Causeur

Le journal de l'ouvreuse

Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c'est l'ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !

-

Prochaine parution : le 6 décembre 2017.

On y va ou on y va pas ? Trois heures, c’est long. Où est-ce qu’on va pouvoir manger ensuite ? Allez tant pis. Ce soir quartier libre, les théâtres sont fermés et on ne trouve rien d’autre qui plaise à tout le monde. On y va. Blade Runner 2049 ça s’intitule. Si vous avez vu Blade Runner tout court, c’est la même chose à l’envers. Blade Runner était un film noir, une espèce de Grand Sommeil futuriste dans une ville folle comme les nôtres. Blade Runner 2049 est un film blanc, un hôpital rétinien si vous voulez, tiré à quatre épingles avec presque personne sur l’écran pour pas gâcher les belles images. On dirait que le chef op’ a demandé au réa de lui foutre la paix, et que du coup le réa s’est contenté de dire aux actrices : mets-toi là sans bouger, ce sera raccord avec les escaliers (dans ce film on vole, mais qu’est-ce qu’ils ont mis comme escaliers !). Quand ça cogne, on dirait un western islandais sans scénario, pif pouf bang. Et quand ça cause, bonjour la gêne : « Je t’ai toujours dit que tu étais spécial. Ton histoire n’est pas finie. Il reste une page blanche. » – blabla tendance Chris Batman Nolan, le grand pompier qui tue. Mais quand ça se tait, maman c’est beau ! Je dis maman, je ferais mieux de dire papa. Au bout de deux heures perdues dans les yeux (faux, c’est le thème) du gentil Ryan Gosling, qui revoilà ? Gagné. Harrison Ford. Et qu’est-ce qu’il nous joue, Harrison Ford ? Gagné. Comme dans Star Wars 2015. Un papa. Le voyou hyperspati­al des premiers Star Wars, le flingueur solo de Blade Runner 1982, papa ! Vous direz : à son âge, c’est normal. Of course mais, dans le cas d’harrison Ford, papa déborde l’écran. On ne le voit d’ailleurs jamais en famille. Papa, chez lui, n’est pas un état, c’est une quête. C’est un rêve. Le rêve présent des aventurier­s du cinéma perdu dont il ne reste qu’un père entier : Harrison. Star Wars 2015 n’était rien d’autre qu’un gros pansement sur le saccage du mythe par son propre créateur après le fabulous Empire contre-attaque. On range les nounours et le merchandis­ing déchaîné, on refait du cinéma, pas nouveau, juste du cinéma. Et on rappelle les artistes de 1977 pour montrer ce qu’on peut faire de mieux après le massacre : un hommage. Blade Runner 2049, pareil. Surtout pas un film nouveau : un hommage au vieux film. Au seul film qui compte, Blade Runner. Des tas de références – à Prometheus, à Shining, à La Femme à abattre (elle avait de beaux yeux verts), à Pierre et le loup (là j’ai plus trop suivi), à Blade Runner 1982 forcément. Hommage au cinéma de papa qu’en était, du cinéma. Enfants débiles que nous sommes, z’avons perdu la recette. Ça aussi, Harrison nous le rappelle. Dans L’empire contre-attaque, deuxième Star Wars sorti peu avant le Blade primitif, l’affreux Vader tendait la main au fils qu’il voulait tuer. « I am your father », aussi culte que « Abraham, ôte ton couteau ». Trente ans plus tard, dans Star Wars 7, le vieil Harrison se fait lâchement trucider par son fils Kylo. En 1982, papa dévorait son enfant, aujourd’hui le gosse descend papa. Et c’est mal. Ce qui serait bien, ce serait d’honorer papa. Nous n’avons rien d’autre à t’offrir, dit Blade Runner 2049, qu’un cinéma replicant 100 % faux. Faux souvenirs implantés dans de faux acteurs devant de faux décors à de faux spectateur­s. Daddy Harrison prend son chèque et tourne le dos. Même son simili chien a l’air écoeuré. •

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France