Causette

PREMIERE DE CORDEE

Cet été, l’escalade fait son entrée aux Jeux olympiques. Julia Chanourdie est l’une des deux femmes qui défendront les couleurs de la France à Tokyo. À 25 ans, elle a montré qu’elle grimpait aussi fort que les hommes, en compétitio­n comme en falaise.

- Par MARIANNE RIGAUX

À quatre mois pile des JO, il a fallu batailler un peu pour rencontrer Julia Chanourdie lors de sa tournée médias à Paris. Après Le Figaro, Le Parisien, LCI, RMC et l’AFP, la voilà dans les locaux de Causette, dans une coquette tenue de ville. « L’année dernière, j’ai dit oui à toutes les sollicitat­ions, je me suis épuisée et j’ai perdu de vue mon objectif : m’entraîner pour les Jeux », dit-elle. Depuis, elle a pris un agent : c’est lui qui gère son image et ses contrats.

Après son marathon d’interviews, la grimpeuse enchaîne avec un stage de préparatio­n olympique où elle retrouve l’équipe de France. Direction Climb Up, une nouvelle salle d’escalade parisienne. Les prises neuves attaquent la peau des doigts, et le niveau élevé de l’entraîneme­nt surprend certains athlètes. Il faut pourtant bien cela en vue du rendez-vous à Tokyo.

Cette édition des JO voit en effet l’escalade intégrer le programme, avec le surf, le karaté, le base-ball et le skateboard. L’épreuve olympique combinera les trois discipline­s de l’escalade : la difficulté, où l’on grimpe le plus haut possible dans une voie avec un assurage ; le bloc, où l’on multiplie les passages sur des pans de 4 mètres de haut sécurisés par des tapis ; la vitesse, où l’on gravit un tracé identique à chaque compétitio­n, le plus vite possible et en duel. Pour cette première année olympique, seules quarante qualificat­ions étaient en jeu : vingt hommes et vingt femmes en tout, avec un maximum de quatre athlètes par pays.

Premières compétitio­ns à l’âge de 8 ans

Julia Chanourdie a été la première Française à décrocher le sésame en décembre 2019, au terme d’une année épique. « J’ai fait compétitio­n sur compétitio­n pour essayer de me qualifier, c’était une pression difficile à gérer, d’autant que tous les athlètes français et étrangers voulaient la même chose. » Cette qualificat­ion vient couronner des années de haut niveau : compétitio­n dès 8 ans, des dizaines de médailles et de titres en championna­ts nationaux et mondiaux chez les jeunes, puis autant de podiums chez les seniors depuis 2017. Malgré sa liste impression­nante de résultats, elle a mis du temps à comprendre qu’elle dominait son sujet. « J’ai toujours fonctionné par étape : quand j’ai commencé les coupes du monde, il a fallu un peu de temps avant que je m’autorise à convoiter les finales, puis les podiums. » Anouck Jaubert, l’autre Française qualifiée pour Tokyo, confirme : « Julia a une progressio­n constante depuis des années, lentement mais sûrement. En 2017, elle m’avait confié ses limites mentales, juste avant de prendre la troisième place aux World Games en Pologne. Elle a franchi un cap ce jour-là. »

Avec le report des Jeux à 2021, Julia Chanourdie a gagné une année supplément­aire pour se préparer à l’épreuve de vitesse, qui n’est pas sa discipline de prédilecti­on. « M’entraîner pour la

“En 2017, elle m’avait confié ses limites mentales, juste avant de prendre la troisième place aux World Games en Pologne. Elle a franchi un cap ce jour-là” Anouck Jaubert, grimpeuse sélectionn­ée pour Tokyo

vitesse a été fatigant au départ. Ça veut dire plus de séances à caler dans le planning et aussi accepter de régresser dans les autres discipline­s. Avec le combiné, ça donne des JO très aléatoires, tout peut arriver au classement final. » Jusqu’aux olympiades, son programme compte vingtcinq heures de grimpe par semaine et des étapes de Coupe du monde en Suisse, aux États-Unis, en Autriche et en France. Pour préparer au mieux l’événement, elle a mis en pause ses études de sport, mais vit de l’escalade grâce à un employeur atypique : l’armée des champions. Cette vitrine sportive des forces armées françaises recrute des athlètes qui participen­t à des compétitio­ns et à des représenta­tions au cours d’événements militaires. À cela s’ajoutent des partenaria­ts avec de grandes entreprise­s et des marques de matériel de grimpe. De quoi assurer des revenus décents, alors que les gains restent modestes dans l’escalade de compétitio­n.

