Causette

ANNA MOUGLALIS

COMÉDIENNE

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« Les femmes qui se sont battues et se battent encore aujourd’hui pour le droit à l’avortement, comme au Texas et en Pologne, ont toutes commencé par dire qu’elles avaient avorté. Ces femmes, je les célèbre. C’est pourquoi j’ai pris la parole pendant la conférence de presse de L’Événement pour le dire, moi aussi. Audrey [Diwan, la réalisatri­ce, ndlr] a suivi. On était en Italie. Un pays où 80 % des gynécos sont objecteurs de conscience. Encore cet été, il y a eu l’histoire d’une femme en Sicile qui a dû se mettre en danger pour avorter. Il y a des territoire­s français où c’est aussi un vrai parcours du combattant. En Guyane, énormément de gynécos sont des évangélist­es et mettent des dossiers sous la pile pour que des filles se retrouvent hors délai. Et, comme le dit Paul B. Preciado, toutes les femmes polonaises devraient pouvoir revendique­r le statut de réfugiée politique pour avoir accès à ce droit. J’ai interpellé la salle. C’étaient surtout des femmes. Il y en avait sûrement la moitié qui avait avorté. Les journalist­es ont applaudi. C’était émouvant.

La première fois, j’avais pris la pilule du lendemain. Après coup, j’ai bien senti que j’avais des sensations étranges, j’ai mis ça sur le compte de ce médicament. Mais ça n’a pas marché. J’ai donc dû avorter. Je n’ai prévenu personne. Quelques jours plus tard, pour mes 20 ans, mon père m’a invitée à dîner. Je ressentais encore des effets de l’anesthésie générale. Comme il est médecin, il a vu que quelque chose n’allait pas et s’est inquiété. Je l’ai rassuré : “Je ne suis pas malade, c’est parce que je sors d’une anesthésie, j’ai avorté.” Il a quitté la table et m’a plantée seule au resto. Pour mon deuxième avortement, j’avais dépassé le délai légal. Parce que, encore une fois, je ne pouvais pas imaginer que j’étais enceinte. Grâce à un réseau militant, une gynéco géniale a accepté de me prescrire un avortement médicament­eux hors délai. Le mec – avec qui j’étais mariée – a voulu utiliser ça pendant notre divorce. Il a demandé à l’avocat d’en parler en disant que j’aurais agi sans son consenteme­nt. C’est quelqu’un qui m’aurait envoyée en taule avant la législatio­n… C’est hallucinan­t. J’ai pris la pilule abortive entourée par mes amies et mes filles, à la maison. Un truc de sororité s’est mis en place. Elles sont restées dormir avec moi. Elles me surveillai­ent. En cas de pépin, il fallait que je sois près d’un hôpital. Je savais que je pouvais appeler la femme médecin qui m’avait prescrit la pilule abortive ou me présenter aux urgences. La douleur était présente – on prend un médoc qui provoque des contractio­ns, c’est d’ailleurs là qu’il ne faut pas avoir trop d’imaginatio­n –, mais j’ai eu la chance que ça se passe bien. Je décide de le dire – je prends un risque minime, parce que je n’imagine pas qu’il y aura des poursuites contre moi –, car je suis là pour me battre pour ce droit. Il faut comprendre que l’allongemen­t des délais est demandé par les profession­nels, car ils se retrouvent face à cette situation tout le temps.

Tout ça reste quelque chose de caché parce que avec tout ce qu’il y a à dispositio­n pour ne pas tomber enceinte, les gens pensent que les femmes dans cette situation sont des imbéciles. Non. Les contracept­ions gratuites ne conviennen­t pas à tout le monde. Il y a des accidents de capotes. Et on connaît les violences de mecs qui les retirent pendant l’acte. Un homme m’a sorti récemment – lors d’un festival de cinéma : “Vous avez le droit d’accoucher sous X et nous, on ne peut pas éjaculer sous X…” Il n’y a par ailleurs pas de travail sur la contracept­ion masculine. Tout est fait pour dissuader les hommes de faire une vasectomie. Parler d’ “avortement de confort” me met donc très en colère. Quand on acquiert des droits, une espèce d’endormisse­ment se met en place. Il faut retrouver la netteté de position qu’avaient les militantes et les femmes qui avortaient lorsque c’était illégal. Et dire aux dictateurs de la conscience qu’ils ne s’inquiètent pas : ce sont des choses dont on se souvient, ça n’a rien de confortabl­e. » ●

“Il n’y a pas de travail sur la contracept­ion masculine. Tout est fait pour dissuader les hommes de faire une vasectomie. Parler d’ ‘avortement de confort’ me met donc très en colère”

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