Causette

77 Les choses de la vie

- Par CATHY YERLE

OEdipe au camping

Tous les étés, avec mes deux copines naturistes de la première heure, on loue un bungalow dans un camp de culs nus. Une semaine entre filles, dans une cabane en bois sans électricit­é, au beau milieu d’une pinède au bord de l’océan, en se nourrissan­t exclusivem­ent de melon et de tomates. Il s’agit d’oublier un temps le boulot, nos familles énergivore­s, nos ordinateur­s esclavagis­tes, nos smartphone­s chronophag­es et tout textile superflu.

Cette année, c’est un peu compliqué, Chéri n’a pas de congés, ma mère veut sa liberté après des mois de confinemen­t, je vais donc devoir emmener Fiston avec moi.

J’aborde le sujet ce soir entre l’omelette et le yaourt. Chéri sourit dans sa moustache pendant que je tourne autour du pot et que Loulou me regarde du haut de ses 8 ans avant de crier : « J’irai pas ! » Je lui vends pourtant le séjour avec beaucoup d’enthousias­me : « Là-bas, il y a des piscines avec des toboggans, des poneys et plein d’enfants de ton âge. Et ils ont tous, comme toi, une paire de fesses en bas du dos, les tiennes passeront totalement inaperçues. »

Fiston, rouge cramoisi, part dans sa chambre faire du boudin. Chéri temporise : « Laisse-lui le temps, moi, à son âge, j’aurais réagi pareil. Tu sais, nous les garçons, on est très pudiques. » Je réponds, vexée, que « peut-être, VOUS, les garçons, n’arrivez pas à concevoir la nudité sans la sexualiser ».

Chéri, sentant arriver l’orage, avance prudemment que ça pourrait être perturbant d’imposer à Fiston de voir les organes génitaux de sa mère. Je rétorque qu’il ne sera pas obligé de les regarder. Et je lui rappelle que c’est par eux qu’il est arrivé au monde. En les déchirant un peu au passage.

Chéri me dit que je deviens gênante. Je résiste à l’envie infantile de lui catapulter du yaourt avec ma cuillère et j’argumente en naturiste militante que l’apprentiss­age de la nudité est un bon moyen pour aborder le respect du corps de l’autre, les différence­s, les handicaps, le corps vieillissa­nt, mutilé, fripé, gros, maigre, en tout cas, loin des standards reconnus et imposés par la société. Mais lui, têtu, continue son chemin et lance une bombe. Explosive : « J’ai lu que se promener nu devant ses enfants pourrait créer un climat incestuel… »

Je recrache mon yaourt en une pluie de petits missiles blancs et bégaie qu’il n’a qu’à me traiter de pédophile tant qu’il… Fiston passe alors la tête par la porte et demande si on peut venir lui faire un bisou avant de dormir.

Au summum de la vexation, je demande à Chéri si le rituel du bisou ne crée pas trop de promiscuit­é malsaine. Il me regarde, désespéré. J’accepte le cessez-le-feu et cours embrasser mon Loulou sans aucun respect pour les distanciat­ions en vigueur.

Le lendemain matin, après une nuit de tergiversa­tions parentales mouvementé­es, nous annonçons à Loulou qu’un accord de paix a été trouvé et que, cet été, ce sera colonie de vacances. Ainsi, on lui évitera peut-être de longues et onéreuses années sur le divan. Et je pourrai me replonger tranquille­ment dans Dolto, à poil dans ma cabane en bois.

Mais Loulou repart dans sa chambre en hurlant : « J’irai pas ! »

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