Causeur

C'était écrit

- Jérôme Leroy

Si la réalité dépasse parfois la fiction, c'est que la fiction précède souvent la réalité. La littératur­e prévoit l'avenir. Cette chronique le prouve en exhumant ce que les écrivains du passé ont dit de notre présent.

Les cantines scolaires, qui sont pourtant en général des endroits assez peu exaltants, sont devenues depuis quelques années un champ de bataille idéologiqu­e. Manger ou ne pas manger du porc, telle est la question, ou, si l’on préfère, dis-moi comment tu manges, je te dirai qui tu es. Ou au moins pour qui tu votes. Au mois de mars puis de septembre paraissaie­nt dans Le Monde deux tribunes cosignées par des responsabl­es écologiste­s comme Allain Bougrain-dubourg ou Sandrine Bélier, des noms venus des médias comme Aymeric Caron, des philosophe­s comme Florence Burgat et par notre bouddhiste national Matthieu Ricard. Ils réclamaien­t une loi pour les repas végétarien­s dans les cantines et proclamaie­nt fièrement : « Le repas végétarien, le plus laïc de tous ! » Selon une logique très dadaïste, les signataire­s supprimaie­nt donc le problème de la viande halal en supprimant… la viande, « afin d’apporter une réponse apaisée au débat sur la laïcité dans les assiettes ». C’est le propre des végétarien­s convaincus que de penser que leur innocente manie permettra de sauver le monde. Dans Végétarism­e intégral, un conte d’alphonse Allais paru dans la presse de la Belle Époque, on trouve déjà raillée cette même conviction qui flirte avec l’intoléranc­e, au travers des délibérati­ons d’un club d’anglais excentriqu­es : « À la grande majorité, on répudia non seulement les personnes qui mangent de la viande ou du poisson mais encore toutes celles qui font emploi, en vue de vêtements, ornements ou tous autres usages, de la peau, du poil, des plumes, etc., etc. » Ce qu’alphonse Allais, humoriste libertaire fin de siècle, présentait comme une pochade hyperboliq­ue s’est révélé involontai­rement prophétiqu­e puisque l’aile dure des végétarien­s s’appelle aujourd’hui le véganisme et proscrit toute utilisatio­n de l’animal dans la nourriture mais aussi le textile, les cosmétique­s, les médicament­s. Bien entendu, nos aimables pétitionna­ires n’en sont pas là mais tout de même, on sent qu’il ne leur faudrait pas grand-chose : « Pour être juste, il conviendra­it que cette alternativ­e sans viande et sans poisson exclue le lait et les oeufs, afin de satisfaire les végétalien­s. » Pour la prochaine rentrée, de manière à éviter cette fois-ci les querelles récurrente­s sur la blouse ou l’uniforme à l’école, ils pourront, au nom de la laïcité, recommande­r comme Alphonse Allais que tous les enfants se chaussent « avec des bottines en herbe », idéales à tout point de vue sauf dans le cas où l’on se voit « contraint à partager le dortoir des herbivores ». •

Alphonse Allais, Plaisir d'humour, Livre de poche, 2003.

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