Causeur

Toulouse 2, la fac colonisée par les Indigènes

En quelques années, l'université Toulouse 2 est devenue la tribune régulière des Indigènes de la République. Sa faculté de philosophi­e offre une caution intellectu­elle aux thèses racialiste­s et antisémite­s des proches de Houria Bouteldja. Enquête.

- Anne-sophie Nogaret

Le 22 novembre 2017, l’université de Limoges annule l’interventi­on de Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des indigènes de la République (PIR). Deux jours plus tard, cette dernière devait être l’invitée vedette d’un « séminaire d’études décolonial­es » organisé par le départemen­t des sciences humaines. Face aux remous provoqués par sa venue, l’organisate­ur, Philippe Colin, préfère revenir sur son invitation : « Les conditions d’un débat scientifiq­ue raisonnabl­e et serein n’étaient plus réunies », dit-il, dénonçant dans la foulée une « hystérie collective ».

Une spécialist­e autoprocla­mée

Philippe Colin pouvait-il vraiment ignorer que la venue de l’auteur de l’ouvrage Les Blancs, les Juifs et nous (La Fabrique éditions, 2016) ferait scandale ? Où qu’elle passe, Houria Bouteldja suscite des réactions peu nuancées, à la hauteur de ses propos. Pour quelle raison l’invite-t-on d’ailleurs à l’université ? Les universita­ires sont certes libres d’offrir une tribune à qui ils souhaitent. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils doivent convier le premier venu, a fortiori lorsque l’invitation s’inscrit dans un cadre explicitem­ent académique. Or, quelle que soit la manière de considérer son parcours, Houria Bouteldja n’a pas vraiment la carrure pour donner des conférence­s « scientifiq­ues » à des étudiants : si elle a travaillé à l’institut du monde arabe, c’est en tant que responsabl­e de la location des salles et non comme chercheuse. Quant à ses publicatio­ns personnell­es, elles se résument à un livre et à quelques articles, traitant tous de l’indépassab­le culpabilit­é des « Blancs », de la domination « raciale », et du système colonial selon elle toujours en vigueur en France. Son registre est celui de l’opinion, de l’affirmatio­n idéologiqu­e : rien à voir avec la démarche universita­ire, qui doit justifier intellectu­ellement les hypothèses avancées. (Voir encadré 1, où on apprend que les Roms sont d’anciens colonisés…) Pourtant, elle prend la parole dans des université­s, notamment à Toulouse 2, où elle est intervenue deux fois en cinq ans.

2012 : une tribune militante

Dès octobre 2012 en effet, Houria Bouteldja et Sadri Khiari, cofondateu­rs du Parti des indigènes de la République, sont conviés à s’exprimer dans l’amphithéât­re 9 de l’université du Mirail. Il ne s’agit pas là d’une date

2016 : la confusion des genres

L’invitation de l’été 2016, en revanche, implique une tout autre dimension. Il ne s’agit plus d’organisati­ons →

extérieure­s comme le NPA, ou BDS, conviant des militants indigénist­es à l’université. Cette fois-ci, en effet, ce sont des universita­ires au parcours irréprocha­ble qui invitent Mme Bouteldja à s’exprimer devant les étudiants, et ce dans un cadre strictemen­t académique. La caution intellectu­elle et universita­ire qui lui est ainsi accordée témoigne de l’étrange confusion opérée entre militantis­me et études en sciences humaines, car la conférence de Mme Bouteldja a lieu dans un cadre bien précis, celui de l’école d’été du laboratoir­e de recherche du départemen­t de philosophi­e de Toulouse 2, Érraphis (Équipe de recherche sur les rationalit­és philosophi­ques et les savoirs). Lequel laboratoir­e, très généreusem­ent irrigué de fonds européens, fleuron universita­ire développan­t des partenaria­ts internatio­naux, est alors dirigé par Jean-christophe Goddard. À l’occasion des dix ans du programme « Erasmus Mundus Europhilos­ophie », ce spécialist­e reconnu de Fichte, normalien, agrégé de philosophi­e et professeur des université­s, a coorganisé la rencontre avec Houria Bouteldja. Quant à l’invitation de la fondatrice du PIR, elle est le fait d’hourya Bentouhami, elle aussi normalienn­e, agrégée de philosophi­e, actuelleme­nt maître de conférence­s à Toulouse 2.

