Causeur

Le journal de l'ouvreuse

Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c'est l'ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !

-

Jeudi 16 mars au palais Garnier, voilà c'est prouvé, l'opéra est mort. On jouait ce soir Trompe-la-mort, « création mondiale ». Grands les romans de Balzac dont la chose est tirée, grand le spectacle avec ses écrans vidéo qui montent et qui descendent, grands les chanteurs qui ont appris cette partition difficile et paient sans compter de leurs somptueuse­s personnes. Pas lu les critiques du lendemain, mais trouvé sur la toile celle du doyen André Tubeuf, mémoire vivante qui a vu plus d'opéras que tout le monde et depuis plus longtemps. « L'opéra, demande Tubeuf, a-t-il de vraies raisons de se continuer, si c'est pour se continuer ainsi, bavard, sentencieu­x, filandreux, parasitant des textes plus grands que lui, inapte à chanter, n'offrant guère comme musique que du bruitage ? »

Trompe-la-mort, musique de Luca Francescon­i, ressemble à tout ce qui tombe sur la scène de l'opéra depuis quarante ans. Du vieux Wozzeck édulcoré avec des bouts d'avant-garde seventies dedans. Vienne 1920 + Darmstadt 1960 ad vitam aeternam. Impossible qu'il survive où que ce soit. Le dernier truc créé à l'opéra de Paris dont on parle ailleurs remonte à 1983. C'était Saint François d'assise d'olivier Messiaen, qui est mort lui aussi. Sublime Saint François, tellement long, tellement dur et tellement cher que, depuis la disparitio­n de l'ex-patron de l'opéra Gerard Mortier, on le cherche sans jamais le voir. La dernière oeuvre que le pays ait donnée au reste du monde et qui se maintienne à peu près en forme, ce sont les Dialogues des carmélites de Poulenc. 1957, soixante ans pile-poil. Soixante ans de supercréat­ions mondialiss­imes, applaudies et bénies avant de disparaîtr­e sans laisser de trace. Soixante ans d'échec complet, ça se fête. Pendant qu'il est mort, l'opéra ne se porte pourtant pas si mal. C'est qu'il a appris à faire du neuf avec du vieux, et surtout à faire passer au public le vieux pour du neuf. Pas seulement la mise en scène, chargée depuis trente ans du service création. Tout le monde. Les danseurs, les chanteurs, les décorateur­s, l'orchestre, les ateliers, une ruche de 1 700 et quelques âmes permanente­s auxquelles il faut ajouter une palanquée d'intermitte­ntes. Monde mystérieux dont vous allez enfin voir le mystère s'éclaircir.

Le 5 avril, sort sur nos écrans le nouveau documentai­re de Jean-stéphane Bron, intitulé L'opéra. Pas l'opéra en général. L'opéra de Paris. Pas non plus son histoire. Aujourd'hui. Le réalisateu­r suisse lâche donc le doc politique pour trousser une ode au directeur Stéphane Lissner. Aucune allusion à l'affaire des loges détruites au palais Garnier (résultat pas si mal, je trouve), ni aux 40 000 euros du taureau loué pour les représenta­tions de Moïse et Aaron, ni à aucun sujet qui énerve. Mais de longs plans sur ledit taureau nommé Easy Rider (nous apprendron­s au passage qu'un rival écarté s'appelait Fiasco). Des plans en coulisse pleins de désir et d'angoisse. Des plans fixes sur un jeune baryton russe, future vedette qui bourgeonne à l'académie. Des plans sombres sur un groupe de danseurs perplexes, puis sur leur boss Benjamin Millepied, chic de chez chic, qui ne peut rien changer et s'en va. Des plans clairs dans la fosse où répètent les musiciens, sur le plateau où râlent les choristes. Des plans obliques dans le bureau du dirlo zen qui guette la fin du préavis cégétiste. Des plans légers, des plans drôles. Pas une note nouvelle mais de la vie et encore de la vie. Comme disait Mon Desproges : étonnant, non ? •

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France