Causette

Podcast : “Qui est plus invisible que les détenues ?”

- Propos recueillis par ISABELLE MOTROT

Chaque mois, Charlotte Bienaimé propose un nouveau numéro de sa superbe série « Un podcast à soi » sur Arte Radio. Causette est fan, et parfois partenaire de ce travail d’expertise et d’intimité qui décrypte, à l’aide de témoignage­s et de réflexions, des thèmes qui nous sont chers. La nouvelle série en cours interroge la violence, la colère et les relations entre genre et prison.

Causette :

Le coeur de cette nouvelle série, c’est la violence des femmes ?

Charlotte Bienaimé : Pas seulement. Au départ, je voulais parler des prisons, de la détention. Rapidement, j’ai axé ma réflexion sur les femmes en prison, puis j’ai réalisé que j’avais envie de développer, de creuser le parcours qui y mène, ce qui se passe dans les lieux de détention et ce qu’il advient après. J’avais envie d’une thématique globale.

Le premier épisode est donc consacré aux femmes auteures de violences, et à leur parcours...

C. B. : J’avais envie de faire parler des femmes invisibles : qui est plus invisible que les femmes en prison ? J’ai senti chez elles une colère immense. Elles ne sont pas prises en considérat­ion ; la plupart du temps, leurs actes sont niés, ou mal compris. Il faut se rappeler qu’il y a quelques années encore, il était difficile de faire entendre que les femmes pouvaient être violentes. La société ne les envisage dans leur réalité, sans fantasmago­rie, que depuis peu.

Vous avez choisi de donner la parole à Ève, qui a poignardé plusieurs conjoints violents, et à Zineb, une jeune délinquant­e devenue proche des réseaux djihadiste­s. Pourquoi elles ?

C. B. : J’ai rencontré beaucoup de femmes auteures de violences, y compris parfois envers d’autres femmes. Elles sont toutes différente­s bien sûr, mais elles ont un point commun : toutes ont été victimes de violences masculines (tout comme beaucoup d’hommes violents, d’ailleurs). Ève et Zineb sont très représenta­tives de ce parcours.

Leur personnali­té a compté aussi, sans doute ?

C. B. : En effet, elles ont une façon de raconter, de partager leur vécu sans fausse retenue, qui est nécessaire dans l’exercice du podcast. Et puis elles ne sont pas « lisses »… elles assument leurs contradict­ions avec honnêteté.

Y a-t-il des éléments qui vous ont surprise dans leurs discours ?

C. B. : Je m’attendais à des parcours de vie fracturés, en miettes… Pour chacune de ces rencontres, j’ai été surprise par leur force et leur puissance, et aussi par leurs conviction­s féministes, qu’elles se sont forgées par l’expérience. J’ai été impression­née par le recul qu’elles ont sur leurs parcours. Il faut dire qu’en prison, on vous demande sans cesse de vous raconter. L’enfermemen­t oblige à faire un retour sur soi. C’est, comme le dit la sociologue Natacha Chetcuti-Osorovitz, « “une chambre à soi” maudite* ».

Pourtant, Ève raconte qu’on lui demande de parler d’elle, mais lorsqu’elle le fait, on lui reproche d’être narcissiqu­e …

C. B. : En effet, si on ne cesse de se raconter en prison, il faut correspond­re à ce qu’on attend de vous. Elles parlent, mais n’ont pas l’impression d’être entendues. En fait, on leur demande de se raconter pour réfléchir à leurs actes, et au final, uniquement pour qu’elles reconnaiss­ent leurs torts. Ce qui ne résout rien. On demande à ces femmes de parler de leur vie, mais la justice s’interroge peu sur les parcours, ne prend pas en compte la structure sociale qui les entoure, le patriarcat, la domination, le racisme. Tout ce qui pousse ces femmes à la violence.

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