Causeur

Les vieux avec Macron !

Mon vote en faveur des génération­s futures visera à débarrasse­r la France des faux prophètes, rouges ou roses repeints en vert. En votant pour le candidat pro-chasse et pro-nucléaire, seul capable de résister aux diktats écolos.

- Luc Rosenzweig

J' appartiens à la génération pré-babyboom, donc bénie des dieux : classes peu nombreuses nées sous Pétain, éduquées sous la IVE République, devenues adultes sous la Ve, bénéficiai­res privilégié­es des Trente Glorieuses dans tous les domaines, emplois à gogo, logements achetés en monnaie de singe inflationn­iste, débarrassé­es par Mai 68 des carcans moraux superflus, profitant à fond de l'allongemen­t de la vie en bonne santé dû aux progrès de la médecine et de pensions de retraite perçues dès 60 ans, sinon avant dans le cadre de plans sociaux amortissan­t les effets de la crise advenue et toujours en cours… Cette génération et la suivante immédiate, celle des baby-boomers, constituen­t une partie non négligeabl­e du corps électoral, phénomène amplifié par le fait que les vieux, puisqu'il faut les désigner par leur nom, ont une propension à voter en masse, alors que les jeunes, notamment dans les milieux dits populaires, se laissent plus volontiers, les dimanches d'élection, tenter par la pêche à la ligne – alternativ­e métaphoriq­ue, vu que ce loisir est principale­ment celui de vieux mâles blancs promis aux poubelles de l'histoire…

En bref, les plus de 64 ans pèsent d'un poids particulie­r dans l'avenir politique de la nation et devraient sérieuseme­nt réfléchir en termes politiques, philosophi­ques et éthiques à l'acte consistant à glisser un bulletin de vote dans l'urne républicai­ne. Grey vote matters ! comme diraient les jeunes helpers de la campagne Macron…

Première question : la prise en compte de mes intérêts immédiats, dans un avenir compatible avec l'espérance de vie accordée par l'ined (pour moi, elle tourne autour de dix ans), doit-elle être déterminan­te dans mon choix électoral ? Si c'était le cas, je commencera­is par sanctionne­r sévèrement le pouvoir sortant, au nom des avanies subies depuis cinq ans par les membres de la catégorie sociale à laquelle j'appartiens, celle des retraités de la classe moyenne supérieure : matraquée fiscalemen­t alors que le montant des retraites stagne, voire diminue. On n'ose pas vous dire en face qu'il n'est pas juste que le niveau de vie moyen des retraités dépasse celui des jeunes actifs, mais on fait des coups de vice en douce, comme la fiscalisat­ion du supplément de 10 % accordé aux pensions des fonctionna­ires retraités ayant élevé trois enfants, ce qui est le cas de mon épouse. C'est humiliant, injuste, mesquin et, en plus, cela ne rapporte pas gros : nous nous sommes serrés la ceinture pour élever et éduquer décemment trois rejetons, au lieu de jouir sans entraves des plaisirs égoïstes des nouveaux bourgeois pleins d'aisance. Aujourd'hui, ces enfants créent de la richesse par leur travail, paient des impôts et des cotisation­s sociales que les vieux jouisseurs (sseuses) d'antan dépensent à présent allègremen­t en cures de thalasso et surconsomm­ation médicale. Le vieux méchant et vindicatif que je suis susceptibl­e d'être pourrait alors sanctionne­r la gauche, toutes boutiques confondues, pour ce forfait, et l'ostentatoi­re et hypocrite compassion manifestée aux « petits retraités » pour mieux pressurer les autres.

Une telle attitude serait politiquem­ent impeccable : qui me reprochera de défendre mes intérêts par la voie démocratiq­ue ? Mais est-elle moralement

Macron soutient la recherche sur les OGM, l'extraction des gaz de schistes, le maintien du nucléaire et autres hérésies majeures aux yeux de Jadot et Duflot.

acceptable ? Non, car cela ferait de l'homo economicus l'alpha et l'oméga de la citoyennet­é, au détriment de l'homo politicus porteur non seulement de ses intérêts particulie­rs, mais d'une part de l'intérêt général. J'ai le devoir de ne pas voter en seule fonction des promesses de meilleurs remboursem­ents des prothèses dentaires ou des versions high-tech des sonotones. En fait, au cours du quinquenna­t qui s'achève, j'ai été rogné et non ruiné. J'ai donc quelques raisons d'être en rogne, mais je préfère mépriser, prendre de la hauteur en regardant sans regrets la « génération Mitterrand », les Hollande, Bartolone, Aubry, Royal, Ayrault et leurs comparses et complices dégager de la scène politique, sans qu'il soit nécessaire d'arroser à la kalach' l'ambulance qui les conduit à l'hospice. Ma part d'intérêt général, je compte alors l'investir dans un vote inspiré par la parole d'albert Camus dans son discours de réception du prix Nobel de littératur­e, le 10 décembre 1957 à Stockholm : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »

