Vulvothérapie littéraire
Lire des textes érotiques pour guérir ses douleurs gynécologiques. Des patient·es et des soignant·es témoignent de l’efficacité de la méthode dans les soins du vaginisme et des dyspareunies.
Boris Vian imagine, dans L’Écume des jours, un docteur qui prescrit « des fleurs » pour soigner. Pour guérir le vaginisme (resserrement réflexe des muscles du vagin) et les dyspareunies (douleurs vulvaires ou vaginales), une équipe de gynécos et soignant·es en rééducation périnéale, l’association Les Clés de Vénus, propose, elle, des livres érotiques. « Avec l’appréhension des douleurs, la zone est verrouillée, explique Anne Dumartineix, kiné parisienne spécialiste de ces pathologies. Nous, on travaille à la détendre. Mais il y a aussi besoin de la ré-érotiser, pour que le cerveau, qui tient les muscles de la région crispés, prenne conscience que c’est un morceau du corps qui peut être tranquillisé. » L’association, spécialisée dans le soutien aux personnes souffrant de vaginisme et de dyspareunies, conseille aussi la lecture de textes coquinous, des « alliés » dans le parcours de soins, peut-on lire sur le site.
Un corps reconnecté
Marion, fromagère de 33 ans, est atteinte de vaginisme depuis ses 16 ans. Les quelque deux cents (!) romans érotiques qu’elle a lus depuis qu’elle a découvert l’astuce l’ont profondément aidée. Son kif : les récits du type « veuve dans les Highlands [montagnes écossaises, ndlr] au XIXe » ou « vieilles filles émoustillées ». Les textes lui ont permis de se sentir normale, de « désacraliser » le sexe et la « sacro-sainte pénétration, témoigne-t-elle. Avant, j’avais l’impression d’être une gamine qui lisait ça sans comprendre. J’étais déconnectée de mon corps. Au fur et à mesure – en parallèle de mes soins –, ça m’a appris que je pouvais avoir des sensations ».
Ishta, étudiante de 28 ans et admin du compte Instagram @douleursfeminines, pense même à intégrer les lectures à ses soins, notamment aux dilatateurs vaginaux (des sortes de bougies visant à détendre la zone). « Au lieu d’aborder les dilatateurs comme un truc médical, lire ce genre de texte avant de les utiliser pourrait aider à voir tous ces soins comme une route vers le plaisir. » Son truc, ce sont les « hot stories » du compte Instragram @orgasme_et_moi. De petits témoignages « hyper bien écrits – ce qui en fait pour moi de la littérature – et hyper excitants ». Elle y a découvert que « vraiment plein de gens pratiquaient des rapports sans pénétration », comme ce mec qui ne jouit qu’« en léchant sa nana pendant des heures ! » De quoi
« dissocier sexe et douleurs » dans l’esprit des malades.
« J’ai lu beaucoup de romances où il n’y a aucune mention de protections du style préservatifs et où la notion de consentement est mise à mal », nuance Amélie, lectrice « active » depuis six ans, atteinte de vestibulodynie* et d’endométriose.
« Les personnages partent au quart de tour. Tout paraît si fluide pour eux… Ça a aggravé ma sensation de ne pas être normale. » Mais elle n’a pas lâché sa collection d’e-books « new romance » pour autant. Et avoue même que les textes l’ont aidée à retrouver une libido avec son mec. « Il y a dans la lecture un sentiment de sécurité qui déculpabilise d’être dans l’autoérotisation. » La peur et le sentiment de culpabilité sont des verrous très importants à faire sauter pour guérir, « pour que les femmes qui ont mal se permettent des choses », souligne Anne Dumartineix. Marion est, à ce titre, optimiste. « La dernière fois, au rayon érotique chez Cultura, j’ai discuté avec une mère de famille qui cherchait ce genre de bouquins. » Un tabou tombe. Et des vulves s’en voient ravies. U
* Vestibulodynie : type de vulvodynie (toutes les pathologies des douleurs de la vulve), dans laquelle est principalement atteint le vestibule (« entrée » du vagin).