Causeur

Marseille, les cités phocéennes

- Élisabeth Lévy

Yves Boussens, charcutier au marché des capucins.

C'est le cauchemar de Viktor Orban : dans un discours prononcé le 25 juillet, il accusait la gauche hongroise de vouloir faire du pays une « sorte de Marseille d'europe centrale », c’est-à-dire, a-t-il précisé, « un vaste camp de réfugiés ». Les Marseillai­s se récrient unanimemen­t à cette vision outrancièr­e. Marseille, ce n’est pas ça ! disent-ils. Et puis, ils déroulent la litanie des maux qui défigurent leur ville. Seul l’ordre change, sauf pour la saleté, qui arrive toujours en première position. Que l’empilement de collectivi­tés publiques, glouton en finances et en personnel, soit incapable d’assurer un service aussi simple et essentiel que la voirie est peut-être le meilleur symbole de la déliquesce­nce marseillai­se.

Il y a l’insécurité, qui fait que plus personne ne se balade en ville avec un collier apparent, les kalaches, le trafic du shit à ciel ouvert dans les cités des quartiers nord. « Si on saisit 40 kg, ça n'arrête pas le trafic une journée », confie un gars des stups. Sans le « business », qui a remplacé le banditisme d’antan, tous les flics savent que la ville exploserai­t. À Marseille, il n’y a pas d’émeutes urbaines parce que c’est mauvais pour le commerce. « Si un jour, on légalise le commerce de la drogue, Marseille deviendra une ville d'affaires mondiale, s’amuse le policier. Parce que ça, ils le font très sérieuseme­nt : gestion des stocks, comptabili­té, c'est très bien tenu. »

Tour de Babel

En attendant, les honnêtes gens redoutent de croiser le regard des « encapuchés ». Il y a aussi la pauvreté qui attire la pauvreté. L’incurie des politiques, qui ne peuvent ou ne veulent rien faire. Et, bien sûr, le clientélis­me généralisé, un système que chacun condamne mais dont beaucoup profitent. « Quand on parle aux gens de voter, ils demandent ce que ça va leur rapporter », observe Fazia Hamiche avec son beau sourire de madone arabe. Cette élue des « quinzeseiz­e » (sur une liste apolitique), dans le fief de la sénatrice socialiste Samia Ghali, tient le Scoop, unique bistrot de ce quartier vaguement industriel – mais de l’industrie d’hier –, situé en face du siège de La Provence.

Reste qu’on finit toujours par revenir à ça, ce mal qu’on ne sait trop comment nommer parce qu’on a peur de manquer à la morale commune et parce qu’il s’incarne dans les malheureux que la misère ou la guerre ont débarqués à Marseille – et que l’état-providence et la manne associativ­e y ont fixés. L’immigratio­n, qui ne s’arrête jamais, l’intégratio­n, qui recule, ou l’islam qui se durcit – dans les têtes tout s’emmêle. Le melting-pot marseillai­s vire à la tour de Babel, parfois à la foire d’empoigne. Tout le monde connaît la blague sur la seconde langue parlée à Marseille – le français. Beaucoup ne prennent plus de gants pour parler d’« invasion », comme José d’arrigo, la soixantain­e élégante, journalist­e et auteur de Faut-il quitter Marseille ?. Partout ailleurs, José serait dénoncé par ses confrères comme un fieffé réac. Ici, il a des amis de toutes couleurs et de tous bords. À Marseille, le réel est peut-être trop voyant pour se laisser euphémiser. La légende rose – L’OM, le pastis, Pagnol revisité par SOS racisme – fait rigoler tout le monde. Même les élus n’abusent pas des lieux communs citoyennis­tes. Et quand je tente que tout de même, il y a la fraternité du Vélodrome, les élèves de la prépa Sciences-po, où enseigne notre ami Brighelli au lycée Thiers, s’amusent de ma naïveté et m’expliquent qu’il y a la tribune nord pour les quartiers nord et la tribune sud pour les beaux quartiers. Pour le mélange, faut voir ailleurs. D’ailleurs, comme l’observe un flic de la PJ, « les jeunes de La Castellane n'ont plus l'accent marseillai­s, comme Zidane, aujourd'hui, ils ont l'accent des cités ».

