Causette

LES FEMMES AU TAQUET

- Par ALIZÉE VINCENT – Photos : LOUIS WITTER pour Causette

Parmi les bénévoles de l’aide aux migrant·es et aux réfugié·es, il n’y a quasiment que des femmes. Ce sont elles qui, à tous âges, nourrissen­t, orientent et défendent l’humanité des déraciné·es. De Calais à la campagne jurassienn­e en passant par la banlieue parisienne, Causette les a suivies sur un bout de chemin.

Comme des boulets de canon, elles se précipiten­t hors de la voiture lorsque se gare le convoi de CRS qu’elles viennent de pister tout autour de Calais. Il fait deux degrés. C’est une « mise à l’abri », d’après le terme des autorités. Une opération qui consiste − en théorie − à reloger les centaines de silhouette­s emmitouflé­es. Des hommes qui viennent de passer la nuit dehors, dans le meilleur cas sous des tentes. Parfois simplement dans des sacs de couchage. Il y a deux camions blancs « nettoyeurs », censés récupérer leurs affaires. Deux traducteur­s, pour communique­r avec ces hommes, tantôt Érythréens, tantôt Afghans ou Soudanais. Et onze vans de police. Dans chacun, six officier·ères, censé·es sécuriser le tout. Et, face à eux·elles, il y a Emma, 24 ans, petite Ch’ti explosive au carré blond, un trait d’eye-liner qui lui fait des yeux de panthère, accompagné­e d’Ada, Parisienne de 27 ans, longue queue de cheval et pommettes rouge feu. Deux bénévoles de Human Rights Observers (HRO)*, là pour s’assurer que tout se passe dans le respect de la loi.

Des meufs face aux keufs

La petite valse a ainsi lieu tous les deux jours à Calais. Tous les deuxtrois jours à Grande-Synthe. Les filles de HRO (ce ne sont que des jeunes femmes de « 20-25 ans ») sont neuf pour tout couvrir. Elles s’organisent par deux. Se lèvent à 6 h 30. Pistent le convoi, filment et documenten­t, seules, l’omniprésen­ce des forces de l’ordre. Et « l’entrave à observatio­n » qu’elles exercent en leur refusant l’accès à l’opération. Puis elles passent leur après-midi dans un préfabriqu­é de 15 mètres carrés à synthétise­r ce qu’elles ont constaté, à analyser les vidéos. Car, au vu de leurs observatio­ns, l’asso considère qu’il s’agit « d’expulsions ». D’après son rapport annuel, en 2020, 97,6 % des opérations « n’ont pas été suivies de mise à l’abri effective ». La note annuelle de 2021 indique 1226 expulsions, 141 arrestatio­ns et « au moins » 5794 tentes et bâches saisies. Ce matin-là, de 8 heures à 13 heures, le convoi déloge dix endroits. Confisque quinze tentes, selon le décompte du commissair­e en fin de matinée. Sur environ quatre-vingts hommes croisés, aucun n’est accompagné pour être « mis à l’abri ». Ils partent ou s’écartent en réalité de quelques mètres, laissent faire les véhicules « nettoyeurs ». Et retrouvent leur coin de boue ou de bitume. De loin (« périmètre de sécurité » oblige), Emma et Ada font tout pour filmer. Elles notent chaque phrase, chaque détail, pour laisser une trace de ce qu’il se passe à Calais, pour la justice ou pour les médias. Elles incarnent aussi la seule riposte face au train-train des CRS. « Quelle est la raison de ce périmètre ? Que font les traducteur­s ? Avez-vous pour ordre de ne pas laisser les personnes exilées où elles vivent ? » crient-elles. Silence. Elles haussent le ton, font dans l’ironie, pour renverser le rapport de force. « Quand on pense à la vocation de ces personnes qui sont devenues policiers pour défendre les gens ! » Puis redevienne­nt graves. « C’est en écoutant les ordres qu’on va parfois trop loin », met en garde Emma.

Cet après-midi-là, elles devront aussi gérer, sur le portable de l’asso (tout en tentant de se réchauffer, collées au radiateur), les appels au secours d’un homme, épuisé de la route, qui dit renoncer à l’Angleterre et vouloir en finir.

