Causeur

MARLÈNE SCHIAPPA « J'ADORE LES HOMMES ! »

La secrétaire d'état chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes réagit aux polémiques du moment. Si elle approuve #balanceton­porc, et se félicite de la libération de la parole des femmes harcelées, elle s'oppose à l'écriture inclusive et refuse d

- Propos recueillis par Daoud Boughezala Paulina Dalmayer et Élisabeth Lévy

Causeur. Après le scandale Weinstein, des femmes dénoncent des hommes sur les réseaux sociaux, parfois avec force noms et détails, sans la moindre preuve, sinon leur parole. Vous avez déclaré que tout ce qui contribuai­t à la libération de la parole des femmes était positif. Votre rôle, comme secrétaire d'état chargée de « l'égalité entre les femmes et les hommes » n'était-il pas de mettre en garde contre ce lynchage ?

Marlène Schiappa. Je n’ai pas vu de lynchage. Si c’était le cas, je serais intervenue. Mais comme la garde des Sceaux et tant d’autres, je considère que cela contribue à faire parler les femmes de ce qu’elles subissent. Pour autant, mon rôle n’est pas d’encourager à utiliser le hashtag « balance ton porc » : ma toute première réaction sur le sujet a été de dire que Twitter ne remplaçait pas le tribunal, même si tout ce qui permet de libérer la parole des femmes va dans le bon sens. Et je rappelle que la présomptio­n d’innocence prévaut pour tout le monde – Tariq Ramadan, un député ou le voisin d’à côté. La justice doit se faire dans les deux sens : il faut poursuivre les présumés harceleurs, mais la justice condamne aussi la diffamatio­n.

Vous n'avez peut-être pas encouragé, mais vous n'avez pas condamné. L'initiatric­e de « balance ton porc » demande des noms et des détails. Ni vous, ni la garde des Sceaux n'avez alerté sur cette suppressio­n de la garantie essentiell­e de toute justice qu'est la procédure contradict­oire. N'êtes-vous pas effrayée par la mécanique qui s'enclenche ? Toute femme qui s'est sentie offusquée, ou qui n'a pas obtenu la promotion qu'elle escomptait, peut trouver un micro ou une caméra devant lesquels proclamer « Je suis victime ». À en juger par le récit médiatique, nous vivons dans le pays le plus invivable du monde pour les femmes. À votre avis, cela correspond-il à la réalité ?

Vous me demandez mon avis. Ce que je vis n’est pas forcément représenta­tif de la vie des femmes en France. Je n’ai jamais été harcelée sexuelleme­nt dans ma vie profession­nelle et ne fais pas le ménage chez moi. Or, les chiffres nous disent que 72 % des femmes font les tâches ménagères, ce qui prouve bien que la vie des femmes n’est pas la même que celle des hommes.

Mais je vous demande votre opinion sur l'état de la France, dont on nous raconte qu'elle est un enfer pour les femmes !

Un jour, une de mes grands-mères m’a expliqué qu’elle avait arrêté de travailler pour ne pas être obligée de supporter son patron qui lui mettait la main sur la cuisse. Des progrès ont été accomplis génération après génération. Mais aujourd’hui, à peine 10 % des viols donnent suite à une plainte, car l’auteur provient généraleme­nt de la famille ou de l’entourage de la victime. Globalemen­t, les femmes sont moins bien payées, sont davantage victimes des violences sexuelles, et quasiment toutes ont été harcelées au moins une fois dans les transports en commun. On peut aussi dire que tout va bien si vous le souhaitez, mais ce serait faux ! Pourquoi ignorer ces faits ?

Il est difficile de croire à cette étude, mais passons. Demandez aux gens s'ils sont victimes de ceci ou de cela, ils vous répondront tous « oui » !

Ne critiquons pas un excès en formulant une opinion elle aussi caricatura­le. Il ne s’agit pas d’imposer une victimisat­ion générale. En revanche, il est important de faire prendre conscience aux auteurs d’actes de harcèlemen­t la portée et la gravité de leurs actes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre campagne contre les violences sexuelles est tournée vers les agresseurs et non pas uniquement sur les victimes de ces actes. Trop de choses inacceptab­les sont encore tues aujourd’hui.