Résultat de quarante ans de flux constants, si Marseille n’est pas africaine, elle n’est plus complèteme­nt française. Finalement, c’est peut-être le vocabulair­e colonial qui décrit le mieux la situation : il y a des quartiers européens et des quartiers arabes et africains qu’on appelle quartiers, →

Corruption, banditisme, insalubrit­é, clientélis­me, insécurité, ghettos ethniques : si les clichés sur Marseille ont la vie si dure, c'est parce qu'ils sont étayés par les faits et confirmés par les Marseillai­s eux-mêmes. Reportage.

tout court. Deux villes juxtaposée­s qui se croisent sans se mélanger. La différence avec « là-bas », c’est qu’ici, la loi est la même pour tous. Et que les autochtone­s sont les Européens. Encore que, sur ces deux points, les Marseillai­s ne sont plus si sûrs. Souvent à tort, et parfois à raison, ils pensent qu’on accède plus facilement aux largesses publiques quand on est immigré.

Pieds-noirs et malgré nous

Il y a, surtout, que les autochtone­s ont cessé d’être majoritair­es. José d’arrigo évoque une « fatalité démographi­que inscrite dans les chiffres »: « Dans dix ans, Marseille sera peuplée d'environ un million d'habitants. Les 400 000 immigrés actuels, clandos ou pas, seront 600 000 et les Européens seront devenus minoritair­es, 400 000. Si nul ne peut prédire l'avenir, on peut le lire parfois entre les lignes. Comme le disait le démographe Alfred Sauvy : “l’avenir d’une ville est écrit noir sur blanc dans le registre des naissances”. » Alors, beaucoup de Marseillai­s se demandent s’ils pourront encore dire demain « on est chez nous».

La question est particuliè­rement douloureus­e pour les piedsnoirs à qui l’histoire a joué un tour plutôt cruel en les obligeant à vivre ici avec ceux qui les avaient chassés là-bas. « Ils nous ont virés pour prendre notre place. Ils sont là malgré nous », résume Richard Milili. Tiré à quatre épingles et portant beau, propriétai­re du Petit mousse, un restaurant de plage à la Pointe-rouge, ce juif d’alger semble sorti d’un Grand pardon marseillai­s. Dans les nombreuses affaires qu’il a montées – avec succès, semble-t-il –, il y a eu le Jeu de Dames, l’une des premières boîtes de lesbiennes de la ville.

Il se rappelle que, pendant des années, la cohabitati­on a été plutôt heureuse aux Bourrely, la cité du 15e arrondisse­ment où sa famille, arrivée en 1962, a longtemps tenu une épicerie. Il y avait des Italiens, des Espagnols, des Arabes, des juifs… Sa mère, qui l’appelait « la cité du bonheur », n’a jamais voulu en partir. Après sa mort, Richard, comme beaucoup de juifs, a fini par quitter Marseille pour la commune voisine de Plan de Campagne. Aujourd’hui, « Les Bourrély » figure en bonne place dans le palmarès des cités que la drogue a rendues infernales. « Le problème, c'est qu'on a abandonné les enfants de ceux qu'on a fait venir, c'est l'école qui n'a pas fait son boulot, ce sont les HLM qui se sont adaptées à leur mode de vie en faisant des F6 et des F7, et les allocs qui rentraient sans bosser. Alors, la première génération était contente d'habiter dans des appartemen­ts, la deuxième a tout détruit. Et aujourd'hui, on a des minots qui pensent que la vie est faite de violence et qui manipulent l'arme comme nous le poing. » Richard n’en veut pas aux Arabes, il continue à en avoir beaucoup parmi ses amis, « qui travaillen­t et qui ont honte de tous ceux qui vivent aux crochets de la société ».

On aurait tort, en effet, de croire que les fractures de la société marseillai­se épousent strictemen­t les frontières ethniques. Depuis quelques années, c’est entre les différente­s communauté­s, mais aussi entre les différente­s génération­s, qu’on voit monter les tensions, parfois jusqu’à la violence, comme à la porte d’aix où des sans-papiers comoriens rackettaie­nt les usagers du parking. En 2010, il y a eu trois homicides. À l’époque, Omar Djellil s’est retrouvé en garde à vue. Ce n’était pas la première fois que ce grand gaillard d’une quarantain­e d’années au bagout intarissab­le faisait le coup de poing contre des « clandos».

