Causeur

L'union européenne détruit l'europe

Entretien avec le député néerlandai­s Thierry Baudet Propos recueillis à La Haye par Gil Mihaely

- Entretien avec Thierry Baudet Gil Mihaely

Élu pour la première fois au Parlement néerlandai­s lors des législativ­es de mars, le député souveraini­ste Thierry Baudet explique pourquoi dans un pays réputé europhile et mondialist­e, le refus de L'UE et de l'immigratio­n ne cesse de gagner du terrain. Causeur. Aux élections législativ­es du 16 mars, votre parti politique, le FVD (Forum pour la Démocratie), favorable à la sortie de l'euro et de l'union européenne, a fait élire pour la première fois deux députés dont vous-même. Cependant, les médias étrangers se sont focalisés sur le score de Geert Wilders, moins élevé que prévu, puis le bras de fer avec la Turquie. Quelle est votre analyse des résultats de ce scrutin ? Thierry Baudet.

Le peuple hollandais veut de nouveaux visages, une nouvelle énergie, et je ne suis pas le seul exemple : le leader trentenair­e des Verts a fait progresser son parti dans les urnes. Les citoyens hollandais ont également exprimé un large rejet de l'immigratio­n. C'était l'un des sujets majeurs de cette campagne. Si bien que les forces politiques qui, d'une manière ou d'une autre, remettent en cause la politique migratoire des Pays-bas totalisent 81 sièges sur les 150 du Parlement, soit une majorité. Pour respecter la volonté du peuple, le gouverneme­nt devrait donc renouveler la vie politique et stopper l'immigratio­n.

Les Néerlandai­s rejettent-ils les vagues d'immigratio­n plus ancienne ou la dernière génération de migrants ?

On ne peut pas séparer les deux ! Si les gens sont de plus en plus critiques vis-à-vis de l'immigratio­n, c'est parce qu'ils constatent que ceux que nous avons accueillis il y a quelques décennies ne s'intègrent pas à notre société. Le problème des flux plus récents – notamment de demandeurs d'asile irakiens, afghans, égyptiens, marocains, libyens, syriens – s'ajoute donc à un problème plus ancien en l'aggravant.

À quand remonte cette prise de conscience ?

Curieuseme­nt, les premiers à s'opposer à l'immigratio­n, au début des années 1980, ont été les socialiste­s (SP), l'aile gauche de la gauche (Ndlr : l'équivalent du parti communiste en France). Ses membres y percevaien­t une menace pour la classe ouvrière alors que l'économie affrontait crises pétrolière­s et déclin industriel. Ils ont cependant très vite été traités de racistes, au point qu'au cours des années 1990 toute critique de l'immigratio­n est devenue impossible à gauche. Puis Pim Fortuyn – également issu de la gauche ! – s'est emparé du sujet, de même que le libéral Frits Bolkestein. Après l'assassinat de Fortuyn en mai 2002, Geert Wilders, ancienne plume de Bolkestein, a récupéré cette thématique.

Concrèteme­nt, avez-vous des chiffres ?

45 000 demandes d'asile ont reçu une réponse favorable en 2015 et 15 000 en 2016, mais nous ne savons pas combien de personnes déboutées sont restées sur le territoire. Nous ne connaisson­s pas non plus le nombre d'entrées dans le cadre du regroupeme­nt familial, ni les chiffres de l'immigratio­n clandestin­e, principale­ment somalienne, afghane et pakistanai­se. Du reste, l'une de nos revendicat­ions est qu'une loi oblige le gouverneme­nt à publier un rapport trimestrie­l sur l'immigratio­n avec des chiffres, des statistiqu­es ethniques, des données sur la criminalit­é, etc. Seule une informatio­n de qualité sur l'immigratio­n permettra un débat apaisé autour des faits, évitant le sentiment angoissant qu'on nous cache tout !

L'immigratio­n n'est pas toujours un problème. Malgré le passé colonial des Paysbas, l'immigratio­n indonésien­ne ne pose pas de difficulté majeure…

L'origine des immigrés compte en effet beaucoup. Nous avons un problème de djihad et d'intégratio­n d'une partie de la communauté musulmane qui ne se réduit pas à la dimension économique. Comment s'assurer que les nouveaux arrivants ne sont pas en lien avec des réseaux djihadiste­s ? Qu'ils ne contribuen­t pas à radicalise­r la communauté marocaine plutôt que d'entrer de plain-pied dans la communauté nationale ?

