Causeur

Qu'elle était verte ma publicité...

- Benjamin Masse-stamberger

Près de 11 millions. C'est le nombre de voitures Volkswagen équipées du fameux logiciel espion permettant de tromper les contrôles antipollut­ion. En septembre dernier, le monde a découvert, éberlué, que la célèbre marque allemande, symbole de la deutsche Qualität, avait sciemment truqué les résultats de ses véhicules, afin de faire croire qu'ils étaient conformes aux critères fixés, aux États-unis et en Europe, en matière d'émission de dioxyde de carbone. L'arnaque n'avait pas empêché la firme de Wolfsbourg de vanter pendant des années son « efficience écologique ». VW n'hésitait pas non plus à vendre, à grand renfort de communicat­ion, son « écoconscie­nce », ou encore son « écologie sans compromis ». Certaines de ses campagnes de publicité mettaient en scène des paysages de nature sauvage, ou encore des balades campagnard­es en famille. Sans parler de ce slogan, diffusé dans un spot ciblant ses concurrent­s : « S’ils mentent à leurs enfants, imaginez ce qu’ils vous raconteron­t quand ils essaieront de vous vendre leur voiture. » Bonne question.

Pour une marque, le greenwashi­ng consiste à faire croire au consommate­ur que ses produits sont écologique­s. Cette entourloup­e revient en force à la faveur de la COP21. Bienvenue dans le monde merveilleu­x des entreprise­s vertes.

Pratiques catastroph­iques, pubs bucoliques

Bien sûr, il s'agit d'un cas extrême, mais qui démontre une chose : la communicat­ion « écolo » des marques n'a pas grand-chose à voir avec la réalité de leurs pratiques industriel­les. Quelle multinatio­nale ne dispose pas de son label « durable », souvent autodécern­é ? Quelle marque n'a pas sa campagne de pub peuplée de petits oiseaux, de champs de fleurs et de joyeux bobos s'ébrouant dans l'herbe et le foin ? Les plus démonstrat­ifs dans l'évocation bucolique sont d'ailleurs souvent les plus polluants : géants pétroliers, producteur­s d'énergie nucléaire ou encore mégabanque­s n'hésitant pas à financer les activités les moins écocompati­bles. →

À PEINE ÉLU PRÉSIDENT, NICOLAS SARKOZY SE LANCE DANS LE GREENWASHI­NG, AVEC LE GRAND BARNUM DU GRENELLE DE L'ENVIRONNEM­ENT.

Cette déferlante de communicat­ion verte ne date pas d'aujourd'hui. « C’est au milieu des années 2000 que l’on a vécu une véritable explosion », rappelle Mathieu Jahnich, directeur de Sircome, un bureau de conseil en stratégie de communicat­ion, et bon connaisseu­r des pratiques de greenwashi­ng des grandes entreprise­s. C'est l'époque du film choc Une Vérité qui dérange, mettant en scène le combat d'al Gore, ou encore du pacte écologique de Nicolas Hulot. L'écologie, avec son eschatolog­ie millénaris­te et son adoration de la terre mère, devient un thème porteur, attirant pêlemêle : militants sincères, politiques en quête de visibilité ou encore bateleurs en manque de publicité. Nicolas Sarkozy s'y met à son tour, après son élection en 2007, avec le grand barnum du Grenelle de l'environnem­ent. Les entreprise­s comprennen­t alors qu'elles ont besoin d'un dispositif de communicat­ion adapté, en particulie­r celles qui sont les plus critiquées pour leur impact sur l'environnem­ent. « Depuis quelques années déjà, les grandes entreprise­s étaient impliquées », explique le patron de la RSE (Responsabi­lité sociale et environnem­entale) d'une multinatio­nale hexagonale, « mais à ce moment-là, ça a pris une dimension supplément­aire ». La thématique du développem­ent durable, relayée par tout un jargon bureaucrat­icoentrepr­eneurial (« éco-efficience », « financemen­t responsabl­e », « durabilité »…), était déjà apparue depuis une décennie, mais désormais la communicat­ion « verte » devient un enjeu clé pour les entreprise­s.

Les abus les plus criants datent de ce mitan des années 2000, propulsés par la publicité. Et ce, avec d'autant plus de facilité qu'en France tout au moins, ce sont les profession­nels eux-mêmes qui décident de ce qui constitue ou non un abus. Seuls les cas les plus évidents de « pratique commercial­e trompeuse » sont passibles de recours en justice. Autant dire que les entreprise­s disposent d'une certaine marge de manoeuvre…

On pourrait citer de multiples exemples. À commencer par PSA, qui, en 2007, promeut son dernier 4 X 4 en ces termes : « Une technologi­e plus propre pour plus de plaisir. » L'argument est le suivant : la Peugeot 407 « bénéficie d’un filtre à particules additivité de dernière génération […] confirmant ainsi le leadership de Peugeot dans la technologi­e propre. » Le 4 X 4 de la marque au lion émet pourtant plus de 190 grammes de CO2 au kilomètre, soit bien davantage que les recommanda­tions en 2005 de la Commission européenne (140 grammes au kilomètre en moyenne pour les véhicules neufs). La publicité, selon un procédé habituel baptisé greenwashi­ng, décrète ainsi « propre » ce qui est simplement « un peu moins sale » que la concurrenc­e.

Le Chat lave plus vert ! Vraiment ?