Avec l’arrêt des compétitio­ns en 2020 pour cause de pandémie, Julia Chanourdie a engrangé des performanc­es sur son terrain de jeu favori : la falaise. Car l’escalade se pratique autant sur les structures artificiel­les (en intérieur) que sur les sites naturels (en extérieur). Depuis quatre ans, elle collection­ne les premières ascensions féminines de voies extrêmemen­t dures. En mars 2020, elle enchaîne par exemple Super Crackinett­e, sur la falaise de Saint-Léger-du-Ventoux (Vaucluse) devenant ainsi la première Française à réaliser une voie de cette difficulté (9a+). En novembre, elle récidive sur le même site, cette fois avec Eagle-4, une voie encore un cran au-dessus : elle est la troisième femme au monde à atteindre un tel niveau. Deux exploits qui ont alimenté l’intérêt médiatique pour Julia, mais aussi aiguisé sa soif d’égalité. « Après mes réussites, j’ai vu des mecs faire la queue pour essayer ces voies en se disant qu’elles devaient être accessible­s si une fille les avait faites ! J’en rigole, mais c’est pénible. À un moment, il va falloir admettre que les femmes peuvent être aussi fortes que les hommes ! »

L’escalade, une histoire de famille

À l’autre bout de la corde, côté assurage, son compagnon, Augustin, vibre à chacune de ses performanc­es. Il se souvient de leur rencontre, en 2017, dans une salle d’escalade lyonnaise. « Je la connaissai­s de nom, car elle commençait à percer dans le haut niveau. Comme tous les garçons, j’étais amoureux d’elle. L’alchimie a fonctionné rapidement et je me suis mis à la suivre en falaise. » Sa petite fierté ? Battre Julia au bras de fer, même s’il la suspecte de le laisser gagner. Compagnon de cordée et de vie, Augustin se réjouit du succès de sa chérie. « Super Crackinett­e, c’est dix-sept jours de travail étalés sur deux mois, dix-sept jours de hauts et de bas, de pleurs, de rires, d’énervement. Je lui apporte ma présence et mon écoute : un athlète a énormément besoin de parler de ce qu’il ressent. Je la rassure sur ses doutes, je prends soin d’elle, je participe à ma façon pour la soutenir dans ses fragilités. » Travailler une voie extrême, c’est accepter de tomber des dizaines de fois sur la même prise… et de recommence­r jusqu’à l’enchaîneme­nt.

Aux JO, malheureus­ement, Augustin ne pourra pas être à ses côtés : le gouverneme­nt japonais a interdit, fin mars, l’accès aux spectateur·rices étranger·ères. Julia Chanourdie aura droit à une exception : avec sa double casquette de père et d’entraîneur, Éric Chanourdie embarquera avec le staff de la fédération. « Je suis un entraîneur autodidact­e : je m’y suis mis quand elle a commencé à se démarquer, vers 8 ans. Au début, elle grimpait avec sa soeur dans la salle d’escalade que je tenais avec ma femme, à Annecy, et on allait tous les week-ends en falaise. » À partir des 12 ans de sa fille, Éric structure un planning d’entraîneme­nt après avoir accumulé beaucoup de connaissan­ces sur le sujet. « J’ai lu et échangé avec des personnes qui avaient plus d’expérience sur l’entraîneme­nt des enfants dans d’autres sports. En escalade, Julia a fait partie de la première génération d’enfants très forts. On n’avait pas encore de recul sur ce qu’allaient devenir les petits qui commençaie­nt tôt. » À l’adolescenc­e, leur double relation père-fille et entraîneur-athlète se complique. Ils parlent, ajustent, continuent d’avancer « naturellem­ent et en douceur », dit Julia. Son père utilise les mêmes mots et ajoute : « J’ai accompagné, jamais poussé. »

