Causeur

Papa poussette

- Cyril Bennasar

Dans le 11e arrondisse­ment de Paris, un mâle blanc fait de drôles de rencontres en emmenant son fils à la maternelle. Entre les mères asexuées, les islamistes affligés et les papas «dégenrés», les aventures d'un homme d'avant devenu un nouveau père.

Pour de sombres histoires d'égalité hommesfemm­es, je conduis parfois mon fils et la poussette à la crèche. On roule dans les flaques d'eau, on effarouche les pigeons et sur 500 mètres, je réponds à mille questions sur la ville, sur le petit bonhomme vert du feu rouge ou sur le son et lumière du camion poubelle. C'est un petit trajet qui me rend plutôt gai jusqu'au moment où nous croisons du monde, ce qui finit toujours par arriver aux heures de pointe dans le 11e arrondisse­ment de Paris.

Difficile, dans mon quartier à la pointe du progressis­me, de ne pas tomber sur une femme attendrie par notre spectacle de rue sur la paternité maternante et sur l'agonie du patriarcat. Inoffensif derrière ma poussette comme un cabot en muselière, je suis souvent la proie de regards pleins d'empathie et de sourires bienveilla­nts. Il arrive même que l'on m'adresse la parole pour un brin de causette sans plus de manières, sans ambiguