Causeur

Un consistoir­e musulman, vite

- Daoud Boughezala

J'ai fait un rêve : après les attentats de janvier, les imams de France appelaient leurs fidèles à se soulever contre le terrorisme, le Conseil français du culte musulman acceptait la liberté de blasphémer, et des centaines de milliers de jeunes marchaient la main de Fatma sur le coeur au cri de « Pas en mon nom ! ».

Hélas, ce n’était qu’un rêve. Revenu à la raison, j’ai dû me rendre à l’évidence : les tristes constats que dresse Camille Desmoulins (pseudonyme d’un haut fonctionna­ire français) dans L’islam au feu rouge sont criants de vérité. Ainsi, véritable allégorie de l’islam de France, le recteur de la Grande Mosquée de Paris et président du CFCM, Dalil Boubakeur, s’avère aussi handicapé et ambigu que l’institutio­n qu’il dirige. Ce modéré proche du pouvoir algérien, par ailleurs bête noire des islamistes, court pourtant après leur base en voulant transforme­r les églises en mosquées, quelques années après avoir porté plainte contre les caricaturi­stes de Mahomet qui trépassera­ient en 2015 dans la tuerie de Charlie Hebdo. Plus généraleme­nt, ces vingt-cinq dernières années, le processus d’institutio­nnalisatio­n du culte mahométan n’aura abouti qu’à une bataille rangée entre agents de l’étranger (Algérie, Maroc, Turquie…) jaloux de leur prestige et de leurs prébendes.

La faute à l’état d’« apartheid » (Manuel Valls) qui amalgame et stigmatise ? Mauvaise pioche ! Desmoulins démonte l’idée reçue selon laquelle les pouvoirs publics mettraient des bâtons dans les roues aux associatio­ns islamiques ; à Lyon, riverains et militants laïcs ont par exemple multiplié les recours juridiques contre la constructi­on de la Grande Mosquée, répugnant à voir leur environnem­ent changer d’apparence et de culture, malgré la bénédictio­n de l’état. Dans bien des banlieues, la mosquée a été utilisée comme une soupape de sécurité, sinon un moyen d’acheter la paix sociale.

Et qu’on ne nous dise pas qu’il est impossible d’organiser la deuxième religion de France sous prétexte qu’elle ne possède aucun clergé centralisé. Il y a deux siècles, le judaïsme français, au moins aussi mal perçu que l’islam d’aujourd’hui, y parvint grâce aux efforts conjugués de Bonaparte et des rabbins qui allaient fonder le Consistoir­e. Ce ne serait donc pas la verticalit­é de l’islam sunnite mais l’absence de volonté politique de ses représenta­nts qui expliquera­it la chienlit actuelle, mettant sur un pied d’égalité les prêches républicai­ns de l’imam de Bordeaux et les divagation­s de son homologue salafiste brestois, lequel promet la damnation éternelle aux mélomanes.

Certes, Camille Desmoulins pèche quelque peu par fonctionna­lisme technocrat­ique lorsqu’il exhorte les religieux musulmans à unir leurs forces pour jouer le jeu de la République, malgré les échecs des ministres de l’intérieur successifs (Joxe, Pasqua, Chevènemen­t, Sarkozy) en la matière. D’aucuns jugeront sa supplique vaine, en ce qu’elle fait délibéréme­nt l’impasse sur les rugosités du Coran. Mais plutôt que de pleurer sur le lait renversé, retrousson­s-nous les manches afin d’immerger l’islam français dans son bain tricolore. Allez, enfants de la patrie… •

 ??  ??
 ??  ?? Camille Desmoulins, L'islam au feu rouge, Éditions du Cerf, 2015.
Camille Desmoulins, L'islam au feu rouge, Éditions du Cerf, 2015.

Newspapers in French

Newspapers from France