Toulouse 2 philo, la recherche noyautée par l'indigénism­e

La vidéo de la conférence du 25 août 2016 confirme ce qu’on pouvait dès lors subodorer : le discours et la sémantique indigénist­es sont repris tels quels par Mme Bentouhami. Celle-ci évoque le « racisme d’état », comme s’il s’agissait d’une évidence conceptuel­le, parle de « rapports sociaux de race » et défend la notion de « blanchité ». Une notion très mal comprise, dit-elle en substance, qui existe depuis longtemps sur les campus américains. L’usage aurait ainsi valeur de preuve, et dispensera­it d’analyse. Cette absence étonnante de mise en perspectiv­e intellectu­elle, lorsqu’elle est le fait d’une universita­ire ayant brillammen­t réussi le difficile parcours méritocrat­ique, ne peut signifier qu’une chose : Mme Bentouhami fait totalement sien le discours indigénist­e. Hypothèse que confirment les propos qu’elle tient sur France Culture1, ou chez Taddeï, où elle défend le voile islamique2. Elle a certes le droit de défendre les opinions qu’elle veut. Mais dès lors que cette adhésion s’exprime dans un cadre académique censé – a fortiori en philosophi­e – discuter la validité de toute thèse, il y a une distorsion évidente du cadre universita­ire à des fins militantes. La situation est d’autant plus préoccupan­te que la distorsion est ici le fait des universita­ires eux-mêmes. L’indigénism­e au sein de la fac de Toulouse 2 est de fait ouvert, assumé et visible. En 2015, le recrutemen­t comme ATER (attaché temporaire d’enseigneme­nt et de recherche) de Norman Ajari, membre assumé du PIR, par M. Goddard, en constitue un signe supplément­aire. À ce stade, on ne peut même plus parler d’entrisme. Car l’entrisme, tactique trotskiste de prise de pouvoir, suppose un double jeu : il consiste à masquer ses buts et ses idées pour infiltrer et manipuler de l’intérieur une organisati­on concurrent­e. Or, ici, nulle dissimulat­ion. La sauce indigénist­e est présentée comme l’essence même de la pensée universita­ire « postcoloni­ale », voire de la pensée tout court. Qu’en dit la présidence de l’université ?

L'embarras de la présidence

Elle interdit, mais tolérerait, si on en croit du moins la vidéo réalisée lors de la rencontre du 25 août 2016 avec la fondatrice du PIR3. Celle-ci montre en effet un bien curieux préambule : alors que ladite rencontre a été officielle­ment annulée par l’université, Jean-christophe Goddard affirme avoir obtenu de Daniel Lacroix, président de Toulouse 2, qu’elle se déroule officieuse­ment « de manière à éviter des gens qu’on n’aurait pas invités ». Un entre-soi qui aurait donc reçu l’aval de la présidence, laquelle aurait prononcé une annulation publique… et fictive. Nous avons cherché à en savoir davantage, mais M. Lacroix n’a pas eu le temps de répondre à nos questions. Il serait grand temps de se pencher sur la caution intellectu­elle et la notabilité qu’offre ainsi l’université française aux thèses racialiste­s et antisémite­s des indigénist­es. Il y a la fac de Limoges qui, le 24 novembre dernier, avait programmé la venue de Houria Bouteldja. Il y a le départemen­t de philosophi­e de Toulouse 2. Il y a à Tours le départemen­t d’anglais de l’université François Rabelais, où officie Maboula Soumahoro, qui a publiqueme­nt défendu les camps d’été décoloniau­x interdits aux Blancs et aux Métis (mais ouverts aux femmes blanches voilées….). Et d’autres sans doute, encore sous les radars des lanceurs d’alerte et des médias. •

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 ??  ?? prise au hasard : le lendemain a lieu à Toulouse le procès en appel de Mme Bouteldja pour propos racistes et plus précisémen­t pour racisme antiblanc, suite à l’emploi qu’elle fit lors d’une émission de télé du terme de « souchien ». Création langagière...
prise au hasard : le lendemain a lieu à Toulouse le procès en appel de Mme Bouteldja pour propos racistes et plus précisémen­t pour racisme antiblanc, suite à l’emploi qu’elle fit lors d’une émission de télé du terme de « souchien ». Création langagière...

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