Causeur

ROUGES-BRUNS : LES DESSOUS DU « COMPLOT »

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Printemps 1993. La gauche, déconfite par sa déculottée aux législativ­es, solde les comptes du mitterrand­isme finissant. Tandis que le Parti socialiste dirigé par Michel Rocard engage sa mue sociale-libérale, au PCF, les appétits s’aiguisent à l’approche de la succession de Georges Marchais. Dans ce parti déboussolé par l’explosion du grand frère soviétique, deux camps s’affrontent : l’aile socialo-compatible, emmenée par Jean-claude Gayssot et Robert Hue, bataille avec une tendance patriote et antiaméric­aine que représente­nt notamment Pierre Zarka et Henri Krasucki. Cette dernière sensibilit­é s’exprime dans les colonnes de L’idiot internatio­nal, le journal foutraque de Jeanedern Hallier, dont le rédacteur en chef, un certain Marc Cohen, publie le 11 mai un article de son camarade rouge Jean-paul Cruse appelant à l’union des communiste­s et des gaullistes. On ne retient généraleme­nt que le titre, « Vers un Front national », de cette philippiqu­e, sans comprendre que son auteur fait référence à la Résistance, d’ailleurs non sans traiter Jean-marie Le Pen de « vieille pouffiasse blonde ». Consultée avant publicatio­n, la Place du Colonelfab­ien avait approuvé le contenu du texte malgré sa véhémence (« Quoi, la gauche ? Idées sucées, espoirs sodomisés, rêves violés… », écrivait Cruse). Quelques joyeux lurons de L’idiot, Édouard Limonov et Patrick Besson en tête, s’ébrouant aussi bien dans l’hebdo rouge Révolution que dans le très droitier Choc du mois, l’auteur de polars Didier Daeninckx lance une grande campagne pour discrédite­r et exclure du Parti ces dangereux « rouges-bruns » assimilés à des nazis. Sommé de s’expliquer devant le Politburo parisien, Marc Cohen aura ces mots crus : « La vraie raison de toute cette agitation, c’est que la direction veut revenir à une alliance sans principes avec le PS. Être traités de fascistes par Georges Marchais, c’est presque un honneur10. » Et notre cher Marco de citer pêle-mêle « les médecins accusés lors du complot des blouses blanches », « Tito, Koestler, Orwell », ce qui le fait se dire « plutôt en bonne compagnie ». L’ancien candidat communiste à la présidenti­elle André Lajoinie a beau protester (« Franchemen­t, Marc Cohen à la tête d’un complot antisémite, est-ce bien sérieux ? »), les suspects sont lâchés par Hallier puis épurés, leur poulain Zarka écarté de la direction avant que le très malléable Robert Hue ne succède à Marchais au congrès de janvier 1994. Trois ans plus tard, le PC participe au gouverneme­nt Jospin, champion de France des privatisat­ions. Sic transit gloria mundi.

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