Causette

Leonarda Cianciulli, la saponifica­trice de Correggio

Cette diseuse de bonne aventure italienne se disait « mamma » avant tout. Jusqu'à en devenir meurtrière, escroc, puis pour se débarrasse­r des corps de ses victimes, cannibale et fabricante d'atroces savonnette­s.

- Par CARINE ROY

Un nom qui claque, Leonarda Cianciulli… celui d’une star de cinéma italienne ou d’une chanteuse lyrique ? Ni l’un ni l’autre, ce n’est pas pour ses talents d’artiste que cette femme a fait la Une des tabloïds en 1946. Leonarda Cianciulli est une tueuse multirécid­iviste dont le cynisme se révélera terrifiant. Nous sommes en 1939 lorsqu’elle apprend que son fils aîné et préféré Giuseppe doit rejoindre l’armée italienne qui se prépare à entrer en guerre. Pour qu’il évite le champ de bataille, Leonarda est prête à tout. Son plan ? Faire accuser son fils de crimes pour qu’il soit emprisonné. Loin du front. Leonarda est diseuse de bonne aventure. Elle vit à Correggio, une commune du nord de l’Italie. Elle est très populaire et

respectée dans son quartier. Entre 1939 et 1940, elle élimine pourtant froidement trois clientes célibatair­es et crédules. Faustina Setti, Francesca Soavi et Virginia Cacioppo sont venues la consulter afin de connaître leur avenir. Il sera très réduit.

Pour éviter qu’on ne la suspecte, Leonarda use de fins stratagème­s. Sa première victime, Faustina, vient la voir pour trouver un mari. Leonarda lui trouve un fiancé potentiel, qui vit à Pola. Faustina devra s’y installer pour le rencontrer, mais pour que la magie opère, le voyage devra rester secret. La future fiancée a vendu ses biens et préparé à l’avance des lettres qui devront être envoyées à sa famille. Elle fait de Leonarda, sa chère amie, la bénéficiai­re de son assurance-vie. Lorsqu’elle passe lui dire au revoir, celle-ci l’attend avec une hache. L’ayant trucidée, elle coupe son corps en morceaux et recueille son sang dans une bassine.

Minutieuse préméditat­ion

Elle racontera plus tard :

« J’ai jeté les morceaux dans un pot, j’ai ajouté sept kilos de soude caustique, que j’avais achetée pour faire du savon, et j’ai remué le tout jusqu’à ce que les morceaux se dissolvent en une épaisse bouillie sombre que j’ai versée dans plusieurs seaux et vidée dans une fosse septique voisine. Quant au sang dans le bassin, j’ai attendu qu’il coagule, je l’ai séché au four, moulu et mélangé avec de la farine, du sucre, du chocolat, du lait et des oeufs, ainsi qu’un peu de margarine, en pétrissant tous les ingrédient­s ensemble. J’en ai fait beaucoup de gâteaux croquants que j’ai servis avec du thé aux dames qui sont venues nous rendre visite. J’en ai aussi mangé avec mon fils Giuseppe*. »

Sa deuxième victime subit le même sort. Cette fois, Leonarda a trouvé pour la naïve Francesca Soavi un emploi bien payé dans une école de Plaisance, à 100 kilomètres. Au passage, elle prend 3000 lires pour service rendu. Sa troisième proie,

Virginia Cacioppo, est une ancienne soprano. Leonarda lui promet un poste de secrétaire pour un imprésario à Florence. Elle lui soutire 50000 lires et lui subtilise également des bijoux. Cette fois-ci, pour faire disparaîtr­e le corps, Leonarda innove. « Elle s’est retrouvée dans la marmite, comme les deux autres… sa chair était grasse et blanche. Quand elle a fondu avec la soude caustique, j’ai ajouté une bouteille d’eau de Cologne, et après une longue période à ébullition, j’ai pu faire du bon savon que j’ai donné à des amis et à des voisins*. » Fabricatio­n qui lui vaut son surnom : « La Saponifica­trice de Correggio ». Mais avant qu’elle ne disparaiss­e, Virginia a été vue par sa soeur entrant chez la diseuse de bonne aventure. Une enquête est ouverte. Suspectée, arrêtée, Leonarda accuse son fils qui ne sera

“Quand sa chair a fondu avec la soude caustique, j’ai ajouté une bouteille d’eau de Cologne”

Leonarda Cianciulli

condamné qu’à cinq ans d’incarcérat­ion, faute de preuves. Il passe ainsi toute la guerre en prison. Le subterfuge diabolique de sa mère a finalement réussi. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle revient sur son témoignage en s’accusant et innocente Giuseppe.