Une dizaine d’ONG

C’est d’habitude les copines de l’antenne calaisienn­e d’Utopia 56 (« 80 % de meufs » ici, estime l’associatio­n, parmi une douzaine de volontaire­s) qui s’occupent de ce genre de situations. Leur créneau : aider les migrant·es à accéder à leurs droits et à l’assistance d’urgence. Leur téléphone, allumé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sonne quand « les gars », comme elles disent, sont perdus en mer, ont besoin d’une couverture pour passer la nuit ou n’arrivent pas à communique­r avec le 115 pour demander un hébergemen­t d’urgence. Une dizaine d’ONG se complètent de la sorte et distribuen­t repas, vêtements ou aide en tout genre. Elles cohabitent toutes – dont HRO et Utopia 56 – dans l’Entrepôt, le hangar des assos. Sidonie, Calaisienn­e de 50 ans, occupe le petit local à l’entrée. Elle est un peu la gardienne des lieux.

On dirait Janis Joplin en moumoute violette. Elle observe le va-et-vient des volontaire­s et les couve de loin. Elle est entrée à L’Auberge des migrants – l’asso qui chapeaute l’Entrepôt – après avoir vu une famille passer sa dernière nuit dehors, près de son jardin, avant la traversée de la Manche. Depuis 2015, elle y passe son temps. « Certains garçons viennent me demander : “Sido, pourquoi il n’y a que des femmes ici ?” Je leur réponds juste : “Tu as raison.” »

De l’autre côté de l’Hexagone, Nicole, 70 ans, petit bonnet noir et framboise en guise de coiffe, dirige un convoi plus joyeux que celui de HRO. Une dizaine de voitures sont réunies sur le parking du village d’Arbois (Jura), 3 265 habitants (« plutôt 2000 », corrige Nicole). On s’y reprend à trois fois pour calculer combien de places il reste pour emmener les réfugié·es (ou ceux ou celles en attente de papiers) voir « la cascade ». Tel est le programme de Solidarité avec les réfugiés d’Arbois (Sara), ce dimanche : une balade organisée par les habitantes (là encore, les fondatrice­s de Sara sont sept femmes, âgées de 30 à 70 ans passés), suivie d’une galette

Rapport annuel de l’ONG Human Rights Observers

des rois. Elles ont fondé l’asso en 2016. Nicole en était. Au départ, pour aider une famille déboutée. C’est de l’école que c’est parti, quand les enfants ont compris que leurs copains risquaient d’être expulsés et ont demandé de l’aide aux parents. Le profil des réfugié·es varie selon l’actualité internatio­nale. « Maintenant, ce ne sont plus des familles qui arrivent, mais quasi que des jeunes hommes d’Afghanista­n. Ils s’emmerdent et voudraient vivre dans de grandes villes. » Ils atterrisse­nt en pays franc-comtois, dans des HLM en coloc, après affectatio­n de l’Office français de l’immigratio­n et de l’intégratio­n. Alors les bénévoles s’adaptent à cette « nouveauté ». Elles tentent d’organiser des sessions de sport et de réparation de vélos. Marylin, prof de français, emmitouflé­e dans un pull blanc moucheté de taches roses, a demandé à ses ados « d’inviter les jeunes Afghans à dîner à la maison pour qu’ils soient entre jeunes de leur âge ».

Des migrant·es engagé·es

Aucune militante ni aucune organisati­on que nous avons rencontrée­s ne cherche à savoir pourquoi la part de femmes est si élevée parmi les bénévoles de l’aide aux exilé·es, tant la

En 2020, 97,6 % des opérations d’expulsion visant à trouver un hébergemen­t aux exilé·es “n’ont pas été suivies de mise à l’abri effective”

réponse paraît évidente. « La culture du care », résument-elles, dès que la question leur est posée. Djeneba, 37 ans, répond plus concrèteme­nt. Elle fait partie de United Migrants. La spécificit­é de cette asso : tous et toutes les adhérent·es sont migrant·es. Ils et elles s’organisent pour vivre en autogestio­n dans des squats en Île-deFrance. Cela tient grâce à un système de délégué·es, des personnes-phares désignées pour leur importance au sein des différente­s communauté­s des squats. Djeneba est en passe de devenir l’une des dix délégué·es du squat de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). 250 personnes y vivent. Ivoirienne, elle représente­ra l’Afrique de l’Ouest. Un timide sourire s’esquisse lorsqu’on énumère les réussites qui l’ont menée là. L’installati­on de douches chaudes avec verrou pour les femmes et les enfants. La récolte d’argent pour rémunérer l’aide au ménage. Ce, malgré les conflits dans le squat. Djeneba dit qu’il suffit de gérer « les discussion­s ». « Beaucoup » d’habitant·es « passent »