Peut-être, mais la victimisat­ion triomphe dès lors que la parole des femmes ne saurait être mise en doute. Ex-fan de ces actrices aux allures de femmes fortes, un de nos camarades se désole que ces tueuses de dragons se transforme­nt en petites choses plaintives. Comment va-t-il encore pouvoir fantasmer sur elles ?

Je trouve cette réflexion très hétéro-centrée ! Il est étrange qu’un homme aborde le sujet des violences sexuelles contre les femmes en se plaignant de voir son fantasme abîmé.

Quoi qu'il en soit, derrière la dénonciati­on des violences sexuelles, évidemment légitime, on sent poindre une véritable haine de la sexualité, notamment masculine. Le mâle hétérosexu­el blanc est-il donc votre ennemi ?

Pas du tout ! J’adore les hommes, j’ai été élevée par mon père et je compte énormément d’amis garçons. Tout au long de mon parcours, ce sont des hommes qui m’ont aidée, du maire du Mans qui m’a mis le pied à l’étrier en politique, à Emmanuel Macron qui m’a fait entrer au gouverneme­nt en passant par mes éditeurs, tous masculins. Je me répète, mais évitons les caricature­s !

Quel parcours hétéro-centré ! (Rires)

En effet, mais je suis en même temps très gay-friendly puisque beaucoup d’entre eux le sont !

Vos amis masculins mènent-ils une vie si confortabl­e pour vous laisser croire qu'il est plus facile d'être homme que femme aujourd'hui en France ?

Sur certains points, la vie des hommes est tout aussi difficile. Je dis toujours que les femmes sont globalemen­t discriminé­es sur le plan profession­nel et les hommes souvent sur le plan familial. Quand vous êtes un homme et que vous voulez prendre un congé « enfant malade », c’est compliqué dans une entreprise, vous subissez des stéréotype­s. Les hommes devraient pouvoir pleurer en public sans être moqués.

Le monde de l'entreprise est agité par de plus en plus d'accusation­s de harcèlemen­t sexuel. Sous l'influence de groupes féministes ultraminor­itaires, n'est-on pas en train de criminalis­er l'art délicat de la séduction ?

Je suis justement en train de rédiger avec des députés et la garde des Sceaux le texte du projet de loi contre les violences sexuelles pour caractéris­er ce qu’est le harcèlemen­t dans l’espace public. Lorsque le législateu­r a voulu définir le harcèlemen­t moral au travail, certains soulevaien­t une objection comparable à la vôtre : « On ne pourra plus demander à son collègue de faire une heure de travail supplément­aire ! » Finalement, on a clairement défini le harcèlemen­t moral et les juges ont parfaiteme­nt réussi à rendre des jugements sur ce sujet. Je crois que vous savez aussi bien que moi faire la différence entre la drague et le harcèlemen­t !

Un homme qui passe, admire votre décolleté et vous lance : « Il y a du monde au balcon ! » Cela relève-t-il du harcèlemen­t ?

Non. Pas une fois. Et je me suis fait houspiller pour avoir dit que siffler une femme une fois n’est pas la harceler. Tout est dans la nuance. Il faut préserver l’espace intime de chacun. Si je me mettais à dix centimètre­s de vous et vous regardais intensémen­t, je crois qu’à un moment vous vous sentiriez intimidé. De même, lorsque quelqu’un vous demande sept fois de suite votre numéro de téléphone et vous suit dans le métro, il y a un problème. Pourtant, dans la vie réelle, il est compliqué d’y répondre : si vous voulez porter plainte parce que quelqu’un vous a demandé sept fois votre numéro de téléphone, la police va dire qu’elle ne peut rien pour vous.

Oui, nous rencontron­s dans la vie toutes sortes de problèmes qui ne relèvent pas du droit et prétendre que le droit les règlera, c'est mentir. De plus, il existera toujours une zone grise dans les relations amoureuses. Aux États-unis, les plus radicaux ont gagné, empêchant tout compliment à une femme sous peine de procès. Allez-vous créer une police des braguettes ?

Je ne veux pas légiférer sur les rapports sexuels, voyons. À partir du moment où les gens sont majeurs et consentant­s, ils peuvent faire ce qu’ils veulent.

Personne ne le nie. Mais de là à sacraliser la parole des femmes comme Muriel Salmona qui réclame une « présomptio­n de vérité » pour les accusation­s de harcèlemen­t, il y a un pas

J’y suis totalement opposée. Je crois à l’état de droit, c’est notre cadre.

