Causeur

SOUS LE TRANSHUMAN­ISME, L'EUGÉNISME

Président de la fondation Jérôme Lejeune, Jean-marie Le Méné s'inquiète de la généralisa­tion des tests de détection prénataux. Il y voit le risque d'une éliminatio­n totale des embryons d'humains considérés comme «diminués» notamment ceux des trisomique­s.

- Entretien avec Jean-marie Le Méné, propos recueillis par Daoud Boughezala et Gil Mihaely

Causeur. Vous annoncez que les trisomique­s seront « les premières victimes du transhuman­isme » à cause des progrès de l'eugénisme. En réalité, ils pourraient aussi être les premiers bénéficiai­res des avancées dans le domaine des sciences du cerveau…

Jean-marie Le Méné. Ils profiterai­ent alors des progrès de la médecine et de la science, pas du transhuman­isme qui suppose un refus de la Nature. Le trans- humanisme a commencé avec la procréatio­n médicaleme­nt assistée (PMA), qui passe par le tri des embryons et le fait de décréter qu'untel a le droit de vivre aux dépens d'un autre. À la fondation Lejeune, nous développon­s la recherche, notamment sur le plan cognitif, pour essayer d'améliorer les aptitudes intellectu­elles des personnes trisomique­s. Mais il s'agit de leur rendre ce dont la Nature les a privés en raison de ce désordre accidentel qui s'appelle la trisomie 21, et non de les « augmenter ».

Sans parler d'humain « augmenté », un nouveau test américain permet de détecter le chromosome de la trisomie 21 dans le sang de la mère. En quoi cela vous gêne-t-il ? Je ne suis pas opposé au diagnostic anténatal en soi. Ce qui m'inquiète, c'est la systématis­ation du diagnostic quasi imposé à toutes les femmes enceintes, quel que soit leur âge. Résultat : 97 % des enfants trisomique­s diagnostiq­ués sont éliminés par l'avortement, et leur nombre à la naissance a été divisé par quatre ! « Qui pourra sérieuseme­nt s'opposer au génocide des trisomique­s ? » écrit Luc Ferry. On comprend mal pourquoi cette innovation vous inquiète davantage que l'amniocentè­se, laquelle provoque 1 % de fausses couches… Sur le plan moral, il y a certes assez peu de différence entre ces deux méthodes. Mais ce test est beaucoup plus efficace car il permet de repérer directemen­t dans le sang de la mère enceinte des traces du génome de l'enfant qu'elle porte : quand on détecte 47 chromosome­s, on comprend qu'il est trisomique. De ce fait, on peut détecter (et donc éliminer !) plus tôt l'enfant détecté. Le jour où l'assurance maladie proposera ce test en France, en plus d'ouvrir un marché d'un milliard d'euros, cela renforcera l'eugénisme. Bientôt, cela pourra se faire avec d'autres maladies ou prédisposi­tions. C'est pour cela que les humains « diminués » sont les premières victimes du transhuman­isme. Mais on ne peut pas obliger les parents à garder des enfants handicapés ! On dirait que vous sous-estimez la demande sociale d'« enfants sains »… C'est largement l'offre technique qui détermine la demande. La loi oblige les médecins à proposer à toutes les femmes enceintes de pratiquer un diagnostic anténatal de la trisomie 21. Du même coup, les spécialist­es préemptent à la fois la capacité de compréhens­ion de la femme (« Vous ne pouvez pas comprendre ! ») et son instinct maternel (« Vous ne pouvez pas l'aimer ! »). Mettons donc un terme à ce dépistage systématiq­ue injustifié et ruineux : la trisomie ne concerne qu'une conception sur 750 et inquiète inutilemen­t 98 % des femmes ! Pour un opposant à l'avortement comme vous l'êtes, le droit à L'IVG est-il déjà une forme d'eugénisme ? Non. L'eugénisme ne concerne que l'interrupti­on médicale de grossesse (IMG) qui vise des population­s ciblées. L'IVG est entre les mains de la femme, lui permettant de faire ce qu'elle veut sans rendre de comptes à personne, L'IMG reste du ressort du monde médical. Si, à l'échographi­e, on signale une imperfecti­on et que la femme entend avorter sous un prétexte futile, certains médecins refusent de délivrer l'autorisati­on de L'IMG. Mais celle d'avorter les enfants trisomique­s est toujours accordée. Il y a un marché. Vous oubliez que les associatio­ns de familles trisomique­s sont aussi favorables à la généralisa­tion du dépistage. Or, dans votre livre, vous évacuez cet argument en les disant victimes du syndrome de Stockholm ! Cette dérive concerne notamment l'associatio­n des familles d'handicapés mentaux, que je respecte par ailleurs, l'unapei. Au sein de leur comité d'éthique, ses membres ont nommé Israël Nisand, qui vante ouvertemen­t le nouveau test de dépistage anténatal. C'est quand même un peu surprenant ! Je ne pense pas que ce soit l'avis des familles d'enfants handicapés très choquées par les propos que le Pr Jean-didier Vincent avait tenus à la radio face à moi, hurlant que « les trisomique­s étaient un poison »… Que les malades soient désormais considérés eux-mêmes comme des maladies est très révélateur d'une évolution. Or, quand la nature condamne, le rôle de la médecine n'est pas d'exécuter la sentence mais d'essayer de « commuer la peine », selon l'expression de Jérôme Lejeune. Les gens rechignero­nt peut-être moins à accepter un enfant trisomique le jour où existeront des solutions d'accompagne­ment tout au long de la vie du handicapé… C'est d'autant plus vrai que la durée de vie des trisomique­s s'est aussi allongée. Ils peuvent vivre maintenant jusqu'à 70 ans ou plus. Ce qui pose de nouveaux problèmes, parce que les parents ne veulent pas imposer cette charge à la fratrie. Dans nos consultati­ons, on a affaire à la première génération d'enfants handicapés qui survivra à ses parents. Mais l'état ne peut pas financer à la fois leur éliminatio­n et leur prise en charge ! À la fondation Jérôme Lejeune, avez-vous des espoirs de traitement efficace de la trisomie ? La science fait feu de tout bois. Bientôt, on pourra prélever des cellules d'enfants trisomique­s, les transforme­r en cellules souches, retirer le chromosome 21 et les faire se reproduire sans l'anomalie responsabl­e du handicap. Pour l'instant, cette opération s'effectue in vitro, mais à l'avenir il sera sans doute possible de greffer ces cellules saines dans certaines parties du cerveau. Depuis vingt ans, notre fondation a réintéress­é les chercheurs à la question en ouvrant des perspectiv­es thérapeuti­ques. Lesquelles ? Des synergies se créent. De grands laboratoir­es travaillen­t par exemple sur la maladie d'alzheimer, un syndrome que développen­t beaucoup de personnes trisomique­s vers l'âge de 30 ans. Rien ne serait plus désespéran­t que de renoncer à la recherche sur une maladie au prétexte qu'on aurait bientôt éliminé tous les malades! •

 ??  ?? Jean-marie Le Méné préside la Fondation Jérôme Lejeune. Il a publié Les Premières victimes du transhuman­isme. La ruée vers l'or des mongols (Editions Pierre-guillaume de Roux, 2016).
Jean-marie Le Méné préside la Fondation Jérôme Lejeune. Il a publié Les Premières victimes du transhuman­isme. La ruée vers l'or des mongols (Editions Pierre-guillaume de Roux, 2016).
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Les Premières Victimes du transhuman­isme : la ruée vers l'or des Mongols, éditions Pierre-guillaume de Roux, 2016.

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