Protections solaires Chimiques ou “naturelles”, ça passe pas crème
Accusées de polluer les océans, suspectées d’être toxiques pour les humains, les crèmes solaires ont mauvaise presse. De plus en plus, les consommateur·rices se tournent vers le bio ou le « Do it yourself ». Vraie solution… ou fausse bonne idée ?
Fini le temps où on se badigeonnait avec insouciance de crème solaire avant de plonger dans l’eau. Si les tubes, sticks et sprays photoprotecteurs se vendent chaque année par pelletées – un marché mondial estimé à 9,1 milliards d’euros en 2019 –, la méfiance va grandissante à leur égard. En cause ? Leur impact sur certains écosystèmes marins, et en particulier les coraux, qui blanchissent au contact des filtres UV. Aujourd’hui largement médiatisé, ce phénomène a notamment été mis en lumière, dès 2008, par une équipe de chercheur·euses italien·nes qui ont travaillé sur les zones tropicales touristiques. Des plages où transitent chaque année, en moyenne, 78 millions de vacancier·ères et, avec eux·elles, de 16000 à 25000 tonnes de crème solaire. Problème : « 25 % au moins de la crème appliquée est rejetée dans l’eau durant la baignade, ce qui représente un rejet potentiel de 4000 à 6000 tonnes par an dans les zones récifales », estime cette étude, qui a fait date. Et qui prévient : « Jusqu’à 10 % des récifs coralliens du monde seraient menacés. »
Depuis, d’autres travaux sont venus montrer la toxicité des produits solaires sur les récifs coralliens – qui abritent 25 % des espèces marines connues. Ce qui a récemment conduit plusieurs États et collectivités à serrer la vis. C’est Hawaii qui a ouvert la danse, en 2018, avec une loi entrée en vigueur le 1er janvier dernier, prohibant la vente de produits solaires contenant de l’oxybenzone et de l’octinoxate (deux filtres UV couramment utilisés). Idem pour l’île Key West (en Floride), les îles Vierges des États-Unis ou l’île Bonaire (aux Antilles néerlandaises). Quant aux autorités des îles Palaos, dans le Pacifique, elles ont été plus loin en interdisant non seulement depuis 2020 ces mêmes produits, mais aussi ceux contenant des parabènes et de l’octocrylène (un autre filtre solaire). Des substances désormais bannies de quelques plages paradisiaques mais qui, pourtant, restent bel et bien présentes dans nos rayons. À commencer par ce fameux octocrylène.
“25 % au moins de la crème appliquée est rejetée dans l’eau, ce qui représente un rejet potentiel de 4 000 à 6 000 tonnes par an dans les zones récifales” Etude italienne publiée dans Environmental Health Perspectives en avril 2008
Dégradation
Parmi la petite trentaine de filtres UV autorisés au sein de l’Union européenne, on retrouve ce composé, fréquemment présent dans les produits solaires et antiâge, mais dont les effets toxiques pour l’humain sont aujourd’hui pointés. En mars dernier, une étude menée par le CNRS, Sorbonne Université et l’observatoire océanologique Arago de Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales) a ainsi montré qu’en vieillissant cette molécule « se dégrade au sein même des flacons, en un composé connu, cancérigène et perturbateur endocrinien : la benzophénone ». Autrement dit, une fois leur date de péremption passée, les produits cosmétiques contenant de l’octocrylène
(c’est-à-dire beaucoup) pourraient s’avérer néfastes pour notre santé.
Pour le professeur de microbiologie et d’écologie marine
Philippe Lebaron, qui a participé à cette étude, il y a urgence à agir :
« L’Union européenne a demandé des études supplémentaires sur l’octocrylène. Aux
États-Unis, il y a des discussions en cours au sein de la Food and Drug
Administration. On commence à accumuler un certain nombre de travaux scientifiques qui montrent la toxicité de cette molécule, soit sur l’environnement, soit sur l’homme. Pour nous, très clairement, il faut l’interdire, tout comme la benzophénone », plaide le chercheur, qui insiste également sur la nécessité de se protéger du soleil.
Haro sur le bio ?
En attendant, charge au consommateur de faire le tri. Tiraillé·es entre la nécessité de se protéger et la volonté de ne pas (trop) polluer, perdu·es par une offre pléthorique et des étiquettes incompréhensibles pour le commun des mortel·les – « Même nous, on s’y perd parfois », reconnaît le professeur Philippe Lebaron –, les estivant·es ne savent plus à quel flacon se vouer. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que les Français·ses disent aujourd’hui, à 92 % 1, vouloir des crèmes plus respectueuses de l’environnement. Et les fabricants – petits ou gros – l’ont bien compris.