En 1946, elle est condamnée à trente ans de prison dont trois d’internemen­t dans un hôpital psychiatri­que. Sur les photos d’époque et dans le court métrage documentai­re de Luigi Comencini, L’hôpital du crime, tourné en 1950, elle apparaît dans sa cellule. Chemisier à collerette blanche, cheveux tirés en arrière, une image pieuse près de son lit. Une mère pleine de dévotion. Le 15 octobre 1970, elle meurt à 76 ans d’une apoplexie cérébrale. Ses haches, la scie et la bassine ayant servi à faire fondre ses victimes sont conservées au musée criminel de Rome.

Délire criminel

« C’était une personnali­té extrêmemen­t perturbée, cupide et manipulatr­ice.

Elle était attirée par les sciences occultes. Elle a ellemême consulté plus jeune une voyante qui lui a prédit : “Dans ta main droite, je vois la prison. Dans ta main gauche, un asile.” Elle était convaincue que le sacrifice humain pouvait sauver son fils », décrypte la psycho-criminolog­ue Michèle Agrapart.

Leonarda a subi de nombreux traumatism­es. Née le 14 avril 1894 à Montella, dans le sud de l’Italie, elle est la petite dernière d’une famille de six enfants. Elle raconte qu’elle a tenté, très jeune, de se suicider à deux reprises, car elle est une enfant non désirée et souffre déjà de dépression. En 1917, elle épouse à 23 ans l’officier d’état civil Raffaele Pansardi contre l’avis de ses parents. Superstiti­euse, elle affirmera lors de son procès que sa mère l’avait maudite. Elle tombe enceinte dix-sept fois, subit trois fausses couches et dix de ses enfants meurent au berceau. « Elle va protéger ses quatre enfants survivants coûte que coûte. L’idée que son fils aîné perde la vie au front la terrifie, ce qui provoquera son délire criminel », ajoute Michèle Agrapart.

Cette tueuse cannibale glace d’effroi, et encore aujourd’hui son rituel d’éliminatio­n, qui s’apparente à de la magie noire, laisse libre cours à beaucoup d’affabulati­ons sur de nombreux sites Internet. Leonarda Cianciulli est un personnage populaire en Italie. Son histoire a été librement transposée au cinéma par Mauro Bolognini dans son film Gran Bollito (Grande bouillie) avec Shelley Winters en 1977. Elle a aussi fait les beaux soirs de Broadway en 1983 grâce à la pièce tragico-comique Love and Magic in Mama’s Kitchen.

Durant ses vingt-quatre ans d’emprisonne­ment, la Saponifica­trice de Correggio a mené une vie tranquille entre les visites de ses enfants, la lecture, le tricot et la confection de biscuits. On se demande qui osait en manger.

U* Extraits de sa déposition judiciaire et des mémoires de Leonarda Cianciulli.

“C’était une personnali­té extrêmemen­t perturbée, cupide et manipulatr­ice”

Michèle Agrapart, psycho-criminolog­ue

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Leonarda Cianciulli lors d'un interrogat­oire. Ayant d'abord accusé son fils, qui est envoyé en prison, elle passe aux aveux une fois la guerre terminée.
 ??  ?? Au musée criminolog­ique de Rome sont exposés les portraits de Leonarda Cianciulli (en haut), celui de ses trois victimes, ainsi que les outils lui ayant servi à faire disparaîtr­e les corps.
Au musée criminolog­ique de Rome sont exposés les portraits de Leonarda Cianciulli (en haut), celui de ses trois victimes, ainsi que les outils lui ayant servi à faire disparaîtr­e les corps.

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