Aubry, le parti de la naphtaline
Personne n'est obligé d'approuver toutes les propositions d'emmanuel Macron pour relancer la croissance. Mais au lieu d'ouvrir le débat, Martine Aubry et la gauche du PS ont choisi de dialoguer au bazooka.
Cest une femme intelligente. Elle gagnerait cependant à être un peu moins sévère avec les autres, et à donner plus d’elle-même1. » Si Martine Aubry avait voulu, vingt-cinq plus tard, justifier ce jugement de François Mitterrand, elle n’aurait pas fait d’autres déclarations lors de sa conférence de presse de rentrée, à Lille. Reconnaissons qu’elle s’est surpassée. Dans le flingage des autres, d’assez loin son passe-temps favori, elle a atteint un sommet avec son « rasle-bol » d’emmanuel Macron. Et dans l’art de se défiler, force est de lui concéder qu’elle a battu des records de mauvaise foi. « Il y a trois mois, tout le monde disait que j’étais finie et aujourd’hui il faudrait que j’aille me présenter dans les treize régions », s’est-elle indignée quand des journalistes ont osé lui demander si elle pourrait être candidate aux élections régionales de décembre. Pas dans les treize régions. Dans le Nord seulement, à domicile, contre Marine Le Pen, l’autre héritière de la politique française qui, elle, ne fuit pas le combat.
Orpheline de l'élysée
Avant d’incarner sa caricature, Martine Aubry a pourtant représenté un espoir de renouveau pour la gauche, au début des années 1990. Un peu comme… Emmanuel Macron aujourd’hui. On exagère à peine : elle n’était pas aussi libérale que l’actuel ministre de l’économie, mais elle n’hésitait pas à enfreindre les tabous avec entrain. À dégommer les 35 heures par exemple. Dans un congrès de la CFDT, qui plus est, sous les huées des militants : « J’ai bien compris qu’ici, pour se faire applaudir, il faut parler de la réduction du temps de travail. Vous allez être déçus. Je ne crois pas qu’une mesure générale de diminution du temps de travail créerait des emplois2. » C’est ainsi : l’ex-provocatrice Aubry ne supporte pas le provocateur Macron. Il y a longtemps qu’elle a tourné casaque. Dès 1997, dans le gouvernement Jospin, elle s’est muée en « dame des 35 heures ». Comment expliquer un retournement aussi rapide ? Il est cousu de fil rose : elle a voulu corriger une image quelque peu droitière – comme celle de Macron aujourd’hui, toujours – pour être un jour la candidate du PS à l’élection présidentielle. Cette héritière est aussi une orpheline. Orpheline de l’élysée. Elle s’est toujours sentie tellement supérieure aux dignitaires socialistes mâles – des « couilles molles », serinait-elle en privé – qu’elle a été longtemps convaincue qu’elle finirait par prendre l’ascendant sur eux. C’était écrit : elle serait la première femme présidente de la République. En 1995, son père, Jacques Delors, a renoncé à se présenter à l’élysée aussi pour ne pas gêner le destin de sa fille.
Excommunier, épurer, encore et toujours
Le plus dur pour Martine Aubry a été d’être battue lors de la primaire socialiste de 2011 par François Hollande, à ses yeux un authentique représentant de « la gauche molle ». Pourquoi a-t-elle échoué ? Sans doute parce qu’il y a toujours eu chez elle, même quand elle plaisait à la droite, un fond de manichéisme. « La gauche défend des valeurs, la droite défend des intérêts », a-t-elle déclaré un jour sérieusement. Un autre jour, elle a assuré que seuls les hommes et femmes politiques de droite avaient de « l’ambition personnelle ».À gauche, l’ambition était « collective », forcément collective. Difficile dans ces conditions d’arriver au sommet : la maire de Lille a toujours eu l’élysée en point de mire tout en se défendant d’y penser jamais.
