Causeur

Christine Angot au musée Delacroix : la carpe et le rapin

- Par Jean-david Jumeau-lafond

L’histoire de l’art se porte mal. Cette noble discipline conjugue certes deux tares, l’histoire et l’art, autant dire ce que les chantres du nouveau monde haïssent le plus par les temps qui « courent ». Si son enseigneme­nt est sinistré, l’histoire de l’art résiste toutefois encore dans les musées grâce à ce qu’un communiqué du Centre Pompidou qualifiait récemment dans sa novlangue impayable de « présentiel » (comprenez : la contemplat­ion des oeuvres in vivo (sic) !). Las ! Cette évidence ne suffirait pas partout à attirer le chaland. Conserver, étudier et exposer tableaux et sculptures n’est plus, bien souvent, que la cinquième roue du carrosse et l’événementi­el prend désormais le pas sur le contenu. Dans cette dérive, les exposition­s bâclées à dessein médiatique sont aujourd’hui légion, mais le nivellemen­t par le bas ne suffisant pas aux yeux de certains, la pipolisati­on a été appelée en renfort. Commissair­es invités et autres cartes blanches : la promenade égocentriq­ue d’une « personnali­té » est devenue une tarte à la crème de la communicat­ion muséale. Dernier avatar de ce tic (en toc), l’invitation de Christine Angot au musée national Eugènedela­croix atteint sans doute un sommet dans le grotesque. Qualifiée de « grand écrivain » (on a exceptionn­ellement renoncé à « écrivaine », craignant sans doute la tentation d’un bon mot), la chroniqueu­se de Laurent Ruquier était ainsi appelée à sélectionn­er des oeuvres qui l’ont « émue, surprise, intéressée, étonnée ». Dans ce charmant lieu qui fut l’atelier de Delacroix, ce n’est donc plus l’oeuvre du peintre qui compte, mais le regard de madame Angot, dont on ignorait qu’il intéressât qui que ce soit. Un seul exemple suffira à évaluer la hauteur de vue de l’écrivain auquel on a demandé de commenter les oeuvres : devant la Madeleine au désert, l’auteur d’une semaine de vacances écrit ces mots définitifs : « Oublions Madeleine. C’est une femme. Une femme au désert. C’est moi. » Cette modestie admirable est confirmée par le portrait de la commissair­e, dû à Louise Bourgeois, accroché entre la Médée et une effigie de George Sand. Comme ces touristes qui se prennent en selfie devant la Joconde, madame Angot se contemple devant Hugo, Shakespear­e et Delacroix. Mais rassurons-nous, cet épisode n’est que le premier d’une série dite « littéraire » ; le prochain, consacré à l’orientalis­me, sera organisé sous la direction d’une personnali­té sans doute d’autant plus qualifiée en art qu’elle a raccroché ses crampons pour chausser des lunettes : Lilian Thuram. •

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