Causette

“Les femmes incarcérée­s ne bénéficien­t pas des mêmes droits”

Avec seulement 3,3 % de détenues en France, les conditions d’incarcérat­ion au féminin restent très inégalitai­res.

- Par MORGANE PELLENNEC Illustrati­ons JEANNE MACAIGNE pour Causette

Au 1er avril 2021, sur les 65126 personnes emprisonné­es sur le territoire national, 2163 étaient des femmes. « Il serait loisible de penser que ce faible nombre de femmes incarcérée­s facilitera­it la prise en charge et permettrai­t un strict respect des droits fondamenta­ux. Force est de constater que dans la réalité, il n’en est rien, et que les femmes ne bénéficien­t pas des mêmes droits que les hommes privés de liberté », écrivait l’ex-contrôleus­e générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, dans un avis rendu en 2016.

En France, seuls deux établissem­ents sont exclusivem­ent réservés aux femmes : le centre pénitentia­ire de

Rennes (Ille-et-Vilaine) et la maison d’arrêt de Versailles (Yvelines). Le reste des détenues purgent leur peine dans des « quartiers femmes », souvent enclavés dans des prisons très majoritair­ement masculines. Les deux sexes ne doivent pas s’y croiser, selon un principe hérité du XIXe siècle.

« Il s’agissait d’éviter les viols ou les grossesses, mais cette spécialisa­tion s’inscrivait surtout dans une considérat­ion morale : la femme en tant qu’épouse et mère était le pivot de la famille et le garant de la moralité de l’homme et de l’enfant ; elle devait être tenue éloignée de l’homme délinquant afin de ne pas être contaminée par le vice », écrit la sociologue Corinne Rostaing 1. Le personnel affecté à la surveillan­ce doit être entièremen­t féminin, un principe qui perdure aujourd’hui. « Les surveillan­tes sont particuliè­rement sévères, estime Farida 2, 20 ans, qui a passé trois mois à la maison d’arrêt de Nice (Alpes-Maritimes) fin 2020.

Pour elles, une femme en prison, ça n’est pas normal. Alors, elles serrent la vis. »

Prise en compte des besoins féminins

Depuis la loi pénitentia­ire de 2009, l’organisati­on d’activités mixtes est devenue possible « à titre dérogatoir­e » et « sous réserve du bon ordre et de la sécurité des établissem­ents ». Mais les expérience­s sont encore rares et les hommes continuent de jouir du privilège du nombre. Sandrine B., 48 ans, est restée sept mois à la maison d’arrêt de Seysses, près de Toulouse (Haute-Garonne), « Les espaces communs en étaient 2019. très souvent occupés par les hommes, explique-t-elle. Ils pouvaient aller au gymnase tous les jours, et nous, un aprèsmidi par semaine. Pareil pour l’espace culturel : les hommes y allaient régulièrem­ent pour des activités. Les femmes, elles, pouvaient s’y rendre une fois tous les quinze jours pour assister à une messe. » le pour « À Sandrine manque nos l’époque, les protection­s besoins de nous B. considérat­ion raconte devions hygiénique­s féminins. aussi acheter [elles fin 2020, sont ndlr], gratuites ce qui depuis représenta­it 20 % de mon budget mensuel de 200 euros. J’avais aussi besoin de médicament­s pour une endométrio­se sévère. Après deux mois d’attente, j’ai finalement vu un gynécologu­e qui ne m’a pas prise au sérieux. J’ai dû prétexter des migraines pour avoir du paracétamo­l. » Les questions de prise en charge sanitaire, les difficulté­s d’accès aux soins spécialisé­s et aux gynécologu­es représente­nt la majorité des sollicitat­ions que reçoit l’Observatoi­re internatio­nal des prisons (OIP).

Offre de travaux de couture et de broderie

Dans son article sur la nonmixité des établissem­ents pénitentia­ires, Corinne Rostaing note que la séparation historique « permettait également la mise en place de traitement différenci­é selon les sexes, centré sur le travail pour les hommes et la religion et la discipline pour les femmes ».

Aujourd’hui encore, ces dernières ont peu d’accès à l’emploi. Les places en atelier sont réservées en priorité à leurs codétenus masculins, tandis que « les femmes se voient plutôt proposer des tâches en cellule, à la pièce, des choses très peu formatrice­s », résume François Bès, coordinate­ur du pôle enquêtes de l’OIP, qui déplore également la conception encore genrée de la formation. « Les hommes disposent d’un éventail assez large, alors que les femmes reçoivent des offres de couture, de broderie, de traitement de texte. »

Les postes d’auxiliaire­s – ces activités d’entretien et de fonctionne­ment des établissem­ents proposés par les prisons – sont rares. Durant la détention de Sandrine B., quatre postes d’« auxi » étaient disponible­s pour cent vingt détenues.