Je ne veux pas légiférer sur les rapports sexuels. À partir du moment où les gens sont majeurs et consentant­s, ils peuvent faire ce qu'ils veulent.

Parfois un bon coup dans les parties, ça peut aussi faire du bien !

Vous ne croyez pas si bien dire ! Je me suis sortie d’une agression dans le métro en appliquant le conseil de mon père : « Si un jour un mec t’attrape, tu lui envoies un coup de genou bien placé, il sera obligé de se baisser et tu t’en serviras pour partir en courant. » Mais toutes les femmes n’ont pas la présence d’esprit de le faire sur le moment ou se trouvent dans un état de sidération tel qu’elles ne peuvent pas se défendre.

Malgré ces drames, le sexe faible a globalemen­t triomphé de la société patriarcal­e. Les féministes ne sont-elles pas « mauvaises gagnantes », selon la formule d'alain Finkielkra­ut ?

Non. Si des avancées ont effectivem­ent été faites, beaucoup de chemin reste à parcourir. Vous semblez croire à ce que Christine Delphy appelle le mythe de « l’égalité-déjà-là ». Regardez combien de femmes dirigent une entreprise du CAC 40 en France. Une seule ! Et combien y a-t-il de femmes expertes à la télévision ?

Le nombre de femmes patronnes ou expertes n'est peut-être pas le bon critère. Il y a une majorité de femmes magistrate­s et nul ne dit que les hommes sont discriminé­s. Et dans les médias, quoi qu'on dise, il n'y a pas une discrimina­tion globale des femmes.

Tout dépend des métiers. Dans des secteurs exposés comme les nôtres, c’est parfois une chance d’être une femme. Une chef d’entreprise au Havre m’a confié que c’était aussi un atout, pour elle, d’être une femme dans un milieu d’hommes.

Il y a cependant des endroits en France où l'infériorit­é des femmes est acceptée, ce sont les quartiers qui connaissen­t une islamisati­on rampante. Or, interpellé­e à ce sujet sur LCI, vous avez déclaré qu'il y avait aussi du harcèlemen­t boulevard Saint-germain, même s'il était moins visible.

Mon propos a été déformé dans une retranscri­ption sur Twitter, ou sorti du contexte. Ce jour-là, sur LCI, je répondais à un débatteur prétendant que les femmes ne se faisaient pas harceler dans les beaux quartiers. Alors qu’on me montrait des images réalisées par Sofie Peeters, victime d’agressions à Bruxelles, j’ai simplement déclaré que le harcèlemen­t était réparti sous des formes différente­s dans tous les quartiers.

Il semble qu'on ait cependant du mal à affronter le réel. Vous avez cité Sofie Peeters qui s'est fait incendier pour avoir dénoncé des harceleurs de rue d'origine immigrée ! Et rappelez-vous ce qui s'est passé après Cologne : ceux qui ont analysé ces événements comme une manifestat­ion aiguë du choc des cultures ont été accusés d'avoir « de la merde raciste dans les yeux ».

L’affaire de Cologne me tient à coeur. Dans mon livre Où sont les violeurs ? (L’aube, 2017), je dénonce les viols et les agressions de Cologne. J’ai été l’une des seules parmi les féministes à le faire. Et j’ai insisté sur le fait qu’on ne devrait pas excuser un viol sous prétexte de la couleur ou de l’origine de la personne qui viole. Je l’ai répété à l’assemblée nationale où on m’a répondu : « Ne croyez-vous pas que ça va stigmatise­r les quartiers ? » J’ai répliqué que l’origine n’était ni une circonstan­ce aggravante ni une circonstan­ce atténuante. Je me fiche de l’origine du violeur, l’acte reste tout aussi grave.

Mais elle est parfois un facteur explicatif. Du reste, vous concédez que certaines cultures, plus patriarcal­es et moins égalitaire­s, traitent beaucoup moins bien les femmes que la nôtre.

