Au régal des souris !
En ce début d'été, un Californien vient d'établir un record époustouflant : il a visité Disneyland deux mille jours d'affilée, grâce à un abonnement illimité ! L'homme a donc passé environ cinq ans et demi de sa vie dans le parc, de manière continue, à admirer les « parades » et faire du manège, bien davantage que la plupart des employés du lieu. C'est une expérience limite, aux frontières de ce qu'un psychisme et un organisme humain peuvent endurer... Jeff Reitz, c'est son nom, est littéralement en train de se transformer, quasi biologiquement, en Mickey Mouse. Les oreilles de souris poussent. La queue pointe. Il ne se nourrit plus que de fromage. Cela nous mène aux confins de La Métamorphose de Kafka et du Rhinocéros d'ionesco. Et l'homme n'en ressort pas grandi.
De ce côté-ci de l'atlantique, nous croyions naïvement qu'il restait encore un petit répit à l'homme de jadis, grâce à la culture. L'ancien monde se croyait encore préservé des attaques de la société de consommation. On vivait dans l'espoir que la métamorphose en souris ne serait pas pour demain… Et patatras, nous apprenons que la publicité va débarquer dans les théâtres hexagonaux, et ce dès la rentrée de septembre ! La régie publicitaire ODW a signé un accord avec 17 salles privées, dont certaines réputées comme le théâtre du Gymnase ou le Palais des glaces, pour projeter des pages de publicité avant les pièces. Et comme avec la publicité il ne faut jamais douter du pire, on attend avec impatience les spectacles sponsorisés (« Le Malade imaginaire, avec les laboratoires X »), le placement de produits (la Titania du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare arborant sur scène un chapeau en forme de baril de lessive), les décors tapissés de logos… Il ne sera donc bientôt plus possible d'échapper par la culture à ce long continuum publicitaire qu'est devenu depuis longtemps le monde réel... La métamorphose est en marche. Encore plus loin, cet été sera certainement marqué par la progression fulgurante de la pratique sportive du Bookfighting, que son concepteur définit comme une « post-littérature ». Il s'agit d'un art martial en vogue qui, nous apprend une brochure, se joue de la sorte : « Croiser sport de combat et littérature, c’est tout le défi relevé par le Bookfighting : un véritable art martial “intellectuel” où le jeu consiste à jeter des livres de poche pour toucher son adversaire. » Intellectuel, on souligne. La caution culturelle est là, d'ailleurs : c'est « inspiré » d'un manga ! Le bréviaire de ce sport codifié, en vente libre, se présente comme un « manifeste social et politique »… L'homme vit dans le parc d'attractions, la publicité est entrée dans le théâtre, les livres sont à terre… Les petites souris n'ont plus qu'à en faire leur festin. Vivement la rentrée ! •