Causette

Valérie Subra, l’appât

- Par ADÉLAÏDE TENAGLIA

“C’est une femme fatale, dans les deux sens du terme et c’est ce qui fascine”

Fanny Bugnon, maîtresse de conférence­s en histoire et études de genre à l’université Rennes 2

Elle n’est pas le cerveau du trio et n’a pas de sang sur les mains. Pourtant, des trois jeunes gens dont s’ouvre le procès aux assises en janvier 1988, c’est Valérie Subra qui marquera le jury et l’opinion publique.

La photo s’affiche en couverture de Paris Match. Une jeune femme pose, cheveux et T-shirt blanc mouillés, à la plage. Joues rondes et menton baissé, elle lève des yeux insolents vers l’objectif. Cette jeune fille, c’est Valérie Subra. Nous sommes au début de janvier 1988. Une semaine plus tard, elle doit comparaîtr­e aux assises de Paris. Elle est impliquée dans les meurtres de deux hommes et Paris Match titre « Valérie la diabolique ». Elle ne sera pas seule sur le banc des accusés, deux jeunes hommes vont comparaîtr­e avec elle. Mais comme souvent quand une femme est impliquée dans un crime, l’attention se focalise sur elle. Au tribunal, c’est elle que le public vient voir. Dans la presse, c’est elle qui donne son nom à la procédure. « Le procès Valérie Subra » deviendra bientôt, en 1990, L’Appât sous la plume du romancier Morgan Sportès*, adapté au cinéma par Bertrand Tavernier en 1995. Pendant toute la durée du procès, elle va subir le sexisme de l’opinion publique, des médias et même de la cour.

Deux meurtres pour un maigre butin

« L’appât », c’est en effet le rôle qu’a joué Valérie Subra. À l’automne 1984, elle a 18 ans. Elle est vendeuse dans une boutique de prêt-à-porter dans le Sentier, à Paris. Elle vit chez sa mère mais rêve de luxe, de paillettes, de tapis rouge et de cinéma. Le soir, elle fréquente les clubs des Champs-Élysées où se croisent de jeunes femmes et des hommes fortunés. Elle rencontre Laurent Hattab en septembre. Ce fils à papa roule en Alpha Romeo et l’emmène en week-end à Deauville.

La fête, l’alcool, la nuit… bientôt, cela ne leur suffit plus, ils fantasment sur un avenir doré aux États-Unis. Pour cela, ils calculent qu’il leur faut dix millions de francs. Alors avec un troisième acolyte, Jean-Rémi Sarraud, ils montent un plan.

Valérie doit séduire des hommes riches, ceux qu’elle croise dans les clubs des Champs-Élysées, et se faire inviter chez eux. Une fois sur place, elle permettra à ses complices de s’introduire dans l’appartemen­t pour extorquer de l’argent à la victime.

Dans les faits, rien ne se déroule comme prévu. Par deux fois, Laurent et Jean-Rémi vont devoir tuer. Après avoir ligoté, bâillonné et frappé leurs victimes, ils les achèvent. Coups de couteau pour le premier, coupe-papier dans le coeur pour le second. Le tout pour un maigre butin : 13000 francs en liquide et quelques bijoux. Ils sont interpellé­s juste avant de commettre leur troisième braquage. Devant la police, Valérie reconnaît les faits et se présente comme « simple complice ».

Quand le procès s’ouvre, quatre ans plus tard, elle est devenue l’attraction principale de l’affaire. La presse se focalise sur son physique et l’affuble de toutes sortes de surnoms. « Nymphette enjôleuse » et « mante religieuse » dans Le Monde, « la soubrette » dans L’Humanité, « la dragueuse diabolique » dans Paris Match. L’article est illustré par des photos de vacances de la jeune femme, provocante­s. Elles datent de 1983, Valérie n’avait que 17 ans. Son

T-shirt détrempé dévoile sa poitrine en pleine page. Un procédé systématiq­ue quand les femmes sont accusées, selon Fanny Bugnon, maîtresse de conférence­s en histoire et études de genre à l’université Rennes 2. « Depuis le Moyen Âge, dans tout type d’affaires criminelle­s impliquant des femmes, on se focalise sur leurs corps et leur sexualité. Dans la presse, on lit des commentair­es sur la couleur de leurs yeux, leur coiffure, leur manière de se tenir et de s’habiller. » De fait, si les complices de Valérie Subra sont aussi présents dans les journaux, on se passe de commentair­es sur leur physique.

