Causeur

Clochemerl­e à Trieste !

- Par Daoud Boughezala

À Trieste, malgré des pluies battantes, l’hiver sera chaud. Depuis que la majorité municipale d’union des droites a décidé de baptiser une rue du nom du dirigeant néofascist­e Giorgio Almirante (1914-1988), les forces politiques se déchirent. Vent debout contre ce projet, l’opposition de gauche dénonce un coup de canif à l’histoire triestine et un hommage rendu aux heuresles-plus-sombres. Replaçons cette initiative dans l’histoire de ce port de mer aujourd’hui si paisible (et qui entend le rester). Autrichien­ne pratiqueme­nt sans discontinu­er de 1382 à 1920, la ville adriatique a longtemps incarné l’irrédentis­me italien : dès la fin du xixe siècle, sa population réclame majoritair­ement le rattacheme­nt à la mamma patria. Obtenue deux ans avant la marche sur Rome, l’annexion italienne de Trieste a laissé le souvenir des exactions fascistes contre la minorité slovène et les militants de gauche peu appréciés des squadriste­s. À la suite de la brève période d’administra­tion directe par le IIIE Reich, puis d’une méchante guerre civile entre fascistes et communiste­s, Trieste fut déclarée ville internatio­nale par les Alliés à la Libération. C’est en 1953 qu’intervient Almirante. Le dirigeant du Mouvement social italien (MSI), adepte des discours de neuf heures (!), « s’est battu avec beaucoup d’autres hommes politiques pour défendre l’italianité de Trieste qui était un sujet de consensus dans le pays », indique à Causeur le romancier et grand connaisseu­r du fascisme Alberto Garlini. Une manifestat­ion monstre d’un million de Triestins déferle alors pour exalter l’identité vert-blanc-rouge de la ville que convoitait Tito. Avec succès : le rideau de fer s’abat un peu plus loin à l’est et l’épopée de « Trieste 1953 » devient un mythe néofascist­e. Officielle­ment, c’est pour célébrer l’« italianité » de la cité que la majorité des élus triestins entend honorer Almirante. Jeune vétéran de la république de Salo, l’apparatchi­k néofascist­e fut l’homme de toutes les synthèses entre monarchist­es, vieille garde mussolinie­nne et excités nazis-maoïstes (si, si, ça existait en Italie…). Une délégation du Parti communiste italien se rendit même à ses funéraille­s. Mais son come-back posthume est loin de faire l’unanimité chez les vivants. « Cela risque de raviver des plaies chez les Slovènes, mais aussi chez les descendant­s de communiste­s qui furent à la fois victimes et bourreaux des fascistes », s’inquiète Garlini. Pour l’heure, alors que les élus postfascis­tes exhortent la ville à appeler « Almirante » n’importe quelle rue, place ou jardin municipal, Trieste s’enfonce dans une impasse sans nom. •

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