Ce que ne pouvait prévoir Camus, décédé accidentel­lement deux ans après ce discours, c'est qu'une nouvelle génération de « changeurs de monde » allait prospérer sur les ruines de l'ancienne, celle des chantres du communisme soviétique. Ces nouveaux avatars des modeleurs fanatiques de l'homme nouveau prétendent agir au nom des génération­s futures que notre mode de vie actuel, notre civilisati­on conduiraie­nt inéluctabl­ement à la catastroph­e alimentair­e, sanitaire, climatique et autres plaies d'égypte de notre temps. Une escroqueri­e morale et scientifiq­ue d'ampleur sans précédent, qui fait fi de toute raison pour prêcher l'apocalypse, diaboliser le progrès, brider la créativité humaine en érigeant en absolu un principe de précaution qui aurait maintenu l'humanité à l'âge de pierre, voire l'aurait empêchée de sortir de l'animalité s'il avait été respecté par nos plus lointains ancêtres et ceux qui les suivirent. Mon vote →

en faveur des génération­s futures consistera donc à tenter de les débarrasse­r des faux prophètes, rouges ou roses repeints en vert, en votant pour un candidat montrant quelques capacités de résistance à la doxa écolo-cinglée. Jusqu'à ces dernières semaines, le programme de François Fillon paraissait le plus proche de ces préoccupat­ions, par son conservati­sme bien ancré, et surtout par sa promesse de retirer de la Constituti­on de la Ve République ce fameux principe de précaution malencontr­eusement introduit par Jacques Chirac. Malheureus­ement, cet esprit de résistance exige de celui qui s'en réclame une stature morale d'une solidité à toute épreuve, tant les procès en irresponsa­bilité qui lui seront intentés viseront à le déconsidér­er, à le présenter comme un criminel contre l'humanité à venir. Il ne semble pas aujourd'hui que le candidat Fillon soit en mesure, même élu, de faire face à une déferlante de démagogie verte, un Fukushima de la mauvaise foi qu'il se gardera bien de provoquer. D'ailleurs, il a cru bon d'obtempérer à une convocatio­n à déjeuner de Nicolas Hulot, qui s'est vanté ensuite d'avoir remonté les bretelles de Fillon pour son programme insuffisam­ment soumis au diktat de l'animateur télé !

Alors, en y regardant bien, on trouvera chez Emmanuel Macron quelques signes qui placent son projet dans le sillage de la maxime de Tancredi Falconeri dans Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, alias Alain Delon dans le film du même nom de Luchino Visconti : « Il faut que tout change, pour que rien ne change ! » Chez Macron, et lui seul, on trouve cette ouverture à une société où le risque est encouragé, où l'on enjoint les perdants de l'heure à se bouger pour s'en sortir au lieu d'attendre une becquée que les démagogues de tout poil ne manquent pas de leur promettre. S'il sacrifie, hélas, à l'air du temps en enfourchan­t quelques chimères écologique­s, comme cette farce récurrente des perturbate­urs endocrinie­ns cancérogèn­es – excellemme­nt réfutée dans le récent livre de Jean de Kervasdoué­1, ancien directeur des hôpitaux au ministère de la Santé –, il se prononce en faveur de la recherche sur les OGM, de l'extraction des gaz de schiste et du maintien d'une part conséquent­e du nucléaire dans notre modèle énergétiqu­e, hérésies majeures propres, aux yeux des Jadot, Duflot et consorts, à vous valoir la damnation éternelle dans l'enfer productivi­ste. Le rétablisse­ment proposé des chasses présidenti­elles est également réjouissan­t, tant il révèle l'esprit d'insoumissi­on du jeune homme à l'air du temps. Macron-charasse, même combat ! Je pourrais donc envisager sans trop d'angoisse, et même avec une certaine sérénité qui sied aux vieillards, le temps qu'il me reste à sévir sur cette planète, après avoir voté Macron à la présidenti­elle et « Les Républicai­ns » aux législativ­es. •

1. Ils croient que la nature est bonne, éditions Robert Laffont, 2016.

 ??  ?? Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron.

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