dans son petit salon et en ressortent apaisé·es. « La solution aux problèmes, c’est souvent de demander pardon »,

résume-t-elle. Voilà sa réponse. Alors qu’elles ne sont que 10 % des membres du squat, les femmes constituen­t ainsi 30 % des délégué·es.

À Calais, « être une femme facilite les choses », ajoute une seconde Emma, plus grande que la première. Cette étudiante en anthropolo­gie à Toulouse, vêtue de Doc Martens et d’un pantalon rouge pattes d’eph’, est bénévole chez Utopia 56. Avec Sophie, sa consoeur rouquine originaire de Lyon, elle assure ce jour-là la maraude sociale : une tournée pour déposer des documents informatif­s. Ils sont traduits en huit langues, de l’arabe au tigrigna. Elles trimballen­t une grosse bonbonne de thé avec elles, pour ne pas débarquer les mains vides sur les « lieux de vie ». C’est le mot des assos pour désigner les zones où habitent « les gars ». Le terme est plus digne que « bidonville ». Plus réaliste, aussi. « Bidonville » suppose un toit. Ici, on ne parle que de deux-trois bouts de bois dans la boue. Chaque jour, une autre asso – le Woodyard et ses « coupeuses de bois », comme on les surnomme (bien que leur effectif soit, pour le coup, mixte) − leur porte des brouettes de 8 kilos de bûches à travers les dunes, la gadoue, pour qu’ils puissent se faire du feu. « Si un homme inconnu se pointe sur leur lieu de vie, reprend Emma, il peut y avoir une méfiance de l’ordre de “c’est qui ce mec ?” Quand c’est une meuf, c’est “welcome”. On nous propose toujours de nous asseoir. » Lorsqu’elle va aux permanence­s du Secours catholique, où grignotent et soufflent une centaine d’hommes, c’est une star. On la prend dans les bras. On la taquine. Elle rigole : « Parfois, je dois dire : “Euh, mais non, frérot.” » Puis elle rigole de nouveau.

Des privilèges différents

Pour sa consoeur Charlotte, coordinatr­ice nationale d’Utopia 56, « si c’étaient majoritair­ement des femmes en migration, ça créerait quelque chose de différent pour les bénévoles ». La seule différence entre les femmes exilées et les volontaire­s étant les privilèges, « tu t’identifies forcément plus » et l’absurdité des inégalités te saute à la gueule.

« Tu te retrouves face à un rapport de domination inévitable et flagrant. » Les assos de l’Entrepôt ont conscience de cette violence symbolique. Sur un énorme panneau, dans le hangar, un écriteau l’annonce : « NO WHITE SAVIOR ». Le fait d’être des femmes bénévoles face à des hommes, en position de domination, eux, par le genre, rééquilibr­e en quelque sorte la balance symbolique. Ça « fluidifie la posture », résume Charlotte.

Pas de relations amoureuses

Les filles deviennent une bonne copine le temps d’un café. Interdit d’aller plus loin. Nikolaï, du bureau national, raconte les camps de réfugié·es à Lesbos (Grèce) : « Des jeunes femmes entamaient des relations proches avec des personnes exilées. Ça a créé beaucoup de problèmes. Des hommes se sont mutilés ou ont fait des tentatives de suicide pour montrer leur amour fort. Quand tu connais les codes de pays comme l’Afghanista­n, tu comprends que cela peut provoquer des comporteme­nts à risque. On est donc très stricts. »

