Irma Grese, dans l’antre de la bête
Parmi les tortionnaires nazi·es ayant sévi dans les camps de concentration et d’extermination, la surveillante Irma Grese est restée dans les mémoires pour son sadisme et sa cruauté sans limites à l’encontre de prisonnières déportées.
Dans l’après-midi du 15 avril 1945, les premiers éléments de la 11e Division armée britannique pénètrent le camp de concentration de Bergen-Belsen, dans le nord de l’Allemagne. Là, entre les baraquements, les soldats anglais découvrent toute l’horreur de la « solution finale » : des montagnes de cadavres à l’air libre et quelques milliers de prisonnier·ères décharné·es, encore détenu·es par une poignée de gardien·nes SS 1. Parmi ces dernier·ères, qui n’ont pas fui devant l’arrivée des troupes alliées, se trouve une
Allemande de 22 ans, blonde aux yeux bleus, Irma Grese, tristement connue sous les pseudonymes : « la Bête de Belsen », « la Hyène d’Auschwitz », « l’Ange blond de la mort ».
Ces effroyables surnoms, Irma Grese les a glanés au cours de sa carrière de surveillante en chef dans les camps de concentration nazis. De Ravensbrück à Bergen-Belsen, en passant par Auschwitz, l’Allemande s’est forgé – comme d’autres femmes – une réputation de bourreau implacable. On oublie souvent qu’à
compter de l’ouverture du premier camp en 1933, de nombreuses Allemandes ont pris pleinement part à l’entreprise nazie. Encouragées par ces nouvelles carrières potentielles, elles furent ainsi plus de 30000 à rejoindre l’organisation de la SS. Si beaucoup sont restées de simples gratte-papier, certaines ont participé même activement à la machine exterminatrice, de par leur engagement et leur cruauté. Irma Grese a été de celles-là.
Issue d’une famille modeste d’ouvriers agricoles, Irma vit une enfance ordinaire jusqu’en 1936, lorsque sa mère Berthe, brisée par les infidélités répétées de son époux, se suicide. Elle avale de l’acide chlorydrique sous les yeux de sa fille. « [Cette tragédie familiale] n’aida pas Irma Grese à trouver un épanouissement personnel alors qu’elle était déjà une enfant plutôt renfermée, qui éprouvait beaucoup de difficultés à aller vers les autres », écrit Didier Chauvet dans Irma Grese et le procès de Belsen 2, seul ouvrage français qui lui est consacré.
Embrigadée dans les jeunesses nazies
En effet, deux ans plus tard, la jeune fille quitte les bancs de l’école pour rejoindre ceux de la Ligue des jeunes filles allemandes, le pendant féminin des Jeunesses hitlériennes, qui embrigadent les enfants allemands dès le plus jeune âge. Irma a 15 ans. Elle apprend à devenir une bonne épouse, une mère au foyer accomplie au service de la doctrine nazie. Cuisine, dressage de table, couture et chants antisémites exaltant la race aryenne font désormais partie de son quotidien. Avec ses cheveux blonds, sa silhouette sportive et ses grands yeux bleus, Irma Grese correspond effectivement à merveille au fantasme de la beauté aryenne, édicté par Adolf Hitler.
Forte de cet apprentissage patriotique, elle enchaîne les petits boulots. D’une expérience comme aide-soignante dans un hôpital du parti, la jeune fille se découvre une vocation d’infirmière. Mais son
IRMA GRESE EST CONNUE SOUS LES PSEUDONYMES “LA BÊTE DE BELSEN”, “LA HYÈNE D’AUSCHWITZ”, “L’ANGE BLOND DE LA MORT”
bagage scolaire insuffisant brise son rêve, elle est refusée deux fois au concours d’entrée. Résignée, elle saisit donc l’occasion d’entrer dans le camp de Ravensbrück, en 1942, d’autant que le salaire proposé est bien plus élevé que celui d’un travail à l’usine. À tout juste 19 ans, Irma Grese devient l’une des plus jeunes gardiennes de ce camp réservé aux femmes.
« La SS recrute délibérément des jeunes femmes comme Irma, célibataires, sans formation professionnelle et issues des classes populaires parce qu’elles sont plus malléables »,
précise Elissa Mailänder, historienne et professeure au centre d’histoire de Sciences Po.
