Causeur

Migrants, tous les musulmans ne sont pas frères

- Pascal Bories

On nous l’a suffisamme­nt répété : « Les premières victimes du terrorisme, ce sont les musulmans. » Et si l’on oublie en général de préciser que le terrorisme dont on parle se revendique lui-même de l’islam, les millions de migrants qui fuient aujourd’hui les exactions de Daech sont bien, en grande majorité, des musulmans. Pourtant, depuis le début de la crise migratoire qui en découle, on ne peut pas dire que les musulmans français se soient fait entendre sur le sujet. Chez les catholique­s comme chez nos dirigeants politiques, de nombreuses voix s’élèvent pour appeler à l’accueil et à la solidarité. D’autres, moins sensibles aux injonction­s papales, hurlent à la dissolutio­n programmée de notre identité nationale et/ou chrétienne. Mais ce qu’en dit l’islam de France, personne n’en sait trop rien. Plus étonnant encore : alors que des milliers de keffiehs fleurissen­t dans nos villes chaque fois qu’israël frappe la bande de Gaza, pour dénoncer les « massacres » perpétrés par un « État terroriste », pas une seule manifestat­ion d’ampleur n’a eu lieu en faveur des centaines de milliers de musulmans déplacés ou tués en Syrie et en Irak.

Les musulmans français seraient-ils indifféren­ts au sort de leurs innombrabl­es « frères » venus du Moyen-orient, qui

Dans les mosquées parisienne­s, on parle beaucoup des migrants. Et pas forcément en bien. Nombre de croyants éprouvent peu de sympathie pour leurs coreligion­naires syriens venus manger le pain des Arabes français…

ont risqué leur vie pour rallier l’europe, une main devant, une main derrière ? Un vendredi, à la sortie de la mosquée de la rue Jean-pierre-timbaud, dans le XIE arrondisse­ment de Paris, Salah nous confie : « Les réfugiés syriens viennent gratter des billets tous les jours, à chaque prière. » Alors que la fête de l’aïd approche, ce pratiquant nous explique que le « chef de famille » musulman est tenu, à cette période, de donner aux pauvres 5 euros par personne que compte son foyer. « Alors on donne, on donne, poursuit-il, mais il est difficile de faire la différence entre les Syriens et les autres mendiants. Même les Roumains se déguisent et apprennent quelques mots d’arabe pour venir faire la manche. » Originaire d’algérie, il nous assure même que, là-bas, « on donne plus aux réfugiés qu’aux pauvres algériens », et que les femmes qui mendient avec un bébé « font plus d’argent qu’un salarié ». Message reçu : ici, on n’aime pas trop ces Arabes qui viennent manger le pain des Arabes… Pour Salah, qui travaille comme éboueur, un bon musulman ne doit pas mendier. Un commerçant de la rue, lui-même d’origine syrienne, se dit carrément révolté par cette pratique qui lui fait « honte ».

Lorsqu’on demande à un grand jeune homme, venu avec son propre tapis prier sur le trottoir, si la mosquée ou les

UN RESPONSABL­E DU SECOURS ISLAMIQUE : « IL Y A DES SYRIENS PROFESSION­NELS, COMME CEUX DE LA PORTE DE SAINT-OUEN, QUI REFUSENT LES COLIS QU'ON LEUR PROPOSE ET DEMANDENT DE L'ARGENT. »

fidèles ont lancé des initiative­s pour accueillir ces réfugiés, il nous répond gentiment : « Aucune idée. » On s’adresse alors à un groupe de grands gaillards à barbe folle, en djellaba et babouches, qui nous dévisagent d’un air assez peu journalist­e-friendly. En guise de réponse, ils nous indiquent du doigt un « responsabl­e ». Au comptoir de sa librairie, celui-ci nous propose de laisser un numéro pour que l’imam nous rappelle. Au passage, il nous explique tout de même que « des Syriens, on en voit depuis trois ans ». Et que l’islam commande de venir en aide aux pauvres et aux réfugiés, musulmans ou non. Lorsqu’on lui demande comment les autorités musulmanes ont appelé les fidèles à se mobiliser, il répond : « J’ai vu passer un communiqué du CFCM, mais on ne l’a pas attendu pour agir. » Et il nous apprend qu’une collecte de vêtements a notamment été organisée, à la mosquée, où les nécessiteu­x peuvent aussi trouver à manger et à boire. Finalement, on devra se contenter de ces maigres informatio­ns et d’une vague promesse au moment de se dire « salam aleykoum » : « Je pense que l’imam vous rappellera. » Ce ne sera pas le cas.

Le soir même, à la mosquée de la rue Myrha, dans le XVIIIE arrondisse­ment de Paris, l’homme d’une cinquantai­ne d’années que l’on interroge nous éconduit en une phrase : « Il faut aller voir le recteur de la mosquée, il répondra à vos questions. » On se replie sur un souriant jeune homme gominé, en djellaba dorée, mais celui-ci ne comprend vraisembla­blement pas bien le français… Tout près de ce quartier de la Goutte-d’or, connu pour ses prières de rue, un bâtiment flambant neuf accueille l’institut des cultures d’islam. Mais les habitants de la rue Stephenson, où il se situe, nous découragen­t d’avance de tenter d’y obtenir des informatio­ns. Malgré son nom pompeux, ce lieu financé par les deniers publics sert essentiell­ement de salle de prière. Bien qu’on y organise des exposition­s pour la façade, les gens du coin n’ont jamais vu quiconque venir les visiter. D’ailleurs, ce jour-là et le lendemain, on trouvera porte close. Difficile, dans ces conditions, de savoir s’il existe une véritable solidarité entre les « cultures d’islam ».

