Faites du bruit !
Un autre phénomène étonnant autour de la nourriture s’est développé depuis quelques années sur YouTube, notamment en Corée du Sud. Il s’agit du Mukbang : se filmer et s’enregistrer en train de manger de grandes quantités de nourriture, en insistant bien sur les bruits de mastication, de succion, de déglutition… Au pays du Matin-Frais, le nombre d’adeptes est tel que certaines personnes pratiquant le Mukbang sont devenues célèbres et proposent des lives interactifs dans lesquels elles ingurgitent des monceaux d’aliments tout en répondant aux questions de leurs milliers d’abonné·es. D’autres se contentent de manger en faisant beaucoup de bruit et en filmant les plats en gros plan. Sur YouTube, on peut ainsi regarder la chaîne Ssoyoung (5,2 millions d’abonné·es), sur laquelle sa créatrice avale de gigantesques fruits de mer en mâchant bruyamment, ou celle de Sulgi (4,7 millions d’abonné·es), qui cuisine et engloutit des plats de poulet frit tout en murmurant des commentaires.
Du sexe dans les chips
Une pratique qui ne revêt pas, en théorie, de dimension sexuelle et qui est souvent rattachée à l’ASMR, un procédé de relaxation fondé sur l’écoute de voix douces, de chuchotements et de certains bruits. Selon des stars coréennes du Mukbang interrogées dans la presse, certain·es de leurs fidèles font aussi des régimes et trouvent du réconfort à regarder une personne manger des ingrédients gras. D’autres se connectent pour combler la solitude à l’heure des repas. Cette activité peut tout de même ravir certain·es fétichistes. « Tous les fantasmes sont liés, dans le sens où ils reposent sur le “franchissement des limites”. Pour les adeptes de l’ASMR, il est possible de jouir avec l’oreille, ou plutôt avec le cerveau, en faisant autre chose que ce à quoi nos sociétés occidentales modernes ont réduit le plaisir : la pénétration génitale. Ils montrent qu’on peut jouir sans sexe, ou plutôt qu’on peut mettre du sexe partout, y compris dans des actes a priori anodins tels que croquer des Mentos ou manger des chips », analyse l’anthropologue
Agnès Giard. Le phénomène a gagné les États-Unis et a inspiré quelques pionniers en Europe. En France, Tina ASMR propose des vidéos dans lesquelles elle chuchote des mots relaxants et mange des pâtes ou des choses sucrées. Selon elle, ce n’est en aucun cas une forme de fétichisme. « Beaucoup relient l’ASMR au sexe, alors que ce n’est pas du tout comparable. L’ASMR est une technique pour détendre, relaxer, voire endormir les personnes qui ont des soucis de stress. Pour moi, cela passe par des sons, d’objets, de chuchotements, ou encore des bruits de bouche, entre autres, explique-t-elle. Nous prenons plaisir à écouter certains sons, car ils nous apaisent, nous permettent de penser à autre chose qu’à nos problèmes. »