Tibor Csernus, un autre artiste de la figuration narrative
Un mouvement artistique comporte souvent des figures beaucoup plus variées que sa définition ne le laisse présager, et c'est tant mieux. La figuration narrative ne fait pas exception. Sa diversité est réjouissante. J'en veux pour preuve l'un des participants à l'exposition fondatrice de 1965, Tibor Csernus (1927-2007). Ce peintre atypique est passionnant à tous points de vue. Hongrois, il fuit son pays après l'écrasement de l'insurrection de 1956 et se réfugie en France. Contrairement à la plupart des membres du mouvement, il n'est nullement fasciné par le marxisme, bien au contraire. Son style de peinture est également complètement à rebours de celui de ses camarades. Formé aux Beauxarts de Budapest, école très ouverte à la modernité, il s'éloigne de plus en plus des courants dominants de son temps. Il est attiré par les peintres caravagesques au point de devenir l'un des leurs avec plus de trois siècles de retard. Il s'intéresse aussi à des artistes satiriques comme William Hogarth (1697-1764). Dans son atelier du Bateau-lavoir, il peint des Conversions de saint Paul et des Atalante et Hippomène en décalage total par rapport au public de son temps. On le considère passéiste et rétrograde. Ses oeuvres peinent à se vendre de son vivant. Dix ans après sa mort, ses toiles suscitent un regain d'intérêt, en Hongrie notamment. Sa facture apparaît, en effet, d'une incroyable maturité dans une génération où le raffinement était rare. Loin d'avoir produit de discutables pastiches, on s'aperçoit qu'il a réexploré de l'intérieur la peinture d'autrefois, à l'image d'un cuisinier exhumant d'anciennes recettes. Son aventure artistique, à mille lieues d'un enfermement réactionnaire, constitue une véritable réappropriation de l'histoire de la peinture. Alors que nombre d'artistes de la figuration narrative fleurent les années 1970 et peuvent paraître un peu datés, Csernus l'intempestif n'a pas pris une ride. •