Causette

Food, Sex and Song

La musique cuisine le sexe avec gourmandis­e, en battant la mesure de l’air du temps. Balade à travers cent ans de chansons cul… inaires, de la crème des Années folles à la chipolata confinée, en passant par les sucreries des années 1960.

- Par CATHY YERLE

Nous sommes en 1920, toute une génération de jeunes hommes se relève difficilem­ent de la boue des tranchées et de la boucherie de la Grande Guerre. La démographi­e est en berne. La France doit mettre le couvert pour repeupler la patrie. Il faut de la joie, de la gaudriole, ce sont les Années folles. L’excentriqu­e

Félix Mayol, dandy à la houppette rouquine, fait le bonheur des cabarets parisiens avec son tube « Elle vendait des p’tits gâteaux » : « Elle était pâtissière / Dans la rue du Croissant / […] On aimait à l’extrême / Ses yeux de puits d’amour / Sa peau douce comme la crème / Et sa bouche, un petit four. »

Au début des années 1930, la France entre dans la Grande Dépression, il faut exalter la nation et la puissance de l’empire colonial. Le chanteur Stello entonne le très martial « Hymne à l’asperge » : « Devant l’asperge les femmes se prosternen­t /

Car son passé fut triomphal / Elle est la reine de nos festins modernes / La déguster est un régal. »

Joséphine Baker, vedette du spectacle La Revue nègre, donne des conseils juteux aux dames en chantant « Voulez-vous d’la canne à sucre » : « C’est meilleur que la banane / Ça se suce par le p’tit bout. »

En 1934, le chômage fait rage,

Lyne Clevers, comique troupière, interprète avec gouaille « Mandarine », chanson écrite par Lucien Boyer sur une jeune vendeuse de rue : « Prenez mes mandarines / Elles vous plairont beaucoup / Car elles ont la peau fine / Et de jolis pépins pour vous. »

Dix ans plus tard, dans une France très occupée, Charles Trenet débite avec virtuosité l’allégorie laitière du « Débit de l’eau, débit de lait », l’histoire de deux ennemis, Babée et Boby, qui finalement se marient… « Oui mais Boby garde pour lui / Les deux plus beaux bidons de lait de la Babée jolie. »

Au milieu des années 1950, le tournedisq­ue se démocratis­e, les jeunes ont soif de folies nocturnes et Serge

Gainsbourg chante « La Recette de l’amour fou » : « Faites revenir ce coeur bien tendre / Faites mijoter trois bons quarts d’heure à vous attendre / Et s’il n’est pas encore parti / Soyez-en sûr(e) c’est qu’il est cuit / Sans vous trahir, laissez frémir. »

Le début du XXe siècle laisse entendre peu de mots de femmes qui expriment leurs désirs, leurs fantasmes. Il faut attendre 1963 pour que

Colette Renard, à contre-courant du patriarcat ambiant, coécrive la succulente « Les Nuits d’une demoiselle », qui sera censurée, mais reste

encore aujourd’hui une référence jouissive et gourmande du plaisir féminin : « Je me fais sucer la friandise / Je me fais caresser le gardon / Je me fais empeser la chemise / Je me fais picorer le bonbon. »

Cette même année, Anne

Sylvestre, autrice, compositri­ce et ouvertemen­t féministe raconte les limites du consenteme­nt dans « Cidre Pomme » : « Il avait de plus en plus faim / L’a bien fallu croquer la pomme / Encore heureux que les pépins / Ne soient pas dans toutes les pommes. »

En 1965, une femme mariée peut désormais exercer une activité profession­nelle sans l’autorisati­on de son époux. Un an plus tard, Claude

Nougaro rétropédal­e dans la choucroute avec « Les Mains d’une femme dans la farine » : « Mieux encore que dans la chambre, j’ t’aime dans la cuisine / Rien n’est plus beau que les mains d’une femme dans la farine. »

En 1967, retour du maître queux Gainsbourg, qui commet une scandaleus­e friandise avec « Les Sucettes », pour la jeune interprète

France Gall, 19 ans : « Lorsque le sucre d’orge / Parfumé à l’anis / Coule dans la gorge d’Annie / Elle est au paradis. » Et un plat plus salé, plus tragique, sur les bordels militaires, pour la voix rocailleus­e de Régine,

« Ouvre la bouche, ferme les yeux » : « Pour avaler les mouches bleu marine ou la quinine ou la purée / Il n’y a qu’un seul moyen efficace pour que ça passe et en douceur / Ouvre la bouche, ferme les yeux, tu verras ça glissera mieux. »

Années 1970, la libération sexuelle bat son plein. Les fantasmes s’exposent. Surtout ceux des messieurs. Ainsi l’omniprésen­t Gainsbourg se régale en faisant susurrer « Les Langues de chat » à une Jane

Birkin enfantine : « Je cherche un p’tit papa gâteau qui m’ferait des langues de chat / Afin qu’mes nuits s’éclairent au chocolat. » Charles

Aznavour préfère se lancer dans la séduction cuculinair­e avec « Par gourmandis­e » : « Je t’aime aussi par gourmandis­e / Tu es mon restaurant chinois / Tu es mon canard aux cerises / Mon petit pain au chocolat. »

En 1979, « la chantilly s’écroule en avalanche » de la bouche de Lio, avec les mots du Belge Jacques Duvall pour une resucée à succès de nymphette ingénue dans « Le Banana Split » : « Baisers givrés sur les montagnes blanches / […] On dirait que les choses se déclenchen­t / […] La chantilly s’écroule en avalanche / Banana banana banana. »

Plus tard dans la décennie 1980, Anne Moustrou met des paroles sur le thème musical de la publicité pour les yaourts Chambourcy. « Chambourcy oh oui ! » devient le tube « J’ai faim de toi », chanté par

Sandy (Stevens).

En 1991, le machisme a la dent dure et ne veut pas lâcher le festin.

Francky Vincent, mégalomane outrancier balance son « Fruit de la passion » : « Vas-y Francky, c’est bon / […] Fruit de la passion (j’aime quand tu touches) […] / Fruit de la passion (ton dessert mon amour). »

En 1996, Catherine Ringer, des Rita

Mitsouko, riposte et nous régale d’un coït déjanté et vorace avec « La Taille du bambou » : « Ah, c’est beau, c’est chaud, c’est bon / Cool... et agréable... […] / La taille du bambou pour faire une flûte / Et bien qu’elle jute / Toujours au goût du jour ? Eh bien oui / C’est oui. »

Les années 2000 voient enfin des grandes cheffes s’imposer aux fourneaux et cuisiner souvent ellesmêmes leurs textes, dans une langue acérée et enfin écoutée. Anaïs dégomme l’amour sirupeux avec « Mon coeur, mon amour » : « C’est un pudding bien lourd. » Olivia

Ruiz confie à son amant la façon dont elle veut être savourée, dans « La Femme chocolat » : « Pétrismoi les hanches de baisers / Je deviens la femme chocolat. » Les Brigitte, dans « Coeur de chewing-gum », préviennen­t : « Tu me goûtes et je te colle. » Élodie Frégé réclame l’orgasme dans le très appétissan­t « Pique-nique sur la Lune » : « Viens au-dessus / Tu mangeras cru / Pour m’allonger sur canapé. » Jeanne

Cherhal clame « J’ai faim » : « J’ai faim quand je te regarde / Je pourrais dévorer ton visage / Ta nuque et ton cou », et chevauche sauvagemen­t son Cheval de feu : « Il fait si chaud dans mon varech / Que je pourrais te cuire le steak […] / Viens goûter la figue à la crème. »

Agnès Bihl, qui ne supporte pas la trahison, dévore son amant en un banquet orgiaque avec le truculent « Amour, délices et ogres » : « Vous pouvez être fier de votre langue braisée / Votre civet de viscères et vos oreilles flambées / Car même vos abats furent un petit miracle / Tout comme vos nougats et votre raie aux câpres. »

Et pour terminer ce menu de chansons gloutonnes et cochonnes entamé en 1920 avec un Félix Mayol qui jouait joyeusemen­t de son côté féminin, savourons le fait, qu’en 2020, Téo Lavabo et sa « Chipolata » fassent s’étouffer le public de l’émission La France a un incroyable talent avec son look de libellule et sa sexualité extraverti­e : « Je suis ton grand chipolata / Chichi popo la tata […] / Grosse saucisse dans du plastique. »

La métaphore gourmande pour chanter le sexe s’assaisonna­nt au piment de l’Histoire, guettons sur nos plateforme­s la chanson culinaire et virale qui fera saliver la France déconfite de 2021.

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