Causeur

Out of Nigeria

- Par Gil Mihaely

Fin 2017, la police de Louisiane a réalisé un sacré exploit : arrêter le « prince nigérian ». Michael Neu, 67 ans, a conquis de haute lutte ce surnom dont l’a affublé la presse américaine. Ni nigérian ni même afroaméric­ain, cet escroc interpellé après dix-huit mois de traque est le cerveau présumé d’une filière d’« arnaque au prince nigérian ». Un procédé hélas bien connu des internaute­s qui consiste à extorquer des fonds en envoyant ce genre de mails : « Sujet : distributi­on des fonds d’aides humanitair­es, URGENT Je dispose de 15 000 000 (quinze millions) de dollars américains que je souhaite distribuer à des associatio­ns. J’ai besoin de votre aide pour le faire et je suis prêt, si vous êtes d’accord, de vous rémunérer généreusem­ent pour assistance dans ce projet. Cette demande pourrait vous surprendre et je comprends que vous soyez tenté de l’ignorer, mais je vous implore de la considérer comme une action de grâce et la traiter avec sérieux et humilité. » La suite est une histoire déchirante où l’on vous explique pourquoi, contre toute logique, cette personne richissime a tellement besoin de vous qu’elle est prête à vous rétribuer grassement. Dans une autre version, un avocat vous annonce que quelqu’un dont vous n’avez jamais entendu parler vient de mourir et vous lègue tous ses biens. Ces messages se terminent toujours de la même façon : on vous demande de contacter l’envoyeur pour lui rendre un petit service : communique­r vos coordonnée­s bancaires et lui virer une certaine somme d’argent… Au Nigéria, cette escroqueri­e est devenue un quasisport national depuis l’avènement d’internet, au point qu’on l’identifie désormais avec ce pays. En quelques années, des milliards de mails semblables ont fait appel aux ressorts les plus nobles (l’altruisme) et vils (la cupidité) de la nature humaine. Nul besoin de finesse pour aller à la pêche aux dollars à partir d’un cybercafé de Lagos : statistiqu­ement, il y aura toujours assez de gogos pour mordre à l’hameçon même quand l’appât est grossier. Malgré ses moyens modernes, ce larcin ne fait que remettre au goût du jour une arnaque vieille de trois siècles. À l’époque, comme dans un roman d’aventures, un bon samaritain vous racontait qu’une noble et riche personne était prisonnièr­e en Espagne. Ses geôliers ignorant sa véritable identité, votre discrétion était sollicitée afin que le malheureux puisse recouvrer sa liberté et son honneur tout en vous accordant une généreuse récompense. On vous demandait juste une petite avance pour graisser la patte des gardes, trois fois rien par rapport au pactole qui vous tendait les bras… Vidocq mentionne ce grand classique du xviiie siècle dans ses Mémoires publiés en 1828, soit quelques années avant la naissance du net ! Ainsi l’arnaque est-elle devenue une industrie low cost comme les autres. •

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