Causeur

UN HÉROS SOVIÉTIQUE, LE COLONEL STANISLAV PETROV

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1. L'HOMME QUI SAUVA LE MONDE

J’apprends avec beaucoup de retard – mais je ne suis pas le seul – la mort en mai dernier d’un héros soviétique, le colonel Stanislav Petrov, dans un taudis d’une ville délabrée à la périphérie de Moscou. Il avait près de 80 ans et les documentai­res qui lui ont été consacrés – notamment celui admirable en tous points de Peter Anthony, Guerre froide : l’homme qui sauva le monde – me l’ont rendu éminemment sympathiqu­e. Un bref retour en arrière s’impose pour comprendre l’héroïsme du colonel Petrov, dont la mission consistait à surveiller les missiles nucléaires susceptibl­es de ravager L’URSS sur des écrans radar installés dans un bunker ultrasophi­stiqué. Or, en septembre 1983, quelques semaines après que des chasseurs russes eurent abattu un Boeing 747 coréen, faisant 269 victimes, dont 60 Américains, le système d’alerte indique que des missiles se dirigent vers la Russie. Si le colonel Petrov avait averti ses supérieurs, la riposte aurait été immédiate. Il décida d’attendre en dépit des injonction­s d’autres gradés qui rêvaient d’en découdre avec les Américains. Ce sera la nuit la plus longue du colonel Petrov, qui ne parvient pas à croire ce qu’il observe sur les écrans et qui, connaissan­t l’état de délabremen­t tant moral que militaire de son pays, estime que le mieux est encore de ne rien faire. Advienne que pourra ! L’alerte s’avérera être une fausse alerte et les missiles des rayons de lumière. Le colonel Petrov vide alors une bouteille de vodka, rentre chez lui et s’effondre. Deux jours plus tard, son équipe

l’accueille en héros et lui offre un petit téléviseur en noir et blanc. Ses supérieurs, en revanche, ne l’entendent pas ainsi. Pour ne pas avoir suivi le protocole, il sera mis à la retraite anticipée avec un blâme et une pension de misère. Cet épisode peu glorieux révélant les lacunes du système de défense de L’URSS sera classé top secret. Le colonel Petrov n’a jamais aspiré à être un héros. Il se trouve qu’il a pris la bonne décision au bon moment, suivant son intuition et passant outre le protocole. Bourru, indifféren­t aux honneurs, volontiers sarcastiqu­e, il sera néanmoins reçu aux Nations unies et connaîtra une gloire éphémère à Hollywood qui le laissera de glace. Héros malgré lui ? Surtout un homme trop conscient de la vanité de tout pour ne pas finir dans un taudis près de Moscou.

2. CE QUE FREUD EN PENSE

Évidemment, on pourrait reprocher au colonel Petrov de ne pas avoir déclenché une Troisième Guerre mondiale qui aurait sans doute conduit à une extinction de l’espèce humaine. Question métaphysiq­ue impossible à trancher. Mais Freud, qui est toujours de bon conseil, avait donné son opinion sur ce sujet à une jeune psychanaly­ste anglaise venue lui rendre visite dans son exil londonien, en 1938. Elle lui avait demandé : « N’est-il pas étrange que nous passions des années à tenter d’aider un patient, alors que des millions d’êtres humains peuvent être tués par une bombe en quelques secondes ? » Freud, sans se démonter et avec son humour légendaire, lui répondit : « On ne saurait dire lequel de ces destins l’homme mérite le plus. »

3. RICHARD MILLET, LE BANNI

Face au silence assourdiss­ant qui accueille l’excellent roman de Richard Millet, La Nouvelle Dolores, je me fais un devoir de le conseiller. Il est publié par Léo Scheer, mais difficile à trouver dans les librairies. Il est d’ailleurs surprenant d’observer que les libraires aspirent de plus en plus à se poser en arbitres du bon goût, voire en censeurs. Quant aux jurés des prix littéraire­s, tenus en laisse par leurs éditeurs, ils n’ont visiblemen­t pas la force de caractère d’un Stanislav Petrov. Aucun d’eux n’oserait proposer Richard Millet, le réprouvé, pour un prix... aussi insignifia­nt soit-il. •

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