Très fier de raconter que son grand-père a fait Monte Cassino et qu’il est né à Reims, la ville du sacre, ce fils d’un retraité de la SNCF a commencé son parcours chez les Frères musulmans à Bordeaux, sous la houlette de Tarek Oubrou, avant d’effectuer, comme son mentor dont il dit aujourd’hui pis que pendre, un grand virage républicai­n. Il est aussi passé par SOS racisme, le PS et L’UMP. En arrivant à Marseille, il y a sept ou huit ans, Omar a eu une sorte de révélation négative. « J'ai découvert que c'était le tiers-monde. Des gens exogènes à la culture française ne cessent d'arriver et c'est pour rester. La droite a peur de faire le jeu du FN en expulsant les clandestin­s.

ON AURAIT TORT DE CROIRE QUE LES FRACTURES DE LA SOCIÉTÉ MARSEILLAI­SE ÉPOUSENT STRICTEMEN­T LES FRONTIÈRES ETHNIQUES.

gauche, on croit qu'ils ont le même profil culturel que les électeurs. De toute façon, pour éviter d'être expulsé, il suffit de se faire prescrire un médicament qui n'existe pas dans son pays, et tout le monde a la liste. » Il a alors tenté de rejoindre le FN. Sans succès. Ce musulman pieux, fantasque et ouvert, avait, dit-il, d’excellente­s relations avec Jean-marie, mais il s’est cassé le nez avec Marion et Marine, qui ont peut-être eu peur de sa fougue un peu brouillonn­e.

Un temps employé par L’OPAC-13, Omar a été révolté par les inégalités de traitement qui y avaient cours : « Dans mon groupe d'immeuble, j'avais 50 familles de souche, elles n'avaient droit à rien, alors qu'aux familles des caïds, on leur faisait tout, les peintures, les réparation­s. Alors les gens se disaient : “Nous, on est chez nous et on n’a rien. Eux, ils viennent d’arriver, ils dealent et ils ont priorité partout.” Ma responsabl­e recevait des délégation­s de dealers qui demandaien­t des locaux vides. » À force de faire du foin, il a été exfiltré au centre d’hébergemen­t d’urgence de la ville, dont il a également été viré parce qu’il s’opposait à l’ouverture du réfectoire le soir pendant le ramadan : « En trois mois, j'avais assisté à 54 agressions. C'étaient des clandestin­s qui faisaient la loi. Ils ne faisaient pas ramadan, ils rackettaie­nt, ils vendaient du shit. »

Blédards contre néo-français

Dans la hiérarchie très personnell­e de Djellil, il y a un personnage presque aussi méprisable que le « clando », c’est le « blédard » : « Regardez ce type qui vient d'être propulsé dans les instances de l'islam officiel. Il y a trois ans, il gardait des chèvres. On lui a payé un costume trois-pièces et c'est à lui qu'on demande son avis sur ce qu'il faut faire. » Il en est certain, il y aura un jour une confrontat­ion : « entre les blédards et nous ». Les immigrés devenus des Français comme vous et moi se sentent pris en étau entre les nouveaux arrivants, qui menacent leur intégratio­n en rappelant le chemin parcouru, et la nouvelle génération, qui fait du refus de l’intégratio­n son drapeau. C’est peut-être le vote de ces vieux immigrés qui, lors des municipale­s de mars 2014, a permis au frontiste Stéphane Ravier d’emporter la mairie du VIIE secteur (13e et 14e arrondisse­ments).

Au fil des années, la frontière invisible qui divise la ville s’est déplacée à l’est de la Canebière, jusqu’au boulevard Sadicarnot. Au sud et à l’est, la Marseille blanche et bourgeoise, où il fait très bon vivre « quand on a les moyens », comme l’explique un commissair­e de police qui ne s’est pas complèteme­nt acclimaté aux moeurs locales, notamment dans sa corporatio­n. À l’ouest et au nord, la Marseille immigrée, qui subit de plein fouet l’afflux ininterrom­pu des arrivants, « clandos » ou pas, s’est étendue aux vieux quartiers populaires du centre-ville, comme celui qui s’étend autour du marché de Noailles.

