« IL Y A TOUJOURS EU DES FEMMES TERRORISTES »
“Il y a toujours eu des femmes terroristes”
Avant 2016 et l’attentat raté de Notre-Dame de Paris mené par un commando exclusivement féminin, de nombreux stéréotypes étaient attachés aux femmes terroristes dans la société et le monde judiciaire. Ont-ils totalement disparu ? Catherine Ménabé, codirectrice de Femmes, mineurs et terrorisme1, s’interroge sur cette question.
Causette :
Comment définit-on une femme terroriste et pourquoi faut-il la différencier d’une femme radicalisée ?
Catherine Ménabé : Le terrorisme a une définition juridique, il n’y en a pas pour la radicalisation. La radicalisation est une idéologie extrémiste, en soi, il s’agit d’opinions. Mais les personnes radicalisées sont susceptibles d’être dangereuses : peut-être qu’elles commettront un acte terroriste, peut-être que non. Donc on entre là dans le champ du droit pénal, qui essaie d’intervenir de plus en plus tôt sur ce chemin criminel.
Quelle est la part de femmes terroristes en France ?
C. M. : Les statistiques ne sont pas très nettes, on trouve différentes sources. Si on prend l’ensemble des condamnés pour une infraction terroriste, on compte entre 10 et 15 % de femmes en France. C’est intéressant car si on compare ce chiffre à leur part dans la criminalité en général, on est un peu au-delà. Elles représentent à peu près 10 % des condamnés, toutes infractions confondues. On les retrouve plus particulièrement dans les affaires de proxénétisme et de vol. Le terrorisme fait donc partie des infractions pour lesquelles on a une part de femmes un peu plus importante.
Sont-elles moins médiatisées que les hommes ?
C. M. : Non, elles sont tout aussi médiatisées. Tous les attentats ou projets d’attentats le sont. Je pense, par exemple, à la tentative d’attentat à Notre-Dame de Paris en 2016 avec des bonbonnes de gaz, par un groupe de jeunes filles. L’attaque était importante, on a parlé d’elles comme on aurait parlé d’hommes. Mais elles sont moins nombreuses, donc cela donne une impression de moindre visibilité.
La façon dont les médias en parlent a-t-elle aussi évolué ? Il était souvent sous-entendu que leur radicalisation était exclusivement due à des hommes.
C. M. : Cela dépend si on parle des femmes terroristes de manière générale ou d’une affaire en particulier. Dans l’affaire de Notre-Dame, par exemple, les médias ont beaucoup mis en avant qu’il s’agissait d’une cellule entièrement féminine aux commandes. Mais quand on parle des femmes revenant de Syrie ou emprisonnées là-bas par les forces kurdes, on entend encore dire que beaucoup ont été influencées par des hommes, ou qu’elles ont suivi un prince charmant. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas, mais il y en a sûrement moins que ce qui est mis en avant. Dans son livre La Chambre des coupables 2, le journaliste Mathieu Delahousse raconte plusieurs affaires qui ont été jugées à Paris devant la 16e chambre, spécialisée en matière terroriste. Par exemple, celle d’une mère de famille, dont le mari n’était pas radicalisé, qui était partie avec ses enfants en Syrie. Il n’y a aucun chiffre officiel, mais il existait vraiment des femmes qui pouvaient abandonner leur couple ou leur famille pour rejoindre l’État islamique (EI), sans avoir été influencées par leur compagnon ou par un proche.
Dans les groupes terroristes islamistes, quelles sont les spécificités des tâches attribuées aux femmes ?
C. M. : Sur la terre du califat, quand il existait encore, les tâches étaient très différentes entre les hommes et les
Les femmes participaient au recrutement et mettaient en oeuvre la politique de l etat islamique”
femmes. Elles devaient d’abord être les soutiens des combattants et accédaient au statut de martyre quand leur mari mourait au combat. Elles avaient un rôle pour l’avenir : l’éducation des « ashbal », les lionceaux du califat. Elles participaient au recrutement et mettaient en oeuvre la politique de l’EI. On a tendance à penser que les femmes terroristes n’étaient pas actives, puisque non armées ni combattantes. Mais si leur rôle était différent, il était tout de même actif 3.
