Céline : l'antidote Muray
Le Céline de Muray est à peine évoqué dans le Taguieff et Duraffour publié en 1981. Philippe Muray s'y montrait pourtant un grand admirateur de Céline. Mais il se révélait aussi le premier à ne pas éluder le problème des pamphlets, et donc de l'antisémitisme de Céline. Il ne les excuse pas ni ne les condamne, car les choses pour lui ne peuvent se juger en ces termes. Une oeuvre littéraire est un tout, et la lire c'est penser sa cohérence mais aussi ses contradictions, et même comprendre que les contradictions sont une cohérence. Parlant du thème de l'extermination des juifs dans les pamphlets, Muray démontre de manière serrée que ce projet n'apparaît jamais dans les romans. Il note aussi que l'antisémitisme de Céline déplaît profondément à ses amis nazis, voire les effraie. Pour Taguieff et Duraffour, c'est une preuve à charge de l'extrémisme de Céline là où Muray, convaincant, montre que Céline, en fait, gêne parce qu'il écrit tout haut ce que les antisémites BCBG comme Morand ou Jouhandeau susurrent avec élégance dans les salons de l'occupation. Le Céline antisémite est hyperbolique et paradoxalement devient un révélateur de l'horreur qui vient, qui est là. L'écrivain, surtout quand il est génial, dit toujours, même malgré lui, la vérité de ce qu'il voudrait cacher. Céline fait ainsi, consciemment ou non, exploser l'euphémisation du discours nazi ou pro-nazi, comme une catharsis. Muray ne tombe pas pour autant dans le piège des « deux Céline » qui est la défausse de tant de céliniens comme le remarquent Taguieff et Duraffour. Muray pense aussi qu'il n'y a qu'un Céline mais il en tire des conclusions radicalement différentes : « S'il n'y a pas eu deux Céline, c'est que celui des pamphlets se trouvait à l'intérieur de l'autre, comme une maladie du corps à l'intérieur de l'âme […] Lentement, livre après livre, Céline s'est guéri de sa propre maladie. C'est une tragédie intégralement littéraire. […] Et finalement, il a réussi. » Pour le reste, dans une préface à la réédition de son Céline en 2000, il semble répondre par anticipation à Taguieff et Duraffour : « Dans de telles conditions, la volonté d'expulser Céline une bonne fois pour toutes de l'histoire de la littérature, après l'avoir bien sûr jugé et rejugé et voué aux pires supplices, est inattaquable ; et, de toute façon, qui oserait protester face à tant de justiciers qui ne peuvent plus se tromper puisqu'en sortant de l'erreur, ils ont accédé à l'innocence ? » •