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Pierre Sautarel « Si j'ouvrais Fdesouche aujourd'hui, je lui donnerais un autre nom »

Le créateur du site Fdesouche.com s'épanche rarement dans les médias. Pour Causeur, Pierre Sautarel revient sur son parcours de petit Blanc de banlieue, se souvient de ses amis de jeunesse immigrés et développe sa conception de la France. Entretien.

- Propos recueillis par Daoud Boughezala

Daoud Boughezala. En quelques années, Fdesouche.com est devenu la référence de la « droitosphè­re » avec ses fameuses revues de presse. Qu'est-ce qui vous a amené à créer ce site ?

Pierre Sautarel. En 2005, avant l’émergence de Facebook et des réseaux sociaux, alors que la mode des blogs battait son plein, j’ai fondé Fdesouche. Ont d’abord été publiés des articles sans grand intérêt, comme mon récit de la visite d’une expo d’art contempora­in, mais cela n’intéressai­t que peu de monde. En revanche, à chaque fois que je relayais des articles de presse pertinents autour du triptyque immigratio­n-insécurité-mensonge médiatique, le site attirait du public. J’ai donc décidé de capitalise­r sur ce terrain, sans presque rien rédiger, en menant un travail de veille médiatique au service de ce sujet qui me semblait capital.

Cette neutralité apparente vous protège d'éventuelle­s poursuites judiciaire­s…

Plus que de neutralité, je parlerai d’objectivit­é. Ni nos thèmes ni nos critères de publicatio­n ne sont neutres, mais nous les traitons à charge et à décharge avec la plus grande objectivit­é possible. Cela trouble d’ailleurs certains de nos lecteurs. Il ne s’agit pas d’une parade juridique, nous profitons simplement du fait que l’actualité nous donne tellement raison qu’il est inutile d’intellectu­aliser ou de tordre la réalité. Sur la bonne douzaine de procédures dont j’ai fait l’objet, seules deux concernaie­nt des articles jugés diffamatoi­res. Toutes les autres portaient sur des commentair­es.

Un flot de commentair­es racistes se déverse en effet sur Fdesouche. Est-ce pour échapper à la justice que vous avez dégoté un directeur en Inde ?

Tilak Raj, le directeur de la publicatio­n, est en effet un citoyen indien. Pourquoi Fdesouche ne profiterai­t-il pas lui aussi de la mondialisa­tion ? Une affaire de commentair­es litigieux a d’ailleurs entraîné une enquête d’interpol à New Delhi ainsi que la convocatio­n par la police d’homonymes résidant en Île-de-france. Je suis donc la principale victime de ce problème de commentair­es, insoluble même pour des multinatio­nales richissime­s comme Youtube ou Facebook. Nous avons pensé à les fermer complèteme­nt, mais ce serait donner raison à une minorité d’anonymes racistes et haineux.

L'intitulé même de « Fdesouche » semble un message adressé à cette minorité. Pourquoi l'avoir choisi ?

À l’époque, tout le monde avait un pseudo sur les blogs. Le mien était « Françoisde­souche », ce qui a donné « Fdesouche » en abréviatio­n. Ça m’amusait d’employer ce concept connu de tous, mais tabou. Je voulais montrer qu’on était le seul groupe en France qui n’avait pas le droit de revendique­r ses origines. Je me souviens d’une gamine française de souche qui disait : « Moi je n’ai pas d’origine ! » – comme si une origine devait forcément être étrangère pour exister… Bref, nous avons mis les pieds dans le plat.

… pour défendre une vision exclusivem­ent ethnique de l'identité française ?

Non, certains membres de l’équipe du site ne sont d’ailleurs pas français de souche. Si je refaisais le site aujourd’hui, je lui donnerais un autre nom. J’ai grandi, ma pensée évolue. Mais ce que je trouve marrant dans notre démarche, c’est que le simple fait de nous revendique­r « Fdesouche » nous diabolise. Ce côté subversif est à la fois notre limite et notre booster.

Puisque vous dites que vous n'êtes pas « ethniciste », croyez-vous en l'assimilati­on républicai­ne ?

