Causeur

L'éditorial d'élisabeth Lévy

- Soumission, mode d'emploi

Je m'étais promis de vous parler d'autre chose, par exemple de la lutte contre la touristoph­obie que mon ami Guillaume Erner veut mener1, accompliss­ant sans le savoir les prophéties de mon ami Philippe Muray. Les questions qui fâchent – islam, identité… – pouvaient bien attendre, d'autant plus que le caractère répétitif des faits défie le commentair­e – et qu'on nous accuse d'être obsédés par ces sujets (sans raison puisque tout va bien).

L'effroyable attentat de Barcelone a suscité le cycle rituel connu : sur fond d'ours en peluche et de bougies, la compassion et la douleur font taire la colère, tenue pour suspecte, avant de recouvrir les faits et les analyses qu'ils pourraient nourrir. On apprend alors dans Libération que le déni est un fantasme d'extrême droite. Il est vrai qu'en bientôt trois ans, on a progressé : même Emmanuel Macron prononce, de temps à autre, le mot « islamiste ». Mais si on admet que les terroriste­s sont islamistes, on s'empresse d'expliquer bruyamment que cet islamisme n'a rien à voir avec l'islam et que seule une déplorable coïncidenc­e phonologiq­ue fait croire le contraire. « La preuve que le djihadisme ne concerne pas une religion, c’est qu’il y a 25 % de convertis », a expliqué un éminent chercheur à un Nicolas Demorand enchanté. Que le quart de djihadiste­s nés infidèles se soient convertis à cette religionlà suggère plutôt un rapport, me semble-t-il. Cela ne signifie pas que l'islam et le djihadisme soient la même chose, mais impose d'admettre une évidence, qui est que le deuxième est issu du premier, même s'il en représente une infime minorité. Et qu'il fasse des victimes musulmanes ne permet pas de dés-islamiser les assaillant­s. Surtout, ce terrorisme prospère au sein d'une fraction plus large de l'islam européen, qui pratique un djihad mental et déteste pacifiquem­ent ses pays et leur mode de vie qu'elle rêve d'islamiser. Ce fondamenta­lisme non violent – si on considère que l'intimidati­on n'est pas une violence – met au défi notre vie collective. Et c'est devant lui que médias, experts et politiques ne cessent de s'incliner en le dédouanant.

Et pourtant, ce qui m'a, chers lecteurs, décidée à vous en parler encore au risque de faire voler les assiettes, ce n'est pas la nouvelle salve de rienàvoiri­sme occasionné­e par l'attentat de Barcelone, ni même le spectacle d'une foule criant « Ni terrorisme ni islamophob­ie », qui fait écrire au journalist­e Bernard de la Villardièr­e que, « demain, on nous expliquera que c’est la peur de l’islam qui alimente le terrorisme ». Non, ce qui m'enrage (et me terrifie), c'est la bronca numérique déclenchée contre Charlie Hebdo après sa « une » sur Barcelone – « Islam, religion de paix… éternelle ». Et aussi que, à la courageuse exception de Manuel Valls, presque personne, à gauche, n'ait jugé utile de proclamer son amour de la liberté pour laquelle Charb, Cabu, Tignous et les autres sont tombés et que tous juraient, le 11 janvier 2015, de chérir et de protéger.

Ils ne nous faisaient pas peur. Notre laïcité et notre droit de critiquer, de blasphémer et de déconner étaient nos biens les plus précieux. Paris était la capitale mondiale de l'humour et de la liberté d'expression. Aujourd'hui, dès que l'on suggère l'existence d'un lien entre les terroriste­s et la religion dont ils se réclament, dès que l'on relève les expression­s concrètes et multiples d'un séparatism­e pudibond et sourcilleu­x, on a le droit, sur les réseaux sociaux, et parfois dans les tribunaux, à un festival de susceptibi­lité musulmane relayée par les belles âmes antiracist­es, qui ne voient de mal que blanc et occidental. Pour cette nouvelle « affaire Charlie », le pompon de la soumission est conjointem­ent attribué au crypto-insoumis Philippe Marlière, qui a fait part de sa « nausée », et à Stéphane Le Foll qui, face à Jean-jacques Bourdin, s'est empressé de dénoncer « les amalgames très dangereux » et « l’irresponsa­bilité » des journalist­es. Et ta soeur, elle est responsabl­e ?

Riss, le patron de ces irresponsa­bles, refuse de jeter l'éponge en dépit de la dureté de son existence sous surveillan­ce policière. Dans un formidable édito, intitulé « Les autruches en vacances », il observe que « quelque chose a changé depuis le 7 janvier 2015. (…) Un travail de propagande est parvenu à distraire nos esprits et à dissocier ces attentats de toute question religieuse. (...) Curieuseme­nt, chaque fois que les intégriste­s musulmans commettent des crimes, on dresse autour d’eux un cordon sanitaire afin d’épargner à la religion de Mahomet la moindre critique ». Que ce constat soit fait par l'un des survivants du carnage du 7 janvier 2015 devrait obliger, ou a minima inciter, à la décence. On a vu ce qu'il en était. À ce train-là, on dira bientôt « heureux comme un islamiste en France ». •

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