Causeur

Pourquoi je suis toujours Charlie

- Par Laurent Gayard

Je n’ai jamais vraiment été un grand amateur de Charlie Hebdo. Je jetais bien un coup d’oeil de temps à autre aux cochonceté­s de Vuillemin, Wolinski ou Tignous, mais Charlie Hebdo n’était guère plus pour moi qu’un élément du décor urbain avec ses couverture­s salingues qui vous sautaient parfois à la figure au détour d’une rue ou sur un kiosque à journaux. Le 7 janvier, j’ai découvert que celui-ci comptait d’autant plus pour moi que deux sociopathe­s l’ont troué à grands coups de kalachniko­v pour le repeindre en rouge sang et vert intégriste. Je n’avais peut-être jamais été un grand amateur de Charlie, mais j’appréciais assez peu qu’on vienne en trucider les auteurs au nom d’une susceptibi­lité religieuse à tendance psychotiqu­e. Le #jesuischar­lie lancé quelques heures après la tuerie était certes horripilan­t, injonction pavlovienn­e reprise jusqu’à l’écoeuremen­t par les médias, mais ce n’est pas un hashtag qui a jeté 4 millions de personnes sur les pavés le 11 janvier. Il n’a fait que plaquer immédiatem­ent des mots sur une prise de conscience immédiate, matérialis­ée quatre jours plus tard par la plus grande manifestat­ion de l’histoire de France depuis la Révolution. Je n’ai pas eu à barguigner longtemps pour savoir dans quel camp j’étais ce jour-là, comme je le suis encore aujourd’hui. Les tueurs de Charlie et de l’hyper Cacher ont désigné très clairement leur ennemi : notre civilisati­on, nos moeurs, la manière dont nous admettons les rapports entre hommes et femmes et le grand cas que nous faisons encore (jusqu’à quand ?) du pluralisme des opinions, qu’elles s’expriment sur le papier, dans les crobards, les articles ou les conversati­ons. Charlie existe toujours, malembouch­é, malpoli, énervant, grossier, simpliste, insultant, et il m’est aussi essentiel qu’il continue à exister que le journal dans lequel j’écris en ce moment même, acharné à défendre avec entêtement cette idée étrange que l’on peut, dans ce pays, continuer à penser ce que l’on veut, à le dire et à l’écrire et à en discuter avec qui l’on souhaite. Voilà pourquoi je suis toujours Charlie. Surtout si vous n’êtes pas d’accord. •

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