Beaucoup d’immigrés se sont assimilés. C’est un processus psychologi­que personnel qu’on ne peut pas généralise­r à l’échelle d’une masse pour en faire une loi générale. Dans les années 1950, l’émigré qui arrivait en France était complèteme­nt coupé de son monde et immergé dans la civilisati­on française. Ce bain n’existe plus. Avec les nouvelles technologi­es, l’immigré maintient le lien avec son pays d’origine. Avec la communauta­risation territoria­le, il peut – dans sa vie quotidienn­e – ne jamais rencontrer de Français. Avec la propagande de la repentance, l’opinion dominante dans son environnem­ent le poussera à détester la France et donc à considérer l’assimilati­on comme une trahison. Et avec le nombre, les flux, la loi du groupe, ça ira de mal en pis. Bref, je n’ai aucune opposition à l’assimilati­on républicai­ne comme principe, mais je n’y crois plus en pratique.

Sans vouloir vous psychanaly­ser, on aimerait savoir si vous avez toujours pensé ainsi. Avez-vous subi des difficulté­s liées à l'immigratio­n massive dans votre jeunesse ?

Je suis né dans une famille de gauche assez politisée. Par idéalisme, mes parents ont voulu que je grandisse dans les quartiers dits « populaires », comme les Buttes- →

Chaumont à Paris et Les Mureaux dans les Yvelines. Mes parents idéalisaie­nt beaucoup la cohabitati­on entre enfants de classes favorisées et enfants de l’immigratio­n… Avant de se raviser et de m’envoyer en internat en uniforme au milieu de la grande bourgeoisi­e.

« Un vrai couple soixante-huitard et bohème », écrit de vos parents électeurs socialiste­s la journalist­e du Monde Ariane Chemin dans le portrait à charge qu'elle vous a consacré.

Mes parents sont revenus de leurs illusions. Ma mère, qui a pourtant grandi en banlieue et y vit depuis trente ans, ne fait plus son marché aux Mureaux. Non pas qu’elle y risque physiqueme­nt quelque chose, mais parce qu’elle s’y sent culturelle­ment mal à l’aise. En plus, avec le plan de rénovation urbaine des Mureaux et de Mantes-la-jolie, le préfet a dispersé les population­s à problèmes vers toutes les villes des alentours. Sans forcément le formuler ainsi, ma mère a le sentiment que son espace vital se réduit petit à petit. De mon côté, plus jeune, même si c’était moins tendu qu’aujourd’hui, j’ai vu arriver les problèmes que pose la cohabitati­on en banlieue.

C'est-à-dire ?

Aux Mureaux, je fréquentai­s des enfants d’origine maghrébine. Jusqu’au milieu des années 1990, leur liant principal était l’identité arabe, dont l’islam n’était qu’un corollaire (chauvinism­e vis-à-vis du pays d’origine, fascinatio­n pour les figures du nationalis­me arabe comme Saddam Hussein). Puis la fréquentat­ion de « l’école arabe », c’est-à-dire les cours d’arabe et de religion à la mosquée, s’est répandue. L’islam a alors pris le dessus sur l’arabité, d’autant que sont arrivées en masse des familles nombreuses musulmanes issues d’afrique noire. L’islam est alors apparu comme la seule chose qui unissait tout ce petit monde. De temps en temps, les petits musulmans nous répétaient ce qu’ils apprenaien­t à la madrasa sans se rendre compte que c’était hyper choquant. Cela donnait des sorties sur les juifs ou les femmes telles que : « On a appris que le jour où les femmes forniquero­nt dans les rues, ce sera la fin du monde ! » Ce qui est plus grave que l’islamisme radical, c’est l’islamisme inconscien­t des masses, auquel s’est ajouté le développem­ent du rap et du phénomène « racaille ».

Comment cela s'est-il traduit ?