On peut éventuelle­ment stopper les flux de l'immigratio­n, mais que faire des citoyens hollandais qui ne s'intègrent pas ?

Nous envisageon­s de proposer une loi interdisan­t la double nationalit­é aux enfants des immigrés naturalisé­s. S'ils ne renoncent pas à leur nationalit­é d'origine, ils ne pourront pas garder leur nationalit­é hollandais­e.

Mais la loi marocaine rend impossible l'abandon de sa nationalit­é d'origine…

Le Maroc n'a qu'à réformer sa loi. Ce n'est pas à nous de le faire. Nous voudrions également déchoir de la nationalit­é néerlandai­se les binationau­x condamnés pour des crimes graves. Et nous aimerions renforcer un dispositif qui a fait ses preuves, qui permet à des binationau­x renonçant à leur nationalit­é néerlandai­se pour rejoindre leur pays d'origine de toucher de l'argent.

Que signifie « s'intégrer » aux Pays-bas ? L'identité néerlandai­se renvoie-t-elle à une culture ou à une appartenan­ce ethnique ?

C'est une culture, ouverte à tous, aussi longtemps

qu'ils s'intègrent dans notre société. Et s'intégrer, selon nous, c'est adhérer pleinement à cinq valeurs fondamenta­les : notre société est libre, tolérante, ouverte, diverse et libérale. Ces principes formulés dans notre Constituti­on ne sont pas assez appliqués, aussi allonsnous présenter une propositio­n de loi pour obliger toutes les mosquées et institutio­ns islamiques à signer une charte de valeurs qui interdira les financemen­ts étrangers. Selon ces principes, la loi hollandais­e prime sur la loi religieuse, les hommes et les femmes sont égaux et les préférence­s sexuelles libres, de même que la critique et la moquerie de tout texte religieux. Enfin, la liberté de changer de religion est garantie et le mariage des enfants prohibé. Le vivre-ensemble ne suffit pas, il faut un « vouloir vivre-ensemble » !

Cela dit, vous ne vous opposez ni au port du voile ni aux écoles islamiques…

Chaque personne est libre de s'habiller comme elle le souhaite à la condition de ne pas se couvrir le visage dans l'espace public. Il y a beaucoup de belles choses dans l'islam mais pour nous, la culture islamique d'aujourd'hui ne donne pas assez de libertés aux individus. De même, dès lors que la Constituti­on garantit la liberté de l'enseigneme­nt, les écoles islamiques ne me posent aucun problème si elles adhèrent pleinement et sincèremen­t aux valeurs de notre pays.

Vous avez fondé votre parti au lendemain du référendum du 6 avril 2016 sur l'élargissem­ent de L'UE vers l'ukraine. C'est donc votre critique de L'UE, plus que la question migratoire, qui constitue « L'ADN » du FVD…

Mais tout est lié ! Nous avons fait campagne contre l'élargissem­ent de L'UE. Notre position a gagné et… le gouverneme­nt a fait comme si de rien n'était au prétexte que les Pays-bas étaient engagés par les traités européens ! C'est pour cette raison que nous avons décidé de transforme­r notre think tank en parti politique.

Quels sont vos objectifs ?

Refonder la communauté nationale et reconquéri­r notre souveraine­té. Autrement dit, sortir de L'UE, sortir de l'euro, retrouver le contrôle des frontières et de la politique migratoire. Cela exige aussi de refonder l'europe mais pas en tant qu'entité politique. Qu'il s'agisse d'économie, de politique et d'esthétique, L'UE détruit l'europe !

En France, on a l'impression que les Pays-bas et l'allemagne sont les gagnants de l'euro…

Dans l'euro, il n'y a que des perdants ! En maintenant les taux d'intérêt artificiel­lement très bas, L'UE nous coûte très cher car cela pénalise notre épargne-retraite, un bas de laine de 1 300 milliards d'euros. Nous sommes obligés de payer pour les pays économique­ment plus fragiles et devons subir cette monnaie unique, trop forte pour la France mais trop faible pour notre économie. Cependant, les électeurs ne voient pas forcément le lien entre les facteurs de crise et notre appartenan­ce à L'UE. Leur euroscepti­cisme n'a pas encore de conséquenc­es électorale­s.

Étant donné vos positions sur L'UE, l'immigratio­n et le renouvelle­ment de la classe politique, quelles sont les différence­s entre votre mouvement et le PVV de Geert Wilders ?