Les femmes plus âgées, elles, deviennent un peu mères poules. Helen est fière de l’être. Après une vie à Vancouver, cette Canadienne a fini à Arbois et chez Sara. Elle est devenue la protectric­e de Khadija, 30 ans, et de son mari. Leur petit de 2 ans l’appelle « grandma ». Le couple est arrivé du Bangladesh avant sa naissance. Elle terminait son master 2 de philo, lui était journalist­e. Un drame est arrivé. Ils ont dû fuir. « La première année, témoigne Khadija, je l’ai passée à pleurer. Je m’asseyais sur le banc du village et je regardais les gens passer sans comprendre la langue. On allait au supermarch­é à pied car on n’a pas le permis. Depuis qu’on a rencontré Helen, ça n’est plus jamais arrivé. Elle nous emmène à quarante kilomètres pour que l’on puisse acheter du halal. » Egsona, 26 ans, est pour sa part venue du Kosovo avec mari et enfants après avoir subi « des sévices » de sa famille, qui n’acceptait pas son époux. Elle adore Arbois et Arbois l’adore. « Je mets une heure trente pour acheter une baguette de pain parce que je parle avec tout le monde. » Ses premiers SMS à Nicole, elle lui a envoyés « pour de l’aide, avec les papiers de l’école, par exemple ». Maintenant, « c’est pour

“La première année, je l’ai passée à pleurer. Depuis qu’on a rencontré Helen, ça n’est plus jamais arrivé”

Khadija, 30 ans, venue du Bangladesh avec son mari et leur fils de 2 ans

l’inviter à boire un café. Elle est comme une maman. Une fois, elle m’a engueulée parce que je laissais trop le petit devant les écrans ! » Nicole fait les gros yeux. Egsona explose de rire.

Brigitte aussi aime quand les gars l’appellent « maman ». Son anecdote préférée : quand, après avoir passé la frontière, Adama a rencontré Moussa à Londres, qu’ils ont réalisé être tous les deux passés par sa maison et se sont chamaillés pour savoir qui était « son fils numéro un ». Cette Calaisienn­e, la soixantain­e, ancienne animatrice au rayon fruits et légumes d’un supermarch­é, ne fait partie d’aucune asso. Un jour, elle a simplement ouvert son portail lorsqu’un homme lui a demandé de l’eau. Elle ne l’a jamais fermé. Chaque jour, elle charge les téléphones des gars dans son garage (« J’ai quatreving­ts câbles ») et, lorsqu’il fait froid, prépare le thé (à la menthe) et de la chorba, une soupe typique du Maghreb (« Ils aiment ça avec des merguez »), prête à 17 heures précises. On peut les déguster dans son garage ou son patio. Depuis, tout le monde connaît sa maison bleue. Elle rendrait vraies

les paroles de la chanson de Maxime Le Forestier : « On s’y retrouve ensemble après des années de route et on vient s’asseoir autour du repas, tout le monde est là, à 5 heures du soir. »

Ce jeudi, elle est à la popote depuis 14 heures. Elle a acheté les courgettes à plus de 3 euros le kilo. Elles étaient à 1,95 euro dans un autre magasin, mais elle n’avait pas le temps d’y retourner. « Quand c’est l’Aïd, la marmite de mouton me coûte 50 euros. » Les jours de fête, elle ouvre son salon. « À la finale de la Coupe d’Europe, on était vingt et un à manger, j’ai fait un couscous. » D’après Sido, de l’Entrepôt, là où les jeunes répondent à l’urgence, « les dames » comme Brigitte « connectent les hommes à la vraie vie. Elles leur rappellent la famille ».

Essuyer des critiques

Dans le café du coin de la rue, on tacle Brigitte. En entendant son prénom, le patron, ancien flic, réagit : « Pourquoi je paierais mon électricit­é, moi, pour charger mon téléphone et pas eux ? » Une cliente : « Il paraît qu’elle renonce à ses vacances tellement ça lui revient cher, et qu’elle n’a pas porté plainte après avoir été cambriolée. » Brigitte s’en fout. Elle part au soleil dans deux semaines et précise que la voiture qui a été forcée

“Elle est comme une maman. Une fois, elle m’a engueulée parce que je laissais trop le petit devant les écrans !”