Dans les faits, Valérie n’a pas tué, elle n’est pas le cerveau du groupe. C’est son compagnon, Laurent Hattab, qui a monté le coup. La possibilit­é de tuer a été évoquée entre les trois complices, mais sans y croire vraiment. Et c’est encore Laurent qui décide de passer à l’acte le moment venu. Un traitement sexiste classique de cette histoire aurait pu conduire à la déresponsa­bilisation de la jeune femme. Elle aurait facilement coché la case de la jeune femme poussée à agir par amour, sous l’influence de son amant. La justice et l’opinion publique auraient pu minimiser sa participat­ion. C’est pourtant l’inverse qui se produit.

Déchaîneme­nt de l’avocat général

Dans les médias, Valérie est décrite comme le cerveau diabolique du trio, l’instigatri­ce des meurtres. Aux yeux des parties civiles, elle est plus coupable que les autres. Pour l’avocat général, elle est « la plus dangereuse, la plus roublarde ». Car pendant que ses complices commettaie­nt des crimes d’une extrême violence, elle regardait la télé en mangeant des toasts, dans la pièce à côté. Et puis, elle est manifestem­ent motivée par… l’appât du gain.

Au-delà du crime, ce sont les moeurs de la jeune femme que juge le public. Valérie aime séduire et s’est servie de ses atouts pour piéger des hommes.

Valérie doit séduire des hommes riches et se faire inviter chez eux. Mais dans les faits, rien ne se déroule comme prévu

« C’est une femme fatale, dans les deux sens du terme et c’est ce qui fascine », explique Fanny Bugnon. Le dernier jour du procès, lors de son réquisitoi­re, l’avocat général Gérard Guilloux se déchaîne contre Valérie Subra. Les sobriquets fusent : « une âme de cocotte », « une poule », « une cuisinière de la mort ».

Il ne se contente pas de juger les faits, il extrapole sur la personnali­té de l’accusée. « Elle aurait amené ses victimes jusqu’au four crématoire s’il y en avait eu un », ose-t-il. Pour démontrer une filiation dans le vice, il s’en prend à la mère de la jeune femme : « Elle a eu autant d’amants que de domiciles et elle en a eu des variés. » Avant de conclure, au sujet de Valérie : « En prison, il paraît qu’elle se paie du bon temps en se livrant à des parties de jambes en l’air. Elle y restera au maximum dix-huit ans. Dix-huit plus dix-huit égale trente-six. Quand elle sortira, elle sera un peu grillée du côté des Champs-Élysées. Mais elle pourra essayer encore boulevard des Capucines. »

Les trois accusé·es sont condamné·es à la réclusion criminelle à perpétuité avec des peines de sûreté de dix-huit ans pour les garçons – le maximum à l’époque – et seize ans pour Valérie.

En prison, elle n’aura droit à aucune permission de sortie ni remise de peine. Un traitement très dur, rarissime pour une femme détenue en France. Les juré·es ont décidé de retenir le rôle actif de Valérie Subra dans les meurtres. La campagne de diabolisat­ion de la jeune femme a joué son rôle.

* L’Appât, de Morgan Sportès. Éd. Seuil, 1990.

Elle n’aura droit à aucune permission de sortie ni remise de peine, un traitement rarissime pour une femme

 ??  ?? Valérie Subra à 16 ans, en 1982.
Valérie Subra à 16 ans, en 1982.
 ??  ?? Reportage publié le 29 janvier 1988 par Paris Match, qui en a fait également sa Une avec une photo moins suggestive. Valérie Subra à 17 ans, en 1983.
Reportage publié le 29 janvier 1988 par Paris Match, qui en a fait également sa Une avec une photo moins suggestive. Valérie Subra à 17 ans, en 1983.
 ??  ?? De gauche à droite : Valérie Subra, Jean-Rémi Sarraud et Laurent Hattad comparaiss­ent le 8 janvier 1988 devant la cour d’assises de Paris.
De gauche à droite : Valérie Subra, Jean-Rémi Sarraud et Laurent Hattad comparaiss­ent le 8 janvier 1988 devant la cour d’assises de Paris.

Newspapers in French

Newspapers from France