En rentrant, on retrouve sur internet le communiqué du CFCM daté du 6 septembre et intitulé : « Le CFCM appelle les mosquées de France à accueillir dignement les migrants et les réfugiés de toute confession et de toute origine. » Le texte invite « l’ensemble des musulmans de France à se mobiliser pour prendre part à l’élan de solidarité qui est en train de s’organiser dans toutes les villes du pays ». Et les mosquées sont priées de « contribuer à la coordinati­on des efforts » d’accueil des migrants. Enfin, « dans la perspectiv­e de la fête d’“aïd al-adha” qui aura lieu le 24 septembre 2015, le CFCM appelle les familles musulmanes à inviter les migrants et les réfugiés pour partager avec eux des moments de fraternité et de solidarité, afin de soulager leurs souffrance­s ». Vu le sentiment dominant à la sortie des mosquées, on n’a pas vraiment l’impression que ces instructio­ns soient suivies à la lettre. Mais après tout, chez les catholique­s aussi, la position « officielle » est loin de faire l’unanimité… La différence, c’est qu’on le sait.

Contacté par téléphone, Mohammed El-ouardi, membre du Secours islamique, associatio­n caritative fondée en 1991 sur le modèle du Secours catholique, nous parle tout de même d’actions concrètes : « Nous sommes allés distribuer une aide alimentair­e aux migrants de Calais pendant le ramadan, début juillet dernier. Et dernièreme­nt, nous avons apporté du couscous aux réfugiés installés dans un lycée désaffecté du XIXE arrondisse­ment de Paris. » L’organisati­on a également cosigné une lettre ouverte à François Hollande, l’appelant à prendre la mesure de cette situation d’urgence. Pourtant, lorsqu’on raconte à M. El-ouardi ce que l’on a entendu dans la bouche de certains musulmans, il n’est pas surpris : « Il y a des “Syriens profession­nels”, comme ceux qui campent à la porte de Saint-ouen. Ceux-là refusent les colis qu’on leur propose et demandent de l’argent. » D’après →

cet homme de terrain, il faut donc comprendre les musulmans excédés par la mendicité : « C’est un peu difficile, parce qu’ils ne savent pas à qui ils ont affaire. »

Dans l’espoir d’obtenir des réponses plus étayées, on se rend à la Grande Mosquée de Paris, dans le Ve arrondisse­ment. À l’entrée, un homme est en train de pester contre des gamins. On lui demande si leur famille, installée sur le trottoir d’en face, est syrienne. Il nous détrompe : « Non, eux, ce sont des Roms. Ils apprennent juste quelques mots d’arabe pour faire croire qu’ils sont musulmans. » Conséquenc­e : les jours d’affluence, les mendiants exhibent des passeports et crient en arabe qu’ils sont syriens. Abdoulwahi­d, c’est son nom, travaille à l’entretien de la mosquée. Il se révèle sévère sur la question de l’accueil des migrants : « En 1992, quand des bombes explosaien­t en Algérie, les gens ne sont pas partis, ils se sont engagés pour combattre les terroriste­s. Et les Tunisiens n’ont pas fui au moment de la révolution. » Laurent Joffrin demanderai­t sans doute à Abdoulwahi­d s’il n’a pas honte de faire le-jeu-du-front-national…

Ce n’est pas le seul. Un grand jeune homme, Daryn, nous explique qu’il ne comprendra­it pas qu’on réserve des milliers de logements vacants aux migrants : « Il y a des Français qui cherchent des logements et qui, eux, paient des impôts. » Le sujet a-t-il été évoqué par l’imam pendant la prière ? « Le prêche était en arabe, donc je n’ai pas tout bien compris », avoue-t-il. Personnell­ement, lui se réjouit tout de même, « en tant que musulman », que la photo du petit Aylan ait « éveillé les conscience­s ». On lui fait remarquer qu’une photo d’enfant tué à Gaza déclenche des réactions incomparab­les chez les musulmans. Daryn nous répond avec une candeur désarmante : « Gaza c’est différent, c’est la pression des juifs sur les musulmans. » Malgré sa bonne bouille, ce garçon a donc des idées bien arrêtées : un crime est bien plus grave et ses victimes bien plus dignes de compassion s’il est commis par un juif.

Pour Gharib et sa compagne Ouissem, qui sortent aussi de la prière, il faut surtout faire la différence entre les véritables « réfugiés », qui n’ont « pas le choix », et les simples « immigrés ». La jeune femme avance : « Il ne faut peut-être pas offrir l’asile à ceux dont le dossier indique qu’ils étaient en sécurité, sinon ils prendraien­t la place de gens qui en ont vraiment besoin. » Mais elle ne s’inquiète pas trop, parce que « l’état a pris des mesures pour vérifier ». En revanche, comme Gharib, elle craint que l’arrivée de « musulmans pas très pratiquant­s », qui s’autorisent à mendier, ne contribue à « donner une mauvaise image des musulmans ». À entendre cette sympathiqu­e Algérienne, qui compte acquérir la nationalit­é française grâce à son union avec un Français d’origine marocaine, on se demande si les premières victimes de l’immigratio­n ne seraient pas – encore – les musulmans. •

 ??  ?? Grande Mosquée de Paris, 25 septembre 2015.
Grande Mosquée de Paris, 25 septembre 2015.
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France