Y a-t-il une différence entre les femmes terroristes sur la terre du califat et celles qui sont en France ?
C. M. : Sur la terre du califat, comme on l’a vu, les femmes ne combattaient pas. Mais si elles n’arrivaient pas à rejoindre l’EI, tous les moyens étaient bons pour agir là où elles étaient.
C’est globalement ce qui avait été mis en avant par des membres de l’organisation terroriste, comme Rachid Kassim [un djihadiste français suspecté d’être le commanditaire de plusieurs attentats, ndlr], même si ça n’avait jamais été clairement assumé dès le départ. La position du groupe a ensuite évolué sur la terre du califat. Dans les derniers mois de l’assise territoriale, il n’était pas rare que les femmes soient amenées à prendre les armes pour défendre ce qu’il restait du bastion de l’EI.
Font-elles l’objet d’un traitement pénitentiaire et judiciaire différencié ?
C. M. : Jusqu’en 2016, oui. C’est ce que reconnaissent un certain nombre de sections antiterroristes. Leurs membres avaient tendance à traiter différemment les femmes, car eux aussi pensaient qu’elles étaient moins dangereuses, qu’elles n’étaient pas combattantes et ne donnaient pas la mort. Dans le cadre des mesures présententielles pour les revenants, lorsqu’il s’agissait de choisir entre un contrôle judiciaire, une assignation à résidence ou une détention provisoire, les juges antiterroristes expliquaient que face à un homme, ils avaient tendance à se prononcer en faveur d’une détention provisoire. Alors que pour les femmes, ils optaient pour le contrôle judiciaire.
Dans les peines prononcées, ils avaient aussi cette tendance, même si c’est moins établi dans les statistiques. De nombreuses femmes ont essayé de se déresponsabiliser : « Je suis une pauvre femme qui a été endoctrinée par un méchant homme. » Ou : « Moi je n’ai rien fait directement. » Il a fallu faire prendre conscience à certaines femmes qu’elles avaient eu une contribution importante. La place des enfants a pu également jouer. Il y avait une moindre sévérité pour une femme revenant de Syrie avec ses enfants, qui sous contrôle judiciaire se réinsère rapidement, trouve un emploi, ne porte plus le voile et ne tient
plus de propos extrémistes.
Et aujourd’hui ?
C. M. : Ça a changé. Il n’y a aucun problème à mettre des femmes suspectées de terrorisme en détention provisoire. Au niveau des peines, le droit en matière de terrorisme s’est aggravé. Il est devenu tellement rigide que ça a gommé les dernières spécificités.
La place des femmes est-elle différente dans les groupes islamistes par rapport à d’autres organisations terroristes ?
C. M. : Ce sont des idéologies très différentes, avec des positions très différentes. Dans le terrorisme islamiste, il y a cette idée que les hommes et les femmes ne sont pas forcément égaux, n’ont pas les mêmes rôles et adhèrent à l’idéologie pour des raisons qui, potentiellement, ne sont pas les mêmes. Mais s’agissant du terrorisme basque ou irlandais, par exemple, il existe une part plus importante de femmes dans les actions terroristes que dans la criminalité en général. Il faut savoir que même quand on remonte à des époques plus lointaines, il y a toujours eu des femmes terroristes. Elles ont rarement été les égales des hommes, mais elles ont toujours été actives.
1. Catherine Ménabé est maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université de Lorraine. Elle a codirigé avec Julie Leonhard l’ouvrage Femmes, mineurs et terrorisme (éd. L’Harmattan, 2021).
2. La Chambre des coupables, de Mathieu Delahousse. Éd. Fayard, 2019.
3. Voir Le Jihadisme des femmes, de F. Benslama et F. Khosrokhavar (éd. Seuil, 2017), et Les Revenants, de D. Thomson (éd. Seuil, 2016).