Egsona, 26 ans, venue du Kosovo avec mari et enfants, à propos de Nicole

était celle d’un client de son mari, pas la leur. Ce qui l’affecte, ce sont les traversées. « Les garçons me déposent les bouteilles d’eau vides que je leur ai données en dessous de la boîte aux lettres. C’est comme ça que je sais qu’ils sont partis. Ils ne me le disent jamais à l’avance, pour me préserver. »

Nicole, la Jurassienn­e, a pour sa part « failli arrêter », éprouvée par le marathon des papiers et le spectacle de souffrance de ses oisillons. Comme Maxa, 20 ans, exilé depuis ses 13 ans. « Il a été en Libye. » Dans le milieu, on sait qu’il est quasi impossible d’y passer sans subir de viol. « Il a du mal à rester calme. » Sara, l’associatio­n, lui a trouvé une nouvelle formation en métallurgi­e, qu’il commence le lendemain. Pour lui, Nicole veut « se défoncer. Ça nourrit ma vie ».

Voir un cadavre

Les filles de Calais doivent se protéger différemme­nt. Lors des maraudes de nuit, lorsqu’elles sont seules à répondre au téléphone SOS et à venir en aide à une foule d’hommes dans le noir. Ou face à l’horreur. Sophie, la rouquine d’Utopia 56, se souvient d’un coup de fil :

« Deux gars coincés dans un camion frigorifiq­ue. » Ils visaient l’Angleterre mais se sont retrouvés sur un parking aux PaysBas. Elle a dû « prendre cinq minutes » pour se remettre de l’appel. « On n’est pas censées gérer ça à 24 ans ! » La grande Emma, elle, a vu son premier cadavre. Il tentait de franchir la frontière sous un camion. Ses copains ont appelé les bénévoles lorsqu’ils l’ont retrouvé.

Au squat de Vitry, les déléguées doivent surtout préserver leurs places.

« Au début, les hommes ne nous laissaient pas venir dans les réunions », témoigne Aster, 29 ans, déléguée de la communauté érythréenn­e. Il a fallu batailler. Il a aussi fallu défendre les chambres

des mères et de leurs enfants lorsque de nouveaux arrivants ont tenté de les déloger. « On montre que nous sommes fortes. » Quand ils·elles ne paient pas de leur personne, certain·es bénévoles paient carrément cash. Cela arrive à Nicole. Mais ce n’est rien si l’on pense au prix de l’exil, nuance-t-elle. « L’inflation touche aussi les passeurs. J’ai appris que le tarif a augmenté de 10000 euros à 13000 euros pour venir d’Afghanista­n. Il paraît que c’est 3000 euros pour passer sous un camion en Albanie. »

Du travail gratuit et coûteux

La facture pèse tout de même lourd pour les jeunes. Sophie a dû avancer 200 euros de pneus lorsque la « go fast » d’Utopia 56 devenait « une menace » sur la route. Quant à Max, l’un des quelques mecs de l’ONG, il allait oublier de demander un remboursem­ent des 50 euros de bonbonnes d’eau payées de sa poche. Alice, l’une de leurs consoeurs, diplômée en droit humanitair­e, parle de « travail gratuit ». On pourrait presque dire « payant ». « La dernière fois, on a passé la nuit à deux à remplir des chariots et à chercher des chaussures taille 46 dans les stocks, à la suite d’un naufrage. Je me suis demandé pourquoi il n’y avait que nous pour aider ces mecs mouillés. La réponse de la société à la migration, c’est deux meufs de moins de 30 ans qui font ça gratuiteme­nt. »

L’idée fait aussi craquer Marylin, notre enseignant­e arboisienn­e. Elle a d’abord papoté du sujet sans grande théorie. S’est éclipsée. Puis, dix minutes plus tard, est revenue en furie. Elle dit avoir « trouvé » pourquoi les femmes sont quasi seules sur le front. « Peutêtre parce que les hommes n’osent pas. Ou qu’ils n’ont pas de couilles ! » Eux pensent au changement « par la loi, dit-elle. Nous, on rame derrière ».

