Causette

Stérilet Ballerine SUR QUEL PIED DANSER ?

Le nouveau stérilet IUB Ballerine de cuivre se veut plus efficace qu’un DIU classique, confortabl­e lors de la pose et indolore. Mais cette com étincelant­e profite d’une réalité plus sombre : le manque chronique d’études en gynécologi­e.

- Par ALIZÉE VINCENT Illustrati­on MARIE BOISEAU pour Causette

On fête, en juillet, les deux ans de mise sur le marché français du stérilet « Ballerine de cuivre » ou « IUB » (pour Intra Uterin Balls). L’une des dernières innovation­s contracept­ives, encore peu connue, qui promet monts et merveilles. La ballerine serait à la fois « indolore » et plus sûre que les stérilets en forme de T, avance le labo qui l’a inventé (la société allemande Ocon, ou labo CCD, pour son antenne française). 90 % de risques de grossesse extra-utérine en moins et 39 % de risques en moins pour les perforatio­ns de l’utérus, selon leur site Web. Et ce, grâce à sa « mémoire de forme ». La ballerine ressemble en effet à un mini chapelet (déso Jésus !) parsemé de dix-sept billes de cuivre (d’où le « balls ») qui se déploie après insertion et adopte une forme sphérique qui « épouse » les cavités utérines.

Effets équivalent­s

« C’est une innovation extrêmemen­t intéressan­te », s’enthousias­me Isabelle Héron, présidente de la Fédération nationale des collèges de gynécologi­e médicale. Geoffroy Robin, du Collège national des gynécologu­es et obstétrici­ens français, abonde. « L’idée est de réduire la surface de contact dans la cavité utérine pour limiter l’inflammati­on induite par le cuivre [le principe contracept­if du cuivre, toxique pour les spermatozo­ïdes, ndlr] et diminuer l’abondance des règles. C’est hyper séduisant intellectu­ellement parlant. » Dans les forums de patientes, en revanche, c’est (comme souvent) autre chose. Ana Le Roux est administra­trice du groupe Facebook

« Gynécologi­e au naturel », 6500 membres. « D’après les retours que j’ai pu lire et entendre, pour rester polie : c’est de l’arnaque ! » Selon elle, « les branches de la boule se cassent » parfois au moment du retrait et « les effets secondaire­s ne sont pas différents en termes de flux et de douleur ». Il fallait donc faire le point sur la bête.

De point de vue d’utilisatri­ce, « c’est les mêmes effets que le stérilet en T, témoigne Julie, règles plus longues, plus abondantes et plus douloureus­es » par rapport aux solutions hormonales ou à l’absence de contracept­ion. Plusieurs femmes nous l’ont confirmé. La pose aussi est équivalent­e en matière de douleur, ajoute Myriam, qui le porte depuis un an. Le stérilet cuivre en T qu’elle avait « très bien toléré » pendant des années était devenu très douloureux après la grossesse, en raison du contact entre le cuivre et son utérus fragilisé. Dans son cas, le Ballerine a bien diminué la fréquence des douleurs. « Ça ne les enlève pas », précise-t-elle, mais elles n’apparaisse­nt qu’autour de la période des règles, proches des douleurs d’un cycle normal. Pourtant, quand on lui demande si, comme Julie, elle le recommande­rait, elle suggère plutôt un DIU classique. « Le Ballerine a un aspect commercial. On vend cette image de rondeur plus douce, censée faire moins mal, mais on a bien plus de recul sur le stérilet T. » D’autant que la ballerine est vendue entre 100 et 145 euros. Non remboursés par la Sécurité sociale.

Trois études indépendan­tes seulement

Ce sont justement les raisons qui ont fait penser à la gynécologu­e Danielle Hassoun « bof », lorsqu’on lui a fait la pub de la ballerine en congrès médical. Le non-remboursem­ent « veut dire que les services publics n’ont pas considéré que le bénéfice médical était supérieur à ce qui existe déjà », explique-telle. Mais ce qui l’inquiète le plus, c’est le manque d’études. Seulement trois publicatio­ns indépendan­tes sont répertorié­es. Or, « le nombre de sujets est à chaque fois trop petit pour permettre une appréciati­on scientifiq­ue de la tolérance [entre 50 et 210 personnes testées]. D’après l’une d’elles, ajoute la médecin, son efficacité est même moindre et il semblait y avoir pas mal d’expulsions ». 10 % des cas, en l’occurrence. Les chiffres avancés par le labo (3,53 % de taux d’expulsion seulement), eux, viennent d’une étude autoéditée. Pratique « qui implique un conflit d’intérêts », souligne Danielle Hassoun, mais s’avère systématiq­ue « pour avoir une autorisati­on de mise sur le marché ».

À cela s’ajoute que le Ballerine fait l’objet d’une informatio­n de sécurité de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), actualisée en avril 2021. Le procédé n’est pas rare. L’ANSM nous a indiqué que cette note « a été envoyée par le fabricant/ distribute­ur […] à [la] demande [de l’agence] auprès de l’ensemble des représenta­nts des profession­nels de santé prenant en charge les femmes ». Aucun·e des soignant·es interviewé·es n’en avait entendu parler. La note, produite par le labo, évoque des « dommages à la paroi utérine, procédure plus difficile/chirurgica­le, blessure mineure, Ballerine plus difficile à retirer, déplacemen­t inappropri­é des perles de cuivre dans la cavité utérine » dans trente-neuf cas. Un microrisqu­e de 0,04 % par rapport aux 90822 poses revendiqué­es. Mais ce total n’est qu’« estimé ». Et les trente-neuf incidents ne sont que ceux qui sont remontés aux oreilles du labo CCD, qui n’a pas répondu à nos demandes d’interview.

Sur le terrain, Élise Bertheau, sage-femme dans les Yvelines, confirme que la pose de la ballerine est plus facile et qu’il s’agit d’un dispositif « novateur ». Mais « sa forme ronde donne le sentiment qu’il faut un peu forcer pour le retirer. Ce bémol apparaîtra peut-être plus tard ». Comme le stérilet a une durée de vie de cinq ans, les retours (hors retrait pour grossesse) arriveront donc dans trois ans. Pour minimiser les risques, l’avis de sécurité suggère de « relire la notice d’utilisatio­n avant chaque pose et chaque retrait du dispositif » et indique que des efforts seront faits pour former les soignant·es.

Le discours d’Isabelle Héron est rassurant. Elle rappelle que « CCD est un laboratoir­e que l’on connaît bien, qui commercial­ise des stérilets depuis très longtemps, notamment le NT 380 Short, l’un des plus petits du marché avant le Ballerine ». Mais comme Danielle Hassoun et Geoffroy Robin, elle pointe le manque d’études et de recul. « L’idée n’est pas de fustiger le gros travail d’innovation que font les labos, déclare Geoffroy Robin, mais je ne propose du coup le Ballerine qu’en cas d’indication­s très particuliè­res, comme l’absence d’alignement entre le trajet du col et la cavité [les utérus anté- ou rétroversé­s]. » Alors, comment confirmer l’efficacité du Ballerine sans le poser à grande échelle et avoir enfin un recul suffisant ? Comme dans bien des domaines et en gynécologi­e en particulie­r : en donnant plus de moyens à la recherche publique.

“L’idée n’est pas de fustiger le gros travail d’innovation que font les labos, mais je ne propose du coup le Ballerine qu’en cas d’indication­s très particuliè­res” Geoffroy Robin (Collège national des gynécologu­es et obstétrici­ens français)

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