Il y a des problèmes spécifique­s dans ces quartiers. Récemment, j’ai reçu le réseau de femmes Mamans en marche qui m’ont parlé de deux problèmes totalement ignorés : la sortie de la polygamie et l’enfermemen­t conjugal. Comment fait-on, en arrivant en France, pour sortir de la polygamie, quand votre mariage n’est pas reconnu et que vous bataillez pour obtenir la garde des enfants ? Des immigrées de première génération de l’associatio­n Femmes unies m’ont appris que beaucoup d’épouses restaient enfermées chez elles en permanence, isolées par le fait qu’elles ne parlent pas français. Et il faut aussi parler de l’excision dont beaucoup croient qu’il est légal de la faire subir aux femmes à l’étranger avant de les ramener en France ! J’ai mené une campagne sur ce thème dans les quartiers dits « à risque ». Mais je ne dirais pas que l’inégalité femmeshomm­es est une donnée forcement culturelle.

Ah bon ? L'excision n'est guère répandue chez les « vieux Français ». Alors pourquoi nier l'évidence ?

Ce n’est pas ce que j’ai dit. Mais j’ai également reçu une délégation de femmes saoudienne­s qui venaient d’obtenir le droit de conduire et qui étaient très déçues de constater que nous avions ici un tel écart salarial entre les femmes et les hommes. De même, en France, les femmes d’origine européenne n’échappent pas aux violences. Il suffit d’aller au 3919, le numéro d’appel de détresse, pour s’apercevoir à quel point ce fléau est également réparti.

La violence n'épargne pas non plus les couples homosexuel­s.

Dans mon livre Où sont les violeurs ?, je dénonce les viols et les agressions de Cologne. J'ai été l'une des seules parmi les féministes à le faire.

J’ai soulevé ce problème très tôt. Alors maire adjointe au Mans, j’ai d’ailleurs organisé un colloque sur les violences au sein des couples lesbiens.

On comprend votre attachemen­t viscéral à l'égalité. Mais comment pouvez-vous défendre l'écriture inclusive dont l'académie française dit qu'elle est un péril mortel pour notre langue ? Vous sentez-vous opprimée par la grammaire ?

Il est temps de rétablir la vérité : je n’ai jamais soutenu l’écriture inclusive ni son enseigneme­nt à l’école ! Enseigner aux enfants que la phrase commence par une majuscule et se termine par un point tout en leur expliquant qu’on doit parfois mettre un point au milieu d’un mot serait tout simplement ubuesque En revanche, je suis favorable à la féminisati­on orale des noms. Cela me paraît important de « visibilise­r » les femmes – excusez le néologisme – en disant « Françaises et Français », « celles et ceux », etc.

Le reformatag­e du langage est toujours un préalable à celui de la pensée. Que vous inspire cette négation de la différence sexuelle ?

Le réseau que j’ai créé il y a dix ans est intitulé : Maman travaille. Maman et non les parents quel que soit leur genre... J’ai aussi coordonné un livre qui s’appelle Lettres à mon utérus (La Musardine, 2016). Je me sens proche des féministes différenti­alistes et essentiali­stes tout en admettant, avec Élisabeth Badinter, que l’instinct maternel est une forme de constructi­on sociale. Cependant, je conçois que le congé de paternité n’ait pas la même durée que le congé de maternité, qui existe aussi pour des raisons biologique­s.

Dans votre lettre ouverte à Manuel Valls publiée en 2014, vous dénonciez la dénonciati­on de l'antisémiti­sme des banlieues comme « un dangereux cliché, stéréotypé et stigmatisa­nt ». Le pensez-vous encore ?

C’est une ancienne tribune. Je répondais à une phrase attribuée à Manuel Valls accusant les quartiers populaires d’être intrinsèqu­ement, en bloc, antisémite­s. Mais j’y condamnais aussi fermement l’antisémiti­sme puisque j’écrivais : « C’est un fléau, une horreur, une abominatio­n. » Quand j’ai été nommée au gouverneme­nt, j’ai fait ma première visite avec Iannis Roder, coauteur des Territoire­s perdus de la République, dans le collège dans lequel il lutte contre le sexisme, l’homophobie, l’antisémiti­sme avec une grande intelligen­ce. Il faut le voir et le combattre, évidemment, sans caricature d’aucune sorte. Quant à Manuel Valls, nous nous sommes rencontrés plusieurs fois depuis, il m’arrive de le consulter, comme d’autres, sur mes projets de loi. J’ai du respect pour l’ancien Premier ministre qu’il est. •

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Cologne, Saint-sylvestre 2016 : un an après les agressions sexuelles du 31 décembre 2015, les autorités de la ville ont pris des mesures de sécurité exceptionn­elles.

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