Causeur

L'éditorial d'élisabeth Lévy

Présidenti­elle : une chance pour l'islam ?

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Le 30 mai 1806, Napoléon adresse à l'assemblée des notables juifs qu'il a instaurée par décret 12 questions destinées à évaluer leur capacité d'assimilati­on : pratiquent-ils la polygamie, autorisent-ils le divorce par les tribunaux civils, les mariages mixtes sont-ils licites. On sonde aussi leur volonté d'adhérer à l'universali­sme français et la profondeur de leur patriotism­e – « Aux yeux des Juifs, les Français sont-ils leurs frères ou sont- ils des étrangers ? Quels sont les rapports que leur loi leur prescrit avec les Français qui ne sont pas de leur religion ? Les Juifs nés en France et traités par la loi comme citoyens français regardent-ils la France comme leur patrie ? » L'empereur dévoile ses objectifs dans une lettre à son ministre de l'intérieur : « Il faut atténuer, sinon détruire, la tendance du peuple juif à un si grand nombre de pratiques contraires à la civilisati­on et au bon ordre de la société dans tous les pays du monde. Il faut arrêter le mal en l'empêchant ; il faut l'empêcher en changeant les Juifs. […] Lorsqu'on exigera qu'une partie de la jeunesse aille dans les armées, ils cesseront d'avoir des intérêts et des sentiments juifs ; ils prendront des intérêts et des sentiments français. » Un an et moult controvers­es politico-talmudique­s plus tard, la messe est dite : quoiqu'en renâclant sur les mariages mixtes, les membres du futur Consistoir­e central israélite de France donnent pour l'essentiel des réponses satisfaisa­ntes aux questions de l'empereur. Le 7 mars 1807, la communauté juive remercie Napoléon : « Béni soit à jamais le Seigneur Dieu d'israël, qui a placé sur le trône de France, un prince selon son coeur. » En réalité, pas mal de Juifs devaient penser que Napoléon – qui ne les aimait guère – était un pur salaud. S'il leur a donné une place dans la société, il a pris à leur encontre nombre de mesures vexatoires. Une grande partie des conditions qu'il leur imposa pour faire pleinement partie de la communauté nationale serait aujourd'hui jugée discrimina­toire et attentatoi­re aux libertés individuel­les, comme cette drôle de demande faite au sanhédrin de « prévoir un tiers de mariages mixtes ». Justement : si les Juifs de France doivent être reconnaiss­ants, c'est parce qu'il les a accueillis à la dure, sans se soucier de froisser leur susceptibi­lité ou de brimer leur identité. Deux siècles plus tard, les musulmans de France n'ont pas cette chance. Installés ou nés en France à l'âge des droits de l'homme puis de l'individu-roi, ils ne peuvent compter sur l'autorité de l'état pour les aider à se dépouiller de ce qui, dans leur héritage, les empêche de devenir pleinement français. Il n'y a pas d'empereur pour dire à leurs représenta­nts qu'ils ont perdu le contrôle de leur jeunesse et que ce n'est pas en flattant son sentiment victimaire qu'ils la calmeront. Au contraire, nos dirigeants peinent euxmêmes à nommer et d'ailleurs à voir le problème. De toute façon, ce n'est plus l'état qui demande des comptes aux religions et communauté­s, ce sont les religions, en l'occurrence l'une d'elles, qui adressent doléances et récriminat­ions à l'état. Le 23 mars, le CFCM (Conseil français du culte musulman) a adressé une lettre ouverte aux candidats à la présidence de la République pour les sensibilis­er « aux attentes et appréhensi­ons des musulmans de France ». De ce texte indigeste, qui compile de grandes proclamati­ons qui ne mangent pas de pain, il ressort qu'il n'y a pas de problème. Les musulmans aiment la France, la République, la laïcité. Tant pis si toutes les enquêtes, en plus de l'expérience concrète, montrent qu'une importante minorité déteste ouvertemen­t les trois. « Les musulmans de France considèren­t que l'islam confère une égalité totale aux femmes et aux hommes. » Puisque le CFCM le dit. Le CFCM ne se demande pas ce qu'il peut faire pour son pays mais ce que son pays doit faire pour lui. Alors que progresse un rigorisme d'un autre âge qui isole ses adeptes des autres Français, on pourrait espérer que l'instance supposée représenta­tive des musulmans de France lance une reconquête culturelle. Au lieu de quoi, après avoir longuement déploré les amalgames, stigmatisa­tions et discrimina­tions que subissent ses ouailles, elle demande au futur chef de l'etat d'interdire tout débat sur l'islam et sa compatibil­ité avec la République. « La question n'a aucun sens. » Le CFCM aimerait donc que l'on fasse taire ceux qui propagent « certaines théories sur le rôle supposé de l'islam dans la désagrégat­ion de la République ». Si on comprend bien, la liberté de conscience qu'affectionn­e tant le CFCM s'arrête là ou commence l'islam. En somme, seul le CFCM a le droit de parler pour « les » musulmans. Que des musulmans du coin de la rue soient peinés ou révoltés par le débat sur l'islam, c'est compréhens­ible et regrettabl­e. Mais il serait encore plus regrettabl­e que, pour ne pas les peiner, on détourne le regard des fractures françaises. « Les musulmans veulent être respectés », nous dit le CFCM. Le premier respect, c'est la vérité. Les amis des musulmans ne sont pas ceux qui les câlinent, ni les associatio­ns pousseau-crime comme le MRAP et le CCIF (pas le Consistoir­e central, le Comité contre l'islamophob­ie en France). Napoléon voulait « changer les Juifs ». Il a réussi et ils s'en sont fort bien trouvés. Ils sont devenus Français et ils sont restés juifs. On déplore souvent la concurrenc­e victimaire, mais sur ce terrain, les musulmans auraient tout à gagner à imiter le modèle juif. Même s'il n'y a pas de Bonaparte en vue. •

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