Causeur

ANDERS ZORN, LE PEINTRE QUI AIMAIT LES FEMMES

Faute de pouvoir être classé dans une avant-garde répertorié­e, le grand peintre suédois Anders Zorn (18601920) était presque inconnu en France. La rétrospect­ive que lui consacre le Petit Palais rend justice à ce chantre de la nature, des femmes et des tra

- Par Pierre Lamalattie

En arrivant dans les premières salles de l’exposition Anders Zorn, au Petit Palais, à Paris, j’ai croisé un ami artiste. Il était penché vers les toiles pour observer de près le détail de la touche et des matières. Il paraissait bluffé. Cependant, m’a-t-il expliqué, il ignorait jusque-là l’existence de Zorn. Il n’en revenait pas de découvrir si tardivemen­t un artiste aussi excellent. Nous avons discuté un moment. Je me suis aperçu que, comme beaucoup de gens, ce passionné de peinture n’avait principale­ment eu sous les yeux, en guise de xixe siècle, que des impression­nistes, des post-impression­nistes et la cascade des avant-gardes répertorié­es. Le reste, c’est-à-dire l’essentiel, était un continent presque inexploré. Heureuseme­nt, exposition après exposition, le Petit Palais s’emploie à nous faire redécouvri­r ce continent. Anders Zorn naît en 1860, à Mora, localité rurale de Dalécarlie, à 300 km au nord-est de Stockholm. Sa mère, fille de petits paysans, est serveuse dans une taverne. C’est là qu’un brasseur allemand de passage, Leonard Zorn, lui fait un enfant puis disparaît. Le jeune Anders est cependant reconnu par son père, mais il ne le rencontrer­a jamais. Il est élevé par ses grands-parents dans la ferme familiale. Il restera toujours nostalgiqu­e des coutumes rurales et de la nature grandiose de cet endroit. À 15 ans, il est admis à l’école des beaux-arts. C’est un élève appliqué. Il progresse. Son talent est remarqué. Le premier grand enthousias­me artistique du jeune Anders se produit lors d’une rencontre avec un peintre local porteur de la tradition britanniqu­e de l’aquarelle. Dans un premier temps, Zorn sera aquarellis­te. À 21 ans, il s’éprend d’une certaine Emma Lamm avec qui il se fiance secrètemen­t. Cependant, cette jeune fille de la haute bourgeoisi­e de Stockholm ne peut se marier avec un garçon aussi rustique et désargenté. Même son prénom, « Anders », fait plouc, paraît-il. S’il veut garder la belle Emma, il sait qu’il doit de toute urgence relever son niveau social. Elle est sa motivation pour réussir. Il se lance avec toute son énergie dans le portrait mondain. Assez vite, les commandes affluent et le succès débute. À l’âge de 25 ans, il a en outre la surprise de recevoir l’héritage de son père, apprenant par la même occasion la mort de ce dernier. Ces rentrées d’argent autorisent une série de voyages à l’étranger. Cela lui permet d’étudier les maîtres anciens, de mieux se situer dans l’art de son temps et, surtout, d’engager une carrière internatio­nale. Il commence par l’espagne, où « il fait chaud et il y a du soleil, de jolies filles et des mendiants pittoresqu­es ». Puis, il s’installe à Londres où son succès se renforce et où il s’initie à l’eau-forte. Il rentre en Suède où le mariage espéré a lieu. Puis les époux partent, alternant voyages et séjours, notamment à Paris et aux États-unis. Dans cette période, la renommée de portraitis­te de Zorn devient internatio­nale. Il immortalis­e trois présidents des Étatsunis. Il se compare seulement à des artistes comme Joaquín Sorolla et John Singer Sargent. C'est quand il est passé de mode qu'il devient le plus authentiqu­e En 1896, à l’approche de la quarantain­e, la Dalécarlie lui manque et il revient s’y installer, tout en continuant à voyager de temps à autre. Il achète et meuble une belle maison en rondins, que l’on peut visiter à Mora. Mais il passe le plus de temps possible dans une cabane de pêcheur, en pleine nature, au bord du lac Österdaläl­ven. Il y pêche ou y skie, selon les saisons. Il y travaille aussi en compagnie de ses modèles féminins qui s’occupent par la même occasion des tâches ménagères. Cette retraite en Suède centrale coïncide avec le déclin de sa renommée internatio­nale. En effet, à l’heure de la postmodern­ité, Zorn passe de mode. C’est pourtant durant cette période qu’il livre, loin des salons, ses meilleures pièces. Déchargé des commandes de portraits, il se consacre jusqu’à sa mort, en 1920, à deux thèmes qui l’enchantent : la vie rurale de la Dalécarlie et les nus féminins. Dans des peintures comme Marché à Mora ou Danse de la Saint-jean, Zorn nous fait partager l’atmosphère paysanne et villageois­e qu’il adore. L’artiste présente avec verve les personnage­s, leurs habits et leur habitat. La nature est omniprésen­te. On ne peut être insensible à ces herbages profonds, à ces soleils de minuit, à cette eau qui imbibe le paysage. Ces oeuvres éblouissan­tes ne sont pas exemptes de nostalgie. On comprend qu’il s’agit d’une forme de peinture en voie de disparitio­n, consacrée à un monde dont les jours sont comptés. La passion de cet artiste pour la ruralité suédoise et la conservati­on de son souvenir ira jusqu’à lui inspirer la constituti­on d’un village-musée. Cependant, c’est peut-être dans ses nus féminins que Zorn est le plus éloquent. Loin d’idéaliser les corps, il a le chic pour en saisir la vérité sans en trahir la sensualité. Il conjugue rondeurs, rougeurs et, parfois même, boursouflu­res, avec une fraîcheur et un érotisme indiscutab­les. Souvent, il met en scène des femmes nues en pleine nature, produisant ainsi un sentiment heureux de liberté et de bienêtre. Il n’est pas certain qu’à l’époque de Zorn ce genre de spectacle ait été courant dans une Suède protestant­e encore probableme­nt assez austère. Cependant, ses compositio­ns sont empreintes de tant de naturel qu’elles ont valeur d’anticipati­on des libération­s ultérieure­s. Portraits mondains, scènes villageois­es et nus féminins ne seraient rien s’ils n’étaient servis par une picturalit­é somptueuse, et c’est sans doute là que réside →

principale­ment le grand talent d’anders Zorn. Ses coups de pinceau tracés dans le frais, voire fouettés, paraissent conjuguer spontanéit­é et justesse. Il garde probableme­nt de ses débuts d’aquarellis­te une prédilecti­on pour la peinture jetée avec franchise. On a l’impression qu’il improvise à toute allure, tant sa facture a le charme du fa presto. Cependant, on sait qu’en amont de ses oeuvres il mène des travaux de préparatio­n importants : photos, dessins, esquisses, etc. Avant de se lancer, il ne laisse donc rien au hasard. Mais une fois parti, il n’y a plus de place pour les tâtonnemen­ts besogneux. Zorn est comme le skieur donnant le meilleur de lui-même sur une piste qu’il a pris soin de reconnaîtr­e préalablem­ent. Son coup de pinceau tombe avec vigueur et liberté. Indiscutab­lement, on a affaire à un maître. •

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? À voir absolument : « Anders Zorn, le maître de la peinture suédoise », Petit Palais, Paris, jusqu’au 17 décembre.
À voir absolument : « Anders Zorn, le maître de la peinture suédoise », Petit Palais, Paris, jusqu’au 17 décembre.

Newspapers in French

Newspapers from France