent de loin pour goûter à ses précieuses d’agneau, un mets devenu quasi introuvable dans la restauration. Il y a les amateurs, les amatrices et les novices, mais personne ne semble prêter attention aux vertus aphrodisiaques du plat. « Certains ont des questions, mais sont un peu gênés. On a des clients, comme des ados, qui rougissent et se cachent la tête dans les mains à l’idée de parler de roupettes. » Ça aussi, c’est l’effet de la censure. Un Chinois pourra vous parler de couilles en vous regardant droit dans les yeux, sans glousser. Tout ça pour un produit en réalité très facile à manger, très bon marché et délicieux, explique Laëtitia. « La texture est fine, absolument pas spongieuse ou caoutchouteuse, le goût n’est pas fort du tout. Je dirais qu’on est quelque part entre la viande de poulet et les ris de veau. »
Introuvables verges
Avec un peu d’efforts, les délicates valseuses d’agneau se dénichent dans le commerce, comme celles de coq, qu’on appelle rognons (on parle d’ailleurs souvent de rognons blancs pour les testicules d’agneau). Celles de taurillon peuvent être plus difficiles à dégoter, et les autres (d’âne, de cheval, de porc, etc.) sont carrément introuvables. Même histoire pour les verges, alors qu’on en achète sans problème en Jamaïque et qu’on en trouve de toute sorte, séchées ou fraîches, en Chine ou au Vietnam.
Je demande au boucher de Laëtitia, le fabuleux Jean Denaux, à Sens, précurseur des maturations longues en France et qui fournit principalement des chef·fes, pourquoi certains testicules et toutes les verges sont introuvables dans l’Hexagone. L’absence d’un produit est souvent le signe d’un angle mort culinaire, et donc complexe à expliquer, même pour un puits de science. Il interroge à son tour son abattoir, et me donne des éléments de réponse variés. Il y a le problème du bien-être animal – pas question d’estropier ou de faire souffrir les bêtes, et les techniques de castration actuelles ne permettent généralement pas de récupérer des roubignoles comestibles –, ceux du type d’élevage et de l’âge des animaux entiers au moment de l’abattage – plus ils sont vieux, plus les organes sont raides et ont des arômes forts, pas forcément plaisants –, et surtout un manque d’intérêt pour certains morceaux en cuisine – sans demande, pas étonnant qu’il n’y ait pas d’offre. Et pour ce qui est de leurs vertus aphrodisiaques ? « C’est surtout dans l’évocation que ça se passe, répond-il. Cette mythologie a tendance à amuser, aujourd’hui, elle ne relève plus de la croyance. » Chez nous, du moins. Mais si ça vous tente, Causette vous propose deux recettes d’ailleurs (p. 20-21), censées stimuler l’appétit sexuel.
1. Consultable sur le site Twilit Grotto, www.esotericarchives.com/solomon/petitalb.htm.
2. Éditions de l’Épure, 2020, 24 pages.