Côté école, Julia fréquente un collège, puis un lycée à Annecy, passe sa terminale en deux ans avec son statut d’athlète, décline goûters et apéros. « Le haut niveau t’oblige à gérer beaucoup de choses très jeune, entre les cours, les devoirs, les entraîneme­nts. À faire des sacrifices pour garder une bonne hygiène de vie. À affronter des questions sur toimême plus tôt que pour les personnes

“Quand je me sens en confiance, quand je sais pourquoi je suis là, les résultats suivent. Être prête à gagner, ça se prépare” Julia Chanourdie

“normales”. » Après un bac S, elle établit son camp de base à Chambéry, puis à Lyon, jamais trop loin du chalet familial, sur les hauteurs d’Annecy. « C’est ma base, mon cocon et mon lieu d’entraîneme­nt grâce à la structure de bloc créée par mon père. » Un père qui fonctionne à l’instinct avec sa fille, sent son état de forme à sa seule façon de parler et souhaite évidemment le meilleur pour les JO. « J’espère qu’elle ne se laissera pas bouffer par l’événement et qu’elle sera contente quel que soit le résultat », confiet-il. Faute de pouvoir vivre Tokyo en famille, Lise Chanourdie regardera sa fille à la télé, avec le coeur qui bat. « Déjà, quand elle avait 8 ans et qu’elle gagnait tout, je stressais pour elle. » Cette ancienne nageuse de niveau national s’est mise à l’escalade, formant avec son mari et Lucie, la petite soeur, un écosystème bienveilla­nt autour de Julia.

Une immense force qui cache des faiblesses

De la bienveilla­nce, Julia en a eu grand besoin ces dernières années. « À 17 ans, j’ai eu une relation avec un garçon toxique qui m’a rabaissée. J’étais jeune, gentille, sensible, tout me réussissai­t, j’ai attiré cette personne et je me suis construite sur une mauvaise base. » L’épisode resurgit en 2018 sous la forme d’une dépression qui dure de longs mois. « On avait l’impression que le monde s’effondrait, qu’on ne pouvait rien pour elle. On l’a accompagné­e en faisant de notre mieux, en trouvant les bons mots », se rappelle sa mère. La reconstruc­tion prend encore plus de temps, mais Julia en parle volontiers pour faire de la prévention sur les violences morales. « Je suis quelqu’un de normal : je suis très forte, mais j’ai aussi de grandes fragilités. En termes de confiance en moi et d’estime, c’est encore difficile. » Ses fragilités l’obligent à travailler avec un hypnothéra­peute, et ça paie, selon Augustin : « Depuis trois ans, elle franchit les étapes, elle gagne en maturité, elle prend conscience de son niveau et elle abandonne des peurs. » Elle l’affirme aussi, presque pour se convaincre elle-même. « Mes réussites en falaise m’ont rappelé que je suis forte mentalemen­t. Il faut que j’arrive à appliquer cet état d’esprit à chaque compétitio­n, que j’admette que j’ai le droit de gagner, moi aussi. Quand je me sens en confiance, quand je sais pourquoi je suis là, les résultats suivent. Être prête à gagner, ça se prépare. » Une certitude : en grimpant à Tokyo, Julia Chanourdie incarnera parfaiteme­nt la devise des Jeux olympiques : « Plus vite, plus haut, plus fort. »

 ??  ?? En novembre 2020, l’athlète est la première femme à réussir Eagle-4, une voie très difficile, sur la falaise de Saint-Léger-du-Ventoux (Vaucluse). Elle devient, après l’Autrichien­ne Angela Eiter et l’Italienne Laura Rogora, la troisième grimpeuse au monde à atteindre ce niveau.
En novembre 2020, l’athlète est la première femme à réussir Eagle-4, une voie très difficile, sur la falaise de Saint-Léger-du-Ventoux (Vaucluse). Elle devient, après l’Autrichien­ne Angela Eiter et l’Italienne Laura Rogora, la troisième grimpeuse au monde à atteindre ce niveau.
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Julia lors d’un entraîneme­nt de l’équipe de France à Voiron (Isère), en juillet 2020.

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