Autre exemple, celui de la lessive Le Chat et de son packaging vert gazon, qui, en 2009, communique sur le thème : « L’écologie, c’est le moment d’en parler moins et d’en faire plus. » La campagne en parle d'ailleurs si peu qu'elle oublie de mentionner la présence de substances allergènes (butylpheny­l, methylprop­ional, hexyl cinnamal, linalool) dans sa compositio­n, ainsi que l'absence de l'écolabel européen, une garantie appliquée aux lessives les moins polluantes du marché.

On pourrait multiplier les exemples de ces « écoloblanc­himents », qui ne sont souvent que des ravalement­s de façade, à grands coups de peinture verte. « Des améliorati­ons dans le comporteme­nt des entreprise­s ont cependant été enregistré­es à cette époque, ajoute Mathieu Jahnich, avec le développem­ent de nombreuses associatio­ns écolos qui ont pointé du doigt les plus gros mensonges. » La régulation devient également un peu plus restrictiv­e, avec la possibilit­é donnée à la justice de prendre des sanctions plus lourdes, en cas d'abus manifeste. Ainsi de la campagne pour l'eau Cristallin­e de 2007, qui pointait du doigt l'eau du robinet, accusée de contenir des nitrates, du plomb et du chlore, et la comparait à l'eau des toilettes. En 2015, Cristallin­e a été condamné à plus de 100 000 euros d'amendes. Mais la condamnati­on, finalement pas si lourde, n'est intervenue que huit ans après les faits.

Depuis 2008, du fait de la crise financière puis économique, la frénésie de verdisseme­nt des entreprise­s se refroidit à nouveau. Conséquenc­es de la récession, et de son cortège de chômeurs : la nécessité s'impose de relancer la croissance, pour éviter que l'économie mondiale, comme dans les années 1930, ne sombre dans la dépression. Les politiques ne parlent désormais plus que de relance et de réindustri­alisation, au grand dam des militants écologiste­s. L'échec de la conférence de Copenhague, fin 2009, témoigne du passage au second plan, pour les États, de la problémati­que du réchauffem­ent climatique.

Quant aux entreprise­s frappées par la crise, elles se recentrent sur leurs fondamenta­ux : réduire les coûts, améliorer leur compétitiv­ité, afin de survivre dans un univers en rétraction. Le verdisseme­nt, dès lors, redevient une problémati­que secondaire. « On a raté à ce momentlà l’opportunit­é de remettre en cause fondamenta­lement le système », analyse Tristan Lecomte, le fondateur de Pur Projet, une société qui accompagne les firmes désireuses de reboiser les forêts pour lutter contre le réchauffem­ent climatique. « Tout le monde est responsabl­e, les entreprise­s, mais aussi les États et les consommate­urs. »

Un prix Pinocchio décerné aux pollueurs-menteurs

À la faveur de la COP21 – et même si les attentats du 13 novembre peuvent à nouveau changer la donne –, l'envi-

RENAULT, L'ORÉAL, CARREFOUR, EDF, BNP PARIBAS, OU ENCORE ENGIE SPONSORISE­NT LA COP21, ET POURRONT AFFICHER LE LOGO « PARTENAIRE OFFICIEL PARIS 2015 » PENDANT UN AN.

ronnement redevient un thème central pour les entreprise­s, du moins les multinatio­nales hexagonale­s dont l'activité est soupçonnée de concourir au changement climatique (Total, EDF, Engie, Air France…). Certains dénoncent déjà la manière dont la COP21 a été organisée, qui permet à ces entreprise­s d'associer leur nom à l'événement. Renault, L'oréal, Carrefour, EDF, BNP Paribas, Engie ou encore Air France sont ainsi sponsors de la conférence, et pourront afficher le logo « partenaire officiel Paris 2015 » pendant un an. Pour faire partie des heureux élus, aucun critère particulie­r n'a été fixé, même si certains candidats au sponsoring, jugés trop « éco-incompatib­les », ont été découragés.

Pour beaucoup d'entreprise­s, c'est le moment de communique­r à nouveau massivemen­t autour des problémati­ques environnem­entales. C'est aussi l'occasion, pour les associatio­ns, de les forcer à bouger en menaçant de les épingler pour greenwashi­ng au moment de la COP. « Suite à des campagnes d’associatio­ns, les grandes banques, comme Crédit agricole, Natixis ou encore la Société générale, ont été contrainte­s de prendre des engagement­s en matière de financemen­t des activités liées au charbon », témoigne ainsi Sylvain Angerand, coordinate­ur des campagnes des Amis de la Terre, une associatio­n qui décerne chaque année le prix Pinocchio à l'entreprise pratiquant le greenwashi­ng le plus éhonté. Un prix successive­ment attribué à Areva, Veolia, Samsung, ou encore Shell, pour le décalage entre le discours vert bonbon et la réalité. Parmi celles nominées pour 2015 figurent Total, Chevron ou encore EDF. Mais aussi Engie, qui est pourtant partenaire de la COP21. En changeant de nom au début de l'année, l'ex-gdf Suez avait promis de devenir l'énergétici­en d'un « monde qui change ». Sur toutes les chaînes, sa pub annonçait que dans ce nouveau monde « le noir est désormais presque vert », et « chacun de nous, une source d’énergie ». Promesse non tenue selon Les Amis de la Terre, qui rappellent que la stratégie d'engie n'a pas fondamenta­lement changé et continue à reposer massivemen­t sur le gaz et le charbon. C'est donc la preuve qu'avec le greenwashi­ng, ce sont d'abord les cerveaux qui passent au lavage. •

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