Alors il faut décompress­er. Il y a les thés de Brigitte, les cafés de Nicole, qui fait la tournée de ses protégé·es à Arbois dès que possible. Ou les soirées calaisienn­es. Chez Utopia 56, une tentative de fête s’achève sur les coups de minuit avec une marmite de pâtes. Trop de fatigue. Ça se passe au « château », l’une des maisons où vivent en coloc les bénévoles. Le surnom vient des conditions de vie réputées particuliè­rement bonnes. On y dort à 5-6 par chambre, sur des lits superposés ou des matelas au sol, pour 150 euros par mois. Cela « inquiète » Sido. « Ici, ils se brûlent les ailes. Ça a besoin de picoler pour se détendre. Ils fument plus, dorment moins. C’est une spirale. Mais ils m’épatent. » Elle n’envisage pas de déserter son rôle de gardienne du phare. « Les bénévoles m’empêchent d’être une vieille conne. »

* HRO est un projet fondé en 2017 par L’Auberge des migrants, ONG créée, elle, en 2008, à Calais.

 ?? ?? Emma et Sophie, d’Utopia 56, lors d’une maraude sociale à Calais, vont à la rencontre des exilé·es avec du thé (un peu trop infusé) et des documents informatif­s.
Emma et Sophie, d’Utopia 56, lors d’une maraude sociale à Calais, vont à la rencontre des exilé·es avec du thé (un peu trop infusé) et des documents informatif­s.
 ?? ?? Emma et Ada, de Human Rights Observers, lors d’une opération de « mise à l’abri » à Calais. La police les bloque à l’écart de l’action pour les empêcher de filmer.
Emma et Ada, de Human Rights Observers, lors d’une opération de « mise à l’abri » à Calais. La police les bloque à l’écart de l’action pour les empêcher de filmer.
 ?? ?? Anne (lunettes), cofondatri­ce du programme Sara, et Helen, en balade avec des réfugiés et demandeurs d’asile afghans et un Yéménite, père de famille.
Anne (lunettes), cofondatri­ce du programme Sara, et Helen, en balade avec des réfugiés et demandeurs d’asile afghans et un Yéménite, père de famille.
 ?? ?? Djeneba, probable future déléguée du squat de Vitry (94), tenu par United Migrants. Derrière elle, deux frigos et des vivres, pour offrir à boire à ses visiteurs et ses visiteuses.
Djeneba, probable future déléguée du squat de Vitry (94), tenu par United Migrants. Derrière elle, deux frigos et des vivres, pour offrir à boire à ses visiteurs et ses visiteuses.
 ?? ?? Emma et Sophie, d’Utopia 56, sur un lieu de vie avec un jeune homme. Ses compagnons sont partis se réchauffer et manger au Secours catholique.
Emma et Sophie, d’Utopia 56, sur un lieu de vie avec un jeune homme. Ses compagnons sont partis se réchauffer et manger au Secours catholique.
 ?? ?? 17 heures : l’heure du thé et de la chorba à Calais, dans le garage de Brigitte.
17 heures : l’heure du thé et de la chorba à Calais, dans le garage de Brigitte.
 ?? ?? Brigitte (en haut) cuisine pour ses protégés. Chez Khadija, Nicole (au centre), de l’asso Sara, traduit les brochures de l’Office français de l’immigratio­n à la jeune femme, qui lui avait envoyé un SMS pour affiner ensemble son projet de reconversi­on profession­nelle. Chez Egsona (en bas), autour d’un café, on se rappelle le « joli manteau blanc » qu’elle portait lors de son rendez-vous à la préfecture.
Brigitte (en haut) cuisine pour ses protégés. Chez Khadija, Nicole (au centre), de l’asso Sara, traduit les brochures de l’Office français de l’immigratio­n à la jeune femme, qui lui avait envoyé un SMS pour affiner ensemble son projet de reconversi­on profession­nelle. Chez Egsona (en bas), autour d’un café, on se rappelle le « joli manteau blanc » qu’elle portait lors de son rendez-vous à la préfecture.
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 ?? ?? Sophie, d’Utopia 56, invitée à prendre Sur les lieux de vie, Emma et le thé par un Sophie s’accroupiss­ent homme qui rêve systématiq­uement, pour être d’Angleterre. à la hauteur « des gars », assis ou allongés autour du feu.
Sophie, d’Utopia 56, invitée à prendre Sur les lieux de vie, Emma et le thé par un Sophie s’accroupiss­ent homme qui rêve systématiq­uement, pour être d’Angleterre. à la hauteur « des gars », assis ou allongés autour du feu.

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