En quelques jours seulement, la jeune fille introvertie, qui rêvait de soigner, devient une surveillante brutale, impitoyable, véritable rouage de la machine nazie qui coûtera la vie à des dizaines de milliers de prisonnières. « Les débutantes avaient l’air généralement effarées à leur premier contact avec le camp, et elles mettaient quelque temps avant d’atteindre le même niveau de cruauté que les anciennes. […] Il a fallu exactement quatre jours avant qu’[Irma Grese] ne prît ce même ton.
[…] Cette petite était sans doute particulièrement douée dans ce registre spécial », témoigne la résistante panthéonisée Germaine Tillion dans son autobiographie
Ravensbrück 3, publiée en 2015.
Pendue pour crimes de guerre
Rapidement, la garde-chiourme zélée grimpe les échelons. Elle est mutée en 1943 au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Dans ce lieu où la mort rôde en terrain conquis, Irma Grese, qui n’a pas encore 20 ans, applique à son travail un degré supérieur de violence et de sadisme. Là-bas, elle est chargée de superviser 30000 prisonnières, essentiellement des juives hongroises et polonaises. Si, officiellement, elle n’a pas le droit de vie ou de mort sur elles, elle use du pouvoir de son uniforme pour faire régner la terreur. Toute la journée, elle n’hésite pas à insulter, gifler et fouetter les prisonnières, sans raison. Mais aussi à piétiner avec ses lourdes bottes celles qui s’effondrent, épuisées. « Les surveillantes s’ennuient dans les camps, précise Elissa Mailänder.
Et c’est justement parce qu’elles s’ennuient que beaucoup se sont mises à user de violences envers les détenues. »
La perversité d’Irma Grese se déploie d’ailleurs dès « la sélection ». Toutes les semaines, des convois de wagons à bestiaux arrivent de toute l’Europe et déchargent des milliers de déporté·es à l’entrée du camp d’Auschwitz, surmontée de la sinistre bannière :
« Le travail rend libre ». La jeune femme est chargée, comme d’autres surveillant·es, de sélectionner ceux et celles qui seront envoyé·es directement aux chambres à gaz. Selon les témoignages de survivant·es, elle prend un soin singulièrement barbare à envoyer à la mort toute personne qu’elle estime plus jolie qu’elle.
Irma Grese a laissé un souvenir inhumain aux survivantes. D’après le récit de la gynécologue juive Gisella Perl, qui travaille à l’infirmerie d’Auschwitz, « la Hyène » va jusqu’à couper les seins des détenues afin qu’elles développent des infections. Une pratique qui, selon Gisella Perl, l’excitait sexuellement. « Il est difficile de déterminer si Irma Grese éprouvait effectivement un plaisir sexuel à faire et voir souffrir les détenues, nuance Elissa Mailänder. Néanmoins, il est sûr qu’elle devait ressentir une certaine jouissance par son pouvoir. »
La violence d’Irma Grese atteint son apogée à la fin de son atroce carrière, lorsqu’elle est envoyée au camp de Bergen-Belsen en mars 1945. Sa spécialité est alors de lancer des chiens affamés sur des prisonnières sans défense. Elle aurait, selon des témoignages, également inventé une méthode de torture particulièrement sadique, qui consiste à lier les jambes des femmes prêtes à accoucher et assister à la lente agonie du bébé.
Arrêtée par les soldats anglais un mois seulement après son arrivée, « la Bête de Belsen » est jugée avec d’autres responsables du camp en 1945 lors du premier grand procès d’après-guerre. Irma plaide non coupable. Jusqu’à la fin, elle niera avoir commis des actes de sadisme, tout en affirmant que « c’était [notre] devoir d’exterminer les éléments antisociaux afin d’assurer l’avenir de l’Allemagne », comme le rapporte Didier Chauvet. Irma Grese est condamnée à la pendaison pour crimes de guerre. À l’annonce du verdict, elle ne montre aucune émotion. Le 13 décembre 1945, sur l’échafaud, « la Hyène d’Auschwitz » lance même à son bourreau : « Schnell ! » (« Vite ! »)
1. La SS (Schutzstaffel) est une organisation paramilitaire et l’une des principales du régime national-socialiste.
2. Irma Grese et le procès de Belsen. Une surveillante SS des camps de concentration condamnée à mort, de Didier Chauvet. Éd L’Harmattan, 2017.
3. Ravensbrück, de Germaine Tillion. Éd. Points, 3e édition, 2015.
ELLE PREND UN SOIN SINGULIÈREMENT BARBARE À ENVOYER À LA MORT TOUTE PERSONNE QU’ELLE ESTIME PLUS JOLIE QU’ELLE