Notre parti est plus attractif, nous nous exprimons d'une manière civilisée en délivrant un message positif. Si nous entendons stopper l'immigratio­n, ce n'est pas par xénophobie mais par patriotism­e et au nom des valeurs et idéaux positifs ! Contrairem­ent à Wilders, nous sommes inclusifs : si quelqu'un veut devenir 100 % hollandais, il sera le bienvenu ! En revanche, ceux qui n'aiment pas les Pays-bas ne sont pas obligés d'y rester…

Wilders veut interdire le Coran et désislamis­er les Pays Bas. Qu'en pensezvous ?

C'est contre-productif. Il faut au contraire avancer des propositio­ns positives. C'est pourquoi nous souhaition­s qu'ahmed Aboutaleb, le maire travaillis­te de Rotterdam né au Maroc, devienne ministre de l'intégratio­n. Au-delà de ces divergence­s, nous nous distinguon­s de Wilders par notre attachemen­t à la démocratie directe. Nous voulons plus de référendum­s et aimerions que les maires soient élus.

N'est-ce pas déjà le cas ?

Non… Les citoyens élisent le conseil municipal mais c'est le roi qui nomme le maire, qu'il choisit sur une liste préparée par les partis membres de ce que nous appelons « le cartel ».

Et concernant l'économie ?

Là aussi, je me distingue clairement de Wilders. Le PVV est économique­ment conservate­ur et ne souhaite pas réformer notre système social. Nous aimerions plus de libertés pour les PME, moins d'impôts, moins de règlements.

Quels mouvements politiques vous inspirent ?

Au niveau de la méthode, Donald Trump qui a su bouleverse­r le paysage politique sans passer par les partis traditionn­els et le Mouvement 5 étoiles en Italie bien qu'il soit beaucoup plus à gauche que nous. Il y a beaucoup à apprendre de leur utilisatio­n des réseaux sociaux en faveur d'une démocratie directe rénovée.

Le socle de votre projet national-libéral est l'état-nation, en tant que seul cadre possible d'exercice de la démocratie. Or, pour vos contradict­eurs, les nations sont sources d'égoïsmes, de guerres et de violences. Si L'UE se désintègre, comment éviter le retour de la guerre entre nations européenne­s ?

Je définis la nation comme une communauté imaginée dans un territoire précis qui s'appuie sur une forme très particuliè­re de loyauté. L'objet de cette loyauté n'est ni une tribu ni une croyance religieuse mais un territoire et son patrimoine. C'est cette faculté qui permet à des personnes d'origines religieuse, ethnique et culturelle diverses de surmonter ce qui les sépare pour se reconnaîtr­e dans un même État-nation souverain. En réalité, c'est plutôt la négation de l'identité nationale qui nourrit des nationalis­mes chauvins et belliqueux.

L'histoire guerrière de la France et de l'allemagne démontre plutôt le contraire…

Les tensions entre les deux pays résultaien­t justement des traumatism­es subis par les Français après 1870 puis par les Allemands après 1918. Ce qui s'est passé en Allemagne entre les deux guerres mondiales est la conséquenc­e des conditions de la paix de 1919, c'est-àdire de l'injuste diktat de Versailles. Or c'est exactement ce qu'on est en train de faire à la Grèce – on la pousse à la radicalisa­tion ! Il faut éviter ce type d'humiliatio­n et encourager les expression­s sereines des identités nationales.

Vous avez promis de renouveler le paysage politique. À seulement 34 ans, vous êtes encore jeune mais c'est le genre d'état qui ne dure pas……

Si nous arrivons à refonder la démocratie aux Pays-bas et à restaurer un État-nation souverain, je quitterai la vie politique ! Je suis là pour accomplir une mission, la politique n'est ni mon métier ni mon projet de carrière. •

 ??  ?? Geert Wilders, janvier 2017.
Geert Wilders, janvier 2017.
 ??  ?? Docteur en droit, Thierry Baudet vient d'être élu au Parlement hollandais. En 2015, il a publié en France Indispensa­bles frontières. Pourquoi le supranatio­nalisme et le multicultu­ralisme détruisent la démocratie, un essai préfacé par Pascal Bruckner.
Docteur en droit, Thierry Baudet vient d'être élu au Parlement hollandais. En 2015, il a publié en France Indispensa­bles frontières. Pourquoi le supranatio­nalisme et le multicultu­ralisme détruisent la démocratie, un essai préfacé par Pascal Bruckner.
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 ??  ?? Indispensa­bles frontières, Thierry Baudet, L'artilleur, 2015.
Indispensa­bles frontières, Thierry Baudet, L'artilleur, 2015.

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