Quand Yves Boussens est arrivé à Marseille, en 1970, le quartier était un paradis du commerce. Aujourd’hui, il l’est toujours – on y trouve des fruits et légumes à des prix imbattable­s – mais ce sont tous des commerces halal ou tenus par des Maghrébins qui s’affichent de plus en plus comme musulmans. Avec Le Grand Saint-antoine, sa charcuteri­e, « il reste cinq magasins européens ». Les affaires sont nettement moins florissant­es, les 12 employés ne sont plus que deux, mais il a des clients qui viennent encore de toute la ville. D’ailleurs, le comité d’entreprise D’EDF, qui construit un hôtel à quelques mètres, lui a proposé de racheter. Il ne veut pas. « Mon fils se plaît dans le quartier. » Et puis, il ne lui déplaît pas de se voir en gaulois, résistant encore et toujours à… Attention, il vit en bonne intelligen­ce avec ses voisins. « Ceux qui démarrent dans l'agressivit­é, je les désarme par la courtoisie », dit-il. Avec les femmes en burqa, ça marche rarement. En juin, deux d’entre elles ont été arrêtées dans le quartier. « Il fallait les entendre insulter les policiers et hurler comme si on les violait. Au commissari­at, on leur a dit de ne pas recommence­r. Alors qu'est-ce que vous voulez. » →

Pendant quelques jours après les attentats, le quartier est resté désert. Mais depuis, quand Yves Boussens croise une « voilée », il se dit que c’est de la provocatio­n. Attention, quand il parle de « voilées », il désigne les « Belphégor », celles qui ne laissent voir que le visage – ou pas –, pas du « petit foulard » auquel on ne prête plus vraiment attention. Depuis le 13 novembre, les langues se délient. Il se murmure que les commerçant­s du quartier sont sous pression pour fermer le vendredi. On raconte qu’il y aurait, rue de l’arc, à deux encablures de Noailles, une mosquée et deux écoles. Boussens s’énerve un peu : « Il y a quinze ans, quand les barbus ont commencé à accrocher les jeunes sur le marché, tout le monde le voyait. Je n'ai cessé de le dire dans les réunions de quartier organisées par la mairie. Mais personne n'a rien fait. »

Omar Djellil évoque un phénomène similaire dans les quartiers nord : « On a vu des gens du FIS arriver, intriguer et faire des putschs dans des mosquées. » Il est convaincu qu’on a sciemment laissé les mosquées aux plus radicaux. La vérité, c’est sans doute qu’on les a laissées à ceux qui étaient assez déterminés pour les prendre.

Les parrainsr

Dans la litanie des malheurs marseillai­s, l’impuissanc­e des politiques n’est guère qu’une toile de fond. À part ceux qui vivent de leur appartenan­ce partisane, la plupart des gens ne font pas vraiment la différence entre une droite et une gauche dont on sait bien qu’elles cogèrent la ville, avec des baronnies qui se répartisse­nt l’argent public – et les électeurs. José d’arrigo résume l’état d’esprit général : « Le système “GG” (Gaudin-guérini) sera probableme­nt remplacé demain ou après-demain par le système “MM” (Morainemen­nucci, notables locaux LR et PS), avec les mêmes méthodes à la petite semaine, le même refus d'affronter les réalités, le même carriérism­e, le même népotisme, le même favoritism­e, les mêmes arrangemen­ts de boutiquier­s en coulisses, les mêmes compromiss­ions avec la gauche, la droite et… le milieu. » On dit qu’en 2014, c’est un caïd du Panier qui a organisé le ralliement des élus guerrinist­es à Gaudin. On ne leur en veut pas vraiment, d’ailleurs, on trouve même que Gaudin a fait du bien à la ville – en réalité, c’est surtout l’argent d’euromed, un projet européen, qui a permis, outre la constructi­on du Mucem, de donner un coup de propre à quelques quartiers du centre-ville, notamment le Panier. Peu importe, les Marseillai­s n’attendent pas grand-chose de leur maire. Mais ils l’aiment bien.

Socialiste défroqué et fondateur d’une petite formation à l’ambition rénovatric­e, Philippe Sanmarco ne se résigne pas au déclin de sa ville. « Nos institutio­ns peuvent marcher avec un centre riche, comme à Paris ou Bordeaux. Mais à Marseille, l'hyper-pauvreté et l'hyper-exclusion sont dans la ville-centre, qui est sous tutelle de fait de l'état. Et la création de la communauté urbaine a achevé de tuer la ville, en la déchargean­t de la responsabi­lité du quotidien. Le résultat, c'est que c'est FO qui gère la mairie et il n'y a

À MARSEILLE, IL FAUT UN PISTON SYNDICAL POUR ÊTRE ÉBOUEUR.

