LES MAUX ET LA MÉMOIRE
Toni Morrison considérait Corregidora, le premier roman de Gayl Jones, comme une oeuvre fondatrice : « Personne, plus jamais, n’écrira de la même façon sur les femmes noires après ce roman. » Paru en 1975 aux États-Unis, ce livre culte et sulfureux est traduit pour la première fois en France. L’histoire s’ouvre en 1940 au Kentucky. Ursa Corregidora, chanteuse de blues, est tabassée par son mari jaloux. À l’hôpital, elle apprend qu’on doit lui retirer l’utérus. Ursa avait pourtant promis à sa mère et à sa grand-mère qu’elle transmettrait son histoire à ses enfants, celle d’une petite fille d’esclave hantée par les récits de viol et de torture de ses ancêtres. Comment honorer son devoir de mémoire ? Au fil d’un chant argotique et désespéré, Ursa nous raconte sa quête impossible d’indépendance et d’amour. Personnalité mystérieuse, adulée par James Baldwin ou Maya Angelou, Gayl Jones a aussi suscité des réactions hostiles (Audre Lorde entre autres), en raison du regard parfois désobligeant (courant, à cette époque) de certains de ses personnages sur le désir queer. Corregidora est pourtant un livre éprouvant et sublime, qui, comme la voix d’Ursa « sonne dure, met en compote mais donne envie d’écouter quand même ». ●
Corregidora, de Gayl Jones, traduit de l’anglais (États-Unis) par Madeleine Nasalik. Éd. Dalva, 270 pages, 21 euros. Sortie le 3 mars. Palmares, paru en 2021 chez Beacon Press, sera édité chez Dalva en 2023.