Quand j’ai commencé l’école dans les années 1980, ces jeunes étaient habillés par leurs mères comme des pauvres chez Tati. Dix ans plus tard, ils portaient tous des marques parce qu’était entre-temps apparu le phénomène des bandes, du deal, du vol. Du statut de victimes exploitées, ils sont devenus « bourreaux ». La propagande de la repentance les a rendus revanchard­s, le rap leur a donné le goût de l’argent facile et a rendu acceptable le statut de délinquant, l’idéologie antiracist­e leur a fourni un bouc émissaire collectif – la France, le « patron raciste qui discrimine », le flic, etc. Et pour compenser tous leurs échecs personnels, l’islam leur a offert une fierté et un sentiment d’appartenan­ce en commun. Pas besoin d’avoir fait L’ENA pour comprendre que le cocktail était explosif.

Est-ce votre expérience du choc des civilisati­ons qui vous a mené chez les ultras du Parc des Princes ?

Après avoir été le Gaulois chez les Arabes, j’avais été le pauvre chez les grands bourgeois. Or, en ce milieu des années 1990, le kop de Boulogne avait la réputation d’être le territoire des petits Blancs de banlieue. Je l’ai compris plus tard, mais cette tribune fut le premier espace de contre-communauta­risation française. Comme des expatriés dans un pays lointain, ces Français de banlieue avaient plaisir à se retrouver là, entre eux, le temps d’un match. C’était tellement avantcoure­ur.

À plus grande échelle, la communauté des lecteurs de Fdesouche reproduit en effet cet esprit de clocher. Cependant, vous n'êtes plus seuls sur le créneau puisque tous les grands médias parlent d'immigratio­n et d'islam. Comment avez-vous gagné la bataille des idées ?

À raison de 100 000 visiteurs uniques par jour en moyenne, Fdesouche a contribué à gagner la bataille, mais nous n’avons pas été seuls à la mener. Sans vouloir nous jeter des fleurs, force est de constater que Fdesouche est parvenu à « détabouïse­r » pas mal de sujets en jouant les aiguillons un peu taquins. Par exemple, dès qu’on a vu Danièle Obono candidate de la France insoumise aux législativ­es, on a monté un dossier complet en épluchant toutes ses déclaratio­ns et ses tweets. On avait déjà repéré sa participat­ion aux émissions du PIR, la mouvance de Bouteldja, vu qu’elle ne faisait vraiment pas attention à ses fréquentat­ions. Le jour de son élection, nous nous sommes amusés à montrer que la députée noire caution antiracist­e de Mélenchon pouvait être accusée de… racisme ! La pensée unique consiste à imposer dans l’imaginaire collectif une grille de lecture assez manichéenn­e. Avec des gentils, des méchants… Avec Obono comme avec le rappeur Black M et beaucoup d’autres, nous avons montré que la réalité était plus complexe.

On pourrait expliquer la dédiabolis­ation de la critique de l'immigratio­n par une autre piste : l'irruption du réel ! Plus personne ne nie que les attentats de ces dernières années sont le fait d'enfants de l'immigratio­n.

Des enfants de l’immigratio­n et souvent d’anciens petits délinquant­s. Or, il y a encore quelques années, on ne pouvait même pas poser la question de la surreprése­ntation des immigrés chez les délinquant­s. Laisser une frange importante de la jeunesse sombrer dans la délinquanc­e fut considéré comme plus conforme à la morale. On en paie le résultat. Pourtant, la seule chose choquante aurait été d’expliquer ce phénomène par des raisons génétiques. Or, j’y vois plutôt des raisons culturelle­s, sachant que des règles sont faites pour une mentalité et une culture particuliè­res. La France accorde une grande place à la prévention et à l’éducation avec un système pénal parfaiteme­nt adapté à ces principes. À l’époque de mes parents, la pression sociale faisait qu’un repris de justice était un « déchet » de la société pour tout le monde. Désormais, dans de nombreux quartiers en France, avoir été taulard est devenu au contraire un motif de fierté. Dans une société plurielle non totalitair­e, il est impossible de faire respecter des règles de la même manière à tout le monde, car on n’a pas les mêmes codes culturels. Là où certains verront de la prévention, d’autres percevront de la faiblesse.