L’affaire Macron est révélatrice de l’état de fossilisation de la gauche. On n’est pas obligé de succomber au charme du ministre de l’économie, et on peut considérer que ses audaces sont surtout verbales. Reste qu’on serait en droit, au PS comme au Front de gauche, de se demander pourquoi il est le seul ministre à avoir fait une percée dans l’opinion, y compris dans l’opinion de gauche. La réponse à cette question est, il est vrai, dérangeante pour la « vraie » gauche : Macron est dans la vie, le réel, pas dans l’idéologie, la naphtaline.
Le ministre de l’économie est aujourd’hui l’un des rares atouts de la gauche, mais de tous côtés, à gauche, on le presse de se taire, quand on ne lui demande pas de démissionner. La gauche n’a jamais été aussi minoritaire, mais pour les gardiens du temple, l’urgence est d’en expulser tous les éléments douteux, Macron, mais aussi Valls. Il y a « une gauche qui n’est plus de gauche », tonne Martine Aubry. Encore et toujours, il convient d’excommunier, d’épurer.
Le pire est que l’opposition vole régulièrement au secours de cette vision stalinienne de la gauche. Nicolas Sarkozy vient ainsi d’inviter Macron à rejoindre la droite. Mais qui, dans les pays d’europe du Nord, a mis en oeuvre depuis quinze ans des réformes du marché du travail autour de ce que l’on appelle la flexisécurité ? Des sociaux-démocrates ! Qui vient de réformer en Italie le statut des fonctionnaires ? Un social-démocrate ! Qui, en France, a pris grand soin durant son quinquennat de ne toucher ni au marché du travail ni au statut des fonctionnaires ? Nicolas Sarkozy ! Si le ministre de l’économie voulait être certain
que ses idées n’entrent jamais en application, le plus sûr moyen pour lui serait de rallier l’exprésident… Les députés Les Républicains n’ont même pas eu le courage de voter la loi Macron à l’assemblée nationale, alors que beaucoup l’approuvaient en off.
Fonctionnaires, une nouvelle aristocratie
En France, la droite est aussi fossilisée que la gauche. Cela donne un débat politique cadenassé, où il est entendu que pour être vraiment de gauche il faut penser peu ou prou comme Jean-luc Mélenchon : se soucier comme d’une guigne de la compétitivité des entreprises ainsi que de la réduction du chômage (ça va de pair), pour réclamer sur tous les tons la fin de l’austérité, c’est-à-dire, soyons clair, l’augmentation des salaires des fonctionnaires. Il faut le dire et le répéter : ce discours soi-disant vraiment à gauche est un discours de classe. Le discours de fonctionnaires – au PS et au Front de gauche, il n’y a que ça, à tous les étages – qui se prennent pour la nouvelle aristocratie du salariat depuis la descente aux enfers de la classe ouvrière. La gauche sociale-démocrate, celle qui ne fait pas semblant de s’être ralliée à l’économie de marché, mais qui en tire les conséquences, est peutêtre frelatée mais elle a le mérite de s’intéresser aussi aux salariés du privé. Macron assure que la multiplication des lignes d’autocars, encouragée dans sa loi, a déjà créé plusieurs centaines d’emplois. Pas de quoi inverser la courbe du chômage, on en convient, mais rien que pour ça, on aimerait que les « frondeurs » du PS fassent un début d’autocritique : ils ont contraint Valls à employer l’article 49-3 pour faire adopter la loi Macron. Ces « frondeurs » connaissaient leurs classiques : qui dit « aides aux entreprises » dit « cadeaux aux patrons » !
Contrairement à l’affirmation de Martine Aubry, « l’arrogance » n’est pas dans le camp d’emmanuel Macron, et plus généralement des sociauxdémocrates. Mais dans le camp de ceux qui revendiquent encore et toujours le monopole de la gauche et rabaissent les sociaux-démocrates au rang de « sociaux-libéraux » aujourd’hui, comme ils les traitaient hier de « valets du grand capital ». Ras le bol de la gauche Aubry ! • 1. Citation extraite de Martine Aubry, enquête sur une énigme politique, Calmann-lévy, 1997. 2. Ibid.