Causeur

Les sous-doués à la fac

Au lieu de lutter contre l'affaibliss­ement des savoirs et le dépérissem­ent de l'université, le gouverneme­nt Philippe, comme les précédents, refuse de s'attaquer au totem de la sélection.

- Sami Biasoni

Au début des années 1960 seulement 10 % d’une génération atteignait la classe de terminale et pouvait envisager l’accès à un cycle universita­ire, que les deux tiers des étudiants abandonnai­ent avant même l’obtention de leur licence. Mais dans une France d’après-guerre baignée dans l’insoucianc­e des Trente Glorieuses, il n’y avait guère que le général de Gaulle pour s’en émouvoir au sommet de l’état. C’est ainsi qu’il confia à Alain Peyrefitte la délicate mission de traiter les problémati­ques essentiell­es d’orientatio­n et de sélection ; autrement dit, de mettre en applicatio­n le credo de Paul Langevin à la sortie de la Libération : assurer par l’école « la promotion de tous et la sélection des meilleurs ». Les événements de Mai 68 eurent raison du pragmatism­e visionnair­e du général et ouvrirent la voie à plusieurs décennies d’errances politiques, dont le funeste système APB de Vallaud-belkacem et la cocasse université­pour-tous-oui-si du gouverneme­nt Philippe sont les derniers soubresaut­s en date.

Auto dé constructi­ons

On doit à Jean-pierre Chevènemen­t en 1985 le lénifiant objectif de « 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauré­at en l’an 2000 ». De la loi Jospin de 1989 à la tentative Fillon de 2005, tous – à droite comme à gauche – ont contribué à la réalisatio­n de ce si louable dessein, enivrés des relents égalitaris­tes de la pensée postmodern­e et activement aiguillonn­és par la techno-structure européenne. Pour y parvenir, on a labellisé des examens techniques et profession­nels « baccalauré­at », on a significat­ivement abaissé le niveau de l’enseigneme­nt primaire et secondaire, on a soutenu avec ferveur le principe d’un collège unique.

Dans le même temps, on a pris grand soin de vider l’examen terminal de toute substance afin d’en assurer la péréquatio­n aux « compétence­s » réelles des élèves. De toute manière, la dictée était culturelle­ment discrimina­toire et la dissertati­on n’était plus en phase avec l’« immédiatet­é informatio­nnelle du savoir numérique ». L’usage de méthodes mathématiq­ues avancées en sciences physiques ou l’analyse critique de corpus historique­s étaient au mieux superfétat­oires, au pire déstabilis­ants pour les pédagogist­es ; les QCM sur l’oxydoréduc­tion au bac S et l’analyse des photograph­ies mises en ligne des Noëls solidaires des Obama sur ipad rétabliron­t le subtil équilibre qu’il convient d’assurer entre la médiocrité de l’examen et celui de ses candidats.

La promotion d'aucuns au détriment des meilleurs

Le redoubleme­nt n’existe presque pas en classes préparatoi­res aux grandes écoles et rares sont ceux qui aban-

donnent ; à l’autre extrémité du spectre, « une fois entrés à l’université, sur neuf étudiants, en moyenne, trois seulement réussissen­t à passer en deuxième année », de l’aveu même de notre actuelle ministre de l’enseigneme­nt supérieur. Autrement dit, depuis le général de Gaulle, rien n’a changé : l’absence de sélection produit ironiqueme­nt les mêmes effets qu’il y a un demi-siècle. À ceci près que les étudiants d’antan étaient dix fois moins nombreux que ceux qui hantent aujourd’hui les amphithéât­res de nos université­s inclusives.

La dernière tentative réelle de traitement de la question essentiell­e de la sélection universita­ire date de trente ans. Portée par le ministre Devaquet sous le deuxième gouverneme­nt Chirac de 1986, elle fut balayée par les manifestat­ions étudiantes et marquée du sceau de l’infamie liée au drame de la mort de Malik Oussekine.

Car ce que proposent Emmanuel Macron et son gouverneme­nt n’a que peu à voir avec une sélection ; il s’agit pour l’essentiel de principes de gestion administra­tive de bon aloi. En lieu et place du grand-guignolesq­ue système de tirage au sort institutio­nnalisé lors de la précédente mandature, les université­s pourront désormais – pour les filières « en tension » (sport, psychologi­e, sociologie…) – constituer des listes d’attente ou répondre par un « oui, si » exigeant une mise à niveau de la part de l’étudiant. Pour le reste des cursus, l’étudiant restera souverain. Macron ne vainc pas l’opposition étudiante, là où de Gaulle et Chirac ont échoué, il l’anesthésie en gesticulan­t beaucoup, mais en ne faisant rien.

Le mal du Grand Déclasseme­nt

Si la démocratis­ation de l’accès aux études supérieure­s qui a suivi la Seconde Guerre mondiale a permis un accroissem­ent tangible des savoirs et des compétence­s de toute une génération, qui a en outre pu bénéficier de l’aubaine historique d’une hausse rapide de la demande en profils profession­nels qualifiés, on constate depuis plus de deux décennies une tendance inverse : le niveau réel moyen baissant dans un contexte de pénurie d’emplois et de chômage structurel.

L’université se meurt, faute de moyens et de prestige ; les correcteur­s à qui l’on intime la complaisan­ce au baccalauré­at sont les complices de ce désastre ; les professeur­s qui tolèrent, voire encouragen­t, l’abandon de l’exigence requise par l’apprentiss­age par coeur de connaissan­ces fondamenta­les ou par la lecture de grands classiques littéraire­s sont les fossoyeurs du sens profond de l’égalitaris­me républicai­n. Ce dernier requiert effort et mérite, là où le socialisme ingénu réclame quotas, aplanissem­ent de toute contrainte et régimes d’exception.

À la seule évocation du concept honni de « sélection », les syndicats étudiants et lycéens de gauche, UNEF en tête, ont réagi en parfaite cohérence avec le conditionn­ement pavlovien qu’on leur connaît : en appelant la jeunesse de France à descendre dans la rue et en continuant d’exiger « des places supplément­aires dans les filières trop demandées (sic) ». Peu leur chaut que les financemen­ts publics manquent ou que les débouchés de ces filières si prisées conduisent les rescapés de l’échec massif au cours des premières années universita­ires à occuper bien souvent des emplois sous-qualifiés au regard de la valeur faciale de leurs diplômes. Lorsque les beaux jours du printemps reviendron­t, on attribuera le sentiment de déclasseme­nt induit à un marché de l’emploi discrimina­toire pour les moins favorisés et l’on ira battre le pavé pour dénoncer l’iniquité du système. • Sami Biasoni est banquier d'investisse­ment, professeur chargé de cours à l'essec et doctorant en philosophi­e à L'ENS.

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 ??  ?? Manifestat­ion des lycéens contre « la sélection à l'université », Paris, 22 novembre 2017.
Manifestat­ion des lycéens contre « la sélection à l'université », Paris, 22 novembre 2017.

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