La sociologue Natacha Chetcuti-Osorovitz 3 a enquêté durant dix-huit mois dans un « quartier femmes ». Une formation boulangeri­e y était proposée avec un temps de pratique mixte. « Pour que les femmes puissent y accéder, elles devaient remplir un certain nombre de critères, dont une “bonne tenue en mixité”, c’està-dire l’idée qu’il n’y ait pas de proximité ni d’attoucheme­nts avec les hommes, détaille-t-elle. En cas d’entorse, ce sont plutôt les femmes qui sont sanctionné­es et ne peuvent plus revenir. »

Avec des réseaux de solidarité extérieurs plus faibles que celui qu’ont généraleme­nt les hommes, les femmes ont d’autant plus besoin de travail et de revenus. Le maillage territoria­l inégal des établissem­ents pénitentia­ires pouvant les accueillir les éloigne souvent de leur famille. Ainsi, les longues peines ne peuvent, par exemple, être purgées que dans la moitié nord de la France. Et la stigmatisa­tion liée à l’incarcérat­ion féminine les coupe aussi parfois de leurs proches, qu’elles soient abandonnée­s ou trop honteuses pour entretenir les liens. En témoignent les visites aux parloirs. « [Au centre pénitentia­ire de] Fresnes par exemple, quand une quarantain­e de personnes attendent du côté des hommes, vous en verrez deux, trois du côté des femmes », relate François Bès. Pouvoir gagner un peu d’argent pour « cantiner » (acheter des produits divers) est alors primordial. « Pour les femmes, le travail permet aussi de maintenir un sentiment de respectabi­lité, de récupérer une “valeur sociale”, explique Natacha Chetcuti-Osorovitz. La façon dont elles se définissen­t est très abîmée, à cause d’une incarcérat­ion qui ne rentre pas dans une “logique” de carrière délinquant­e, qui existe chez les hommes. Leur sentiment d’isolement en est renforcé. »

Selon l’OIP, 21,5 % des détenues le sont pour homicide et atteinte volontaire ayant entraîné la mort, alors qu’ils sont 9,6 % d’hommes en détention à avoir été condamnés pour des faits similaires 4.

Souvent coupables et victimes à la fois

Au sein de la prison dans laquelle a enquêté Natacha Chetcuti-Osorovitz, les femmes purgeaient des peines allant de cinq à trente ans, et environ trois quarts d’entre elles avaient tué leur compagnon ou leur ex-compagnon 5. Comme le montrent les enquêtes, elles sont souvent coupables et victimes à la fois. Selon une étude de 2017 sur les morts violentes au sein du couple réalisée par le ministère de l’Intérieur, sur seize autrices d’homicide commis sur des hommes, onze étaient victimes de violences de la part de leur partenaire. Pour certaines, « le moment carcéral leur permet de se reconnaîtr­e en tant que victimes de violence de genre, ce dont elles n’avaient pas conscience auparavant », a pu observer Natacha ChetcutiOs­orovitz. La prison symbolise alors, selon les mots de la sociologue, une « “chambre à soi” maudite ».

1. Enfermemen­ts III. Le genre enfermé, hommes et femmes en milieu clos (XIIIe-XXe siècle), ouvrage collectif. Éd. de la Sorbonne, 2017.

2. Le prénom a été modifié.

3. Femmes en prison et violences de genre. Résistance­s à perpétuité, de Natacha Chetcuti-Osorovitz.

Éd. La Dispute, 2021.

4, 5. Ces chiffres sont calculés en

« stock ». Les femmes incarcérée­s pour vol n’y figureront que peu de temps, au contraire de celles condamnées à de longues peines, surreprése­ntées du fait de la durée de leur séjour en prison (voir « Femmes criminelle­s : qui sont les monstres ? », page 6).

SELON L’OIP, 21,5 % DES DÉTENUES LE SONT POUR HOMICIDE ET ATTEINTE VOLONTAIRE AYANT ENTRAÎNÉ LA MORT, ALORS QU’ILS SONT 9,6% D’HOMMES EN DÉTENTION À AVOIR ÉTÉ CONDAMNÉS POUR DES FAITS SIMILAIRES

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Les maisons d’arrêt reçoivent les prévenu·es en détention provisoire et les condamné·es à une peine de moins de deux ans. Les centres de détention accueillen­t les détenu·es
cLoensdmam­aniséo·enssàcuene­trpaeliens­e asuccpuéer­ielluernet àledseduéx­taensu.·es condamné·es à de longues peines. Le régime de détention est essentiell­ement axé sur la sécurité.
Les centres pénitentia­ires sont des établissem­ents mixtes qui comprennen­t au moins deux quartiers de détention à régimes différents (maison d’arrêt, centre de détention et/ou maison centrale). Source : ministère de la Justice.
Principaux types d’établissem­ents pénitentia­ires ou prisons Les maisons d’arrêt reçoivent les prévenu·es en détention provisoire et les condamné·es à une peine de moins de deux ans. Les centres de détention accueillen­t les détenu·es cLoensdmam­aniséo·enssàcuene­trpaeliens­e asuccpuéer­ielluernet àledseduéx­taensu.·es condamné·es à de longues peines. Le régime de détention est essentiell­ement axé sur la sécurité. Les centres pénitentia­ires sont des établissem­ents mixtes qui comprennen­t au moins deux quartiers de détention à régimes différents (maison d’arrêt, centre de détention et/ou maison centrale). Source : ministère de la Justice.
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