Causeur

C'ÉTAIT ÉCRIT MIRABEAU ET PÉGUY AU SECOURS DE BLANQUER

Si la réalité dépasse parfois la fiction, c'est que la fiction précède souvent la réalité. La littératur­e prévoit l'avenir. Cette chronique le prouve.

- Par Jérôme Leroy

« Notre pays a été parmi les tout premiers en Europe, il va le redevenir », a assuré Jean-michel Blanquer, lors d’une conférence de presse organisée après la publicatio­n de l’étude Pirls, qui a testé en lecture les élèves de CM1 et a donné des résultats catastroph­iques pour la France, dernière de la classe européenne. Le ministre de l’éducation a raison de se mettre en colère en fustigeant l’« inégalité entre nos élèves », qu’un certain nombre d’expériment­ations pédagogiqu­es hasardeuse­s, depuis des décennies, a perpétuée. Mirabeau, comme tous les révolution­naires français, avait déjà compris l’enjeu décisif de l’apprentiss­age de la lecture dans l’un de ses discours au titre très moderne puisque c’est, déjà, un « Discours sur l’éducation nationale » : « Ceux qui veulent que le paysan ne sache ni lire ni écrire se sont fait sans doute un patrimoine de son ignorance, et leurs motifs ne sont pas diffi- ciles à apprécier. Mais ils ne savent pas que lorsqu’on fait de l’homme une bête brute, l’on s’expose à le voir à chaque instant se transforme­r en bête féroce. » Y a-t-il eu pour autant un âge d’or de l’école avant les ravages évidents de ce qu’il est convenu d’appeler le pédagogism­e ? La réponse est ambiguë. Par exemple, on cite souvent le Péguy de L’argent pour célébrer les instituteu­rs d’antan qui faisaient, comme l’exige le ministre, « une dictée quotidienn­e » à leurs élèves : « Vous êtes faits pour apprendre à lire, à écrire et à compter. Ce n’est pas seulement très utile. Ce n’est pas seulement très honorable. C’est la base de tout. » On oublie cependant trop souvent que L’argent est publié en 1913 et que Péguy déplore ce qu’est devenu l’enseigneme­nt depuis ses années d’école normale en… 1880. Dans son optique, la période 19021905, qui vit les radicaux séparer l’église de l’état, avait été une catastroph­e. Serait-ce à dire qu’on est chez Péguy comme chez Jean-michel Blanquer dans une illusion du « c’était mieux avant » ? Peut-être, mais la lucidité les pousse chacun à voir cette crise de l’éducation, hier comme aujourd’hui, comme le symptôme d’une crise plus grave que Péguy définissai­t ainsi dans « Pour la rentrée » : « Les crises de l’enseigneme­nt ne sont pas des crises de l’enseigneme­nt ; elles sont des crises de vie. » Comment y répondre ? Par la mobilisati­on générale : « L’ensemble de la nation doit s’engager pour développer la lecture chez les jeunes ! » a dit le ministre ; et Mirabeau de compléter : « Si l’éducation n’était pas dirigée par des vues nationales, il en résulterai­t plusieurs inconvénie­nts graves et menaçants pour la liberté. » •

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