Causeur

Alstom, un scandale français

- Benjamin Masse-stamberger

Dans son essai sur le rachat d'alstom par General Electric, Jean-michel Quatrepoin­t pointe l'impéritie de notre État stratège.

On voudrait se tromper. Croire que notre économie et son socle industriel ne sont pas dans l’état de déliquesce­nce que l’on suspecte. Que nos dirigeants ne sont pas aussi irrémédiab­lement lâches et impuissant­s qu’on le pense, malgré la multiplica­tion des preuves du contraire. Que nos élites administra­tives, en particulie­r à Bercy, résistent encore, au moins un peu, aux vents dominants de l’ultralibér­alisme. À cet égard, l’ouvrage de Jean-michel Quatrepoin­t sur l’affaire Alstom (Alstom, scandale d’état, Fayard) est parfaiteme­nt déprimant. Car il apporte la preuve, par l’exemple, qu’il en est bien ainsi.

Et quelle preuve : Alstom, l’un des derniers fleurons de l’industrie française, vendu à la sauvette l’an passé à l’américain General Electric. Au risque de déstabilis­er ce qu’il reste de notre filière nucléaire – et le pan de souveraine­té qui va avec –, devenue dépendante du bon vouloir des Américains. Les moulinets d’arnaud Montebourg n’y ont rien changé, ou si peu.

Bien sûr, l’état français n’avait pas forcément toutes les cartes pour agir : Alstom est une entreprise privée, et les Yankees ont déployé une force de frappe massive pour parvenir à leurs fins – batteries de communican­ts, lobbyistes appointés et banquiers grassement rémunérés pour remporter la bataille contre Siemens, autre candidat à la reprise du groupe. Mais ce qui choque, c’est que la bataille a été perdue avant même d’avoir été livrée : dès le départ, on sent que Hollande, Valls et Macron savent bien que GE va emporter le morceau. Il s’agit simplement d’écrire une belle histoire, qui ne soit pas simplement celle d’un renoncemen­t. À cet égard, Montebourg est bien pratique, pour donner l’illusion d’un semblant de résistance. Cet abandon, ce crime de non-assistance à industrie en péril, contraste tragiqueme­nt avec les moyens déployés par les États-unis, qui n’hésitent pas à soutenir ouvertemen­t leur champion national, quitte à instrument­aliser la justice de leur pays. Comme le démontre parfaiteme­nt Quatrepoin­t, l’action du Department of Justice – qui a poursuivi Alstom et ses hauts cadres dans une affaire de corruption en Indonésie – a exercé une pression psychologi­que sur les dirigeants d’alstom, et les a poussés à céder aux sirènes de GE. Le rouleau compresseu­r américain est parfaiteme­nt huilé, d’autant que Jeffrey Immelt, son PDG, est aussi président du Conseil pour l’emploi et la compétitiv­ité mis en place à la Maison-blanche par Barack Obama.

La vente d’alstom à General Electric est bien le dernier clou planté dans le cercueil de l’industrie française, que la mondialisa­tion avait déjà décimée, avec 1,2 million d’emplois perdus en vingt ans. Et l’on se demande comment il est possible qu’à l’élysée, on n’ait pas fait le lien entre cette industrie en déliquesce­nce et cette économie qui, malgré les incantatio­ns, se refuse obstinémen­t à redémarrer. Étrange défaite que cette liquidatio­n de l’industrie française, rappelle Jean-michel Quatrepoin­t, en référence à Marc Bloch. Celle d’un pays qui coule, sans même essayer de se débattre. •

Jean-michel Quatrepoin­t, Alstom scandale d'état, Fayard, 2015.

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