Ces dernières années, on a vu se multiplier les produits « écoresponsables » : une tendance plutôt fourre-tout, où se côtoient une multitude de labels et de démarches, parfois très inégales. D’un côté, on trouve par exemple des gammes mettant en avant leur dimension ocean friendly avec des labels maison : Skin Protect/Ocean Respect chez Avène, Ocean Protect chez Caudalie, 1 % Corail chez Alphanova… Ce qui, comme leur nom ne l’indique pas, signifie que ces marques mènent des actions, souvent en partenariat avec des ONG, pour préserver la biodiversité marine. Et non que leurs produits n’ont aucun impact écologique.
En parallèle, on retrouve évidemment les produits « bio », notamment ceux floqués des labels officiels Cosmébio (au choix : Cosmétique bio, Cosmos Natural et Cosmos Organic) ou certifiés Écocert. Leur point commun ? Ces crèmes bio ne peuvent contenir que des filtres UV dits « minéraux », soit deux substances autorisées à ce jour, l’oxyde de zinc et le dioxyde de titane. Des filtres qui ont la particularité de réfléchir les rayons UV – là où les filtres chimiques les absorbent – mais qui sont, en réalité, tout aussi toxiques pour l’environnement. Contrairement à une idée reçue, ils sont d’ailleurs chimiques, comme les filtres classiques, puisqu’ils sont obtenus par synthèse. « À ce jour, aucune crème solaire ne peut garantir une protection sans le dioxyde de titane et l’oxyde de zinc. Ce qui implique qu’aucune crème solaire ne peut répondre à la promesse d’être respectueuse de la biodiversité, des coraux ou de la vie en général. Bio ou pas bio ! Nanoparticule ou particule conventionnelle ! » recadre l’association Ambassade des océans.
Effet grillade
Alors, faut-il se rabattre sur le « fait maison » ? La démarche est dans l’air du temps, et les recettes abondent sur le Web. Parfois pour le pire. En 2019, des chercheuses américaines ont passé au crible 189 recettes populaires sur Pinterest. Bilan : 68,3 % ne protégeaient pas suffisamment des UV, certaines affichant un indice SPF de 2… là où une vraie protection nécessite, au minimum, un indice 30. « On est toujours affolées quand on entend des gens dire : “Je fais mon
produit maison, comme ça je sais ce que je mets sur la peau.” Eh bien non, justement ! Dans sa cuisine, on n’a pas tout ce qu’il faut pour contrôler les produits, les doses d’emploi peuvent être dépassées et, surtout, on raconte au consommateur des bobards vraiment énormes. L’exemple type, c’est l’huile de pépins de framboise, parfois présentée comme permettant d’obtenir un SPF de
28, ou l’huile de karanja, présentée comme étant naturellement photoprotectrice : c’est tout simplement faux ! » martèle Céline Couteau, maîtresse de conférences en pharmacie industrielle et cosmétologie à l’université de Nantes. Cofondatrice du site Regard sur les cosmétiques, où elle teste, avec sa consoeur Laurence Coiffard, les produits en vente sur le marché 2, elle vient de publier une étude sur ces fameuses recettes maison. Où l’on découvre que certaines intègrent carrément des huiles essentielles… photosensibilisantes ! « À l’arrivée, au lieu d’être protégé, on est sur le mode “grillade et barbecue” », s’alarme-t-elle.
Car, s’il y a bien un danger, totalement avéré celui-là, c’est l’exposition au soleil. « De 50 % à 70 % des cancers de la peau sont ainsi directement liés à une surexposition aux rayons UVA/UVB. Au total, ce sont 80000 nouveaux carcinomes [une tumeur maligne, ndlr] et 11200 nouveaux cas de mélanomes qui sont diagnostiqués chaque année en France. Et l’incidence des mélanomes, forme de cancer cutané la plus grave, double tous les dix ans chez les populations à peau blanche », rappelait récemment la Ligue contre le cancer. Très mauvaise idée, donc, que de se passer de protection solaire.
« Le cancer de la peau est un vrai enjeu de santé publique. On a besoin de crèmes solaires. Aujourd’hui, il n’existe pas un produit qui soit bon pour l’homme en le protégeant des UV et qui soit en même temps totalement non impactant sur l’environnement. Et je pense que ça n’existera jamais. Donc on doit être dans le compromis », résume le professeur Philippe Lebaron, qui invite à faire preuve de « bon sens » dans nos pratiques. Ce qui implique notamment de réserver l’usage des crèmes solaires aux périodes d’exposition, d’attendre une trentaine de minutes avant de se baigner, de se couvrir et, surtout, de ne pas rester en plein cagnard entre 11 heures et 16 heures. Car la meilleure façon de réduire sa consommation de crème solaire, sans pour autant prendre de risques avec sa peau, c’est encore… de marcher à l’ombre.
“Dans sa cuisine, on n’a pas tout ce qu’il faut pour contrôler les produits, les doses d’emploi […] et, surtout, on raconte au consommateur des bobards vraiment énormes” Céline Couteau, maîtresse de conférences en pharmacie industrielle et cosmétologie à l’université de Nantes