plus d'autorité politique pour contrôler les fonctionna­ires. » Situation qui explique l’insoluble casse-tête du ramassage des ordures, mission dévolue à l’agglo mais assurée par des agents municipaux. Personne n’a oublié le coup fumant du Provençal : une journalist­e s’était postée à l’entrée du dépôt pour chronométr­er la tournée des camions-bennes. Expérience concluante : la tournée moyenne durait moins de deux heures quand les immondices s’entassent dans beaucoup de rues. Et suivant le principe du « fini-parti », ça fait des journées de travail pas « épuisantes ». Quand la municipali­té a décidé d’abroger cette loi non écrite qui permet aux agents de quitter leur lieu de travail sitôt leur service achevé, il y a eu quatre jours de grève. On comprend pourquoi, à Marseille, il faut un piston syndical pour être éboueur. Une certaine dose de clientélis­me est sans doute consubstan­tielle à la politique. C’est accorder trop de crédit à la vertu que d’espérer qu’elle fasse disparaîtr­e les intérêts particulie­rs. À Marseille, et dans le Midi en général, on se cache moins qu’ailleurs pour flatter l’électeur dans le sens du poil communauta­ire ou religieux. Ce qui exaspère Albert Guigui, président de Judaïsme et Liberté, et membre actif des instances communauta­ires juives : « Quand ils s'adressent à nous, les politiques nous parlent tout de suite d'israël, comme si nous n'étions pas capables de nous soucier de l'intérêt général. Moi, je veux qu'on me parle comme à un républicai­n, pas comme à un juif. » Omar Djellil évoque le cas d’un élu municipal qui se proclamait fervent sioniste et ne ratait pas une occasion de dire son amour d’israël jusqu’au jour où, changeant de secteur, il a subitement épousé la cause palestinie­nne.

« Menace brune » et boniments

Dans la même veine mais dans un registre un peu différent, Frank Allisio, transfuge des Républicai­ns passé au FN, raconte que, pendant les régionales, ce sont les gars d’estrosi qui sont allés dire aux immigrés des cités que si le FN passait ils perdraient leurs allocation­s et leurs subvention­s. « Quand on vous dit qu'ici, ils font le boulot de la gauche ! » La menace brune n’a pas vraiment payé : dans les quartiers nord, le vote FN a été « contenu » autour de 44-45 % contre, il est vrai, « seulement » 38 % pour l’ensemble de Marseille (et 42 % pour les Bouches-du-rhône). Au moins ces boniments ont-ils l’avantage d’être gratuits – au sens propre. Souvent, il ne s’agit pas de boniment mais d’avantages palpables, au propre ou au figuré. À Marseille, le clientélis­me est un système de gouverneme­nt – qui dégénère à l’occasion en corruption. Chacun gouverne son fief en gratifiant son clan, au sens plus ou moins large, d’avantages divers. Cela va bien au-delà de l’embauche de la belle-soeur, également pratiquée sur tout le territoire et qui, en général, n’est même pas illégale. Dans certains cas, il s’agit clairement d’arroser ses affidés par le biais d’associatio­ns bidon créées dans le seul but d’obtenir une subvention de la région ou du départemen­t. Curieuseme­nt, les exploits de Sylvie Andrieux n’ont pas fait grand bruit à Paris. En septembre 2014, la députée de la 7e circonscri­ption de Marseille, qui était également chargée de la politique de la Ville au conseil régional, a été condamnée en appel à cinq ans de prison dont un ferme, 100 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibil­ité pour avoir, de 2005 à 2008, versé plus de 700 000 euros à des associatio­ns entièremen­t fictives, montées par des escrocs1. « Je te finance, tu votes pour moi, ça fait trente ans que les partis jouent avec ça, observe Omar, narquois. Et que les quartiers sont tenus en laisse par les subvention­s. » Sauf qu’on se demande, qui, du maître ou du chien, est le vrai patron.

Après une telle avalanche de doléances et récriminat­ions, on se dit que le miracle marseillai­s, c’est que les Marseillai­s continuent à aimer leur ville. Et pas seulement parce que la misère est moins pénible au soleil. Mais ils l’aiment comme on aime un malade en phase terminale : souvent, au point de le quitter pour ne pas assister à son agonie. Viktor Orban exagère, certes. N’empêche, aujourd’hui, c’est toute la France qui a peur de devenir Marseille. • Bien entendu, le Parti socialiste a vertueusem­ent exclu la coupable, qui continue néanmoins de siéger à l'assemblée puisque son pourvoi en cassation a suspendu la sanction. En cas de partielle, Stéphane Ravier pourrait bien ravir le siège aux socialiste­s, qui n'en ont pas de trop.

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