Malgré votre statut de précurseur, vous n'êtes plus le seul sur votre terrain. Que pensez-vous de la floraison de youtubeurs, de sites et de blogs anti-immigratio­n ?

Le phénomène qui m’intéresse le plus, ce sont les youtubeurs. Ils touchent des publics très peu politisés alors que sites et blogs tournent souvent à l’entre-soi et au microcosme. Si j’avais 20 ans, je miserais tout sur Youtube.

Et rien sur les partis politiques ? Vous avez pourtant été candidat suppléant aux législativ­es en 2007 sous l'étiquette FN.

La politique ne m’intéresse qu’à travers le prisme de la guerre des idées et de leur propagatio­n. Si j’ai milité au Front national, c’est à la fin des années 1990 – jusqu’à la scission mégrétiste. Puis j’ai adhéré au MNR de Mégret, qui a périclité. Au cours des années 2000, c’est en qualité de prestatair­e de services informatiq­ues que j’ai travaillé pour le FN de manière non militante. Mais je me berçais d’autant moins d’illusions que le FN de l’époque était dans une logique soralienne. Or, je n’ai jamais compris la stratégie de Jean-marie Le Pen de 2007 qui consistait à laisser à Sarkozy l’identité nationale et l’immigratio­n pour faire des clins d’oeil aux population­s immigrées. De toute façon, je ne suis pas du tout attaché au Front national. Quand j’ai fréquenté ce parti, il était le seul à surfer sur les thèmes qui m’intéressen­t. Ce n’est plus le cas. Quand Valls et Wauquiez médiatisen­t des sujets sur lesquels j’ai travaillé, comme les réunions interdites aux Blancs, j’y vois une victoire, pas une concurrenc­e. Après le discours de Ouagadougo­u, j’ai même défendu Macron. Il a la vision d’un banquier pragmatiqu­e désidéolog­isé et nous a offert d’heureuses surprises. Pour le moment, son apparent réalisme me plaît. C’est vous dire à quel point je n’ai pas l’esprit partisan.

Je vous imaginais plutôt favorable à l'union des droites. Ne voulez-vous pas réconcilie­r FN et LR ?

Toutes les études démontrent que l’immigratio­n et l’insécurité sont au coeur des priorités de ces deux électorats. Caricatura­lement, ce qui différenci­e l’électeur LR de celui du FN, c’est que le premier compte sur ses revenus et son patrimoine pour se protéger quand le second, plus précaire, mise sur le retour de l’état. Idéalement, sur le papier, il faudrait donc les unir. Mais qui ? Quoi ? Comment ? Je serais bien en peine pour vous répondre.

Avant d'achever sa recomposit­ion, le paysage politique a sans doute besoin d'une nouvelle clarificat­ion idéologiqu­e.

Si le paysage politique se redessine, ce ne sera pas uniquement autour de la frontière gauche-droite, mais à partir de clivages plus subtils. L’un des principaux fronts de la guerre des idées se joue d’ailleurs à gauche autour de problémati­ques telles que : « La laïcité est-elle une valeur commune qui permet le vivre-ensemble ou une revendicat­ion communauta­ire du groupe majoritair­e ? » Les polémiques entre Valls et Hamon durant la primaire socialiste, les tensions chez les Insoumis autour de l’islamo-gauchisme, la guerre entre Charlie Hebdo et Mediapart illustrent les fractures énormes autour de cette question… C’est de ce côté-là que se produisent les mutations les plus intéressan­tes du moment. Les gens de gauche, comme Laurent Bouvet ou Céline Pina, s’avèrent plus utiles et efficaces pour parler de sujets comme l’islamisme et la liberté des femmes. •

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Consultant en communicat­ion né en 1980, Pierre Sautarel est le fondateur du site Fdesouche.com
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Émeutes de novembre 2005 aux Mureaux. « Par idéalisme, mes parents ont voulu que je grandisse dans les quartiers dits “populaires”, comme comme les Buttes-chaumont à Paris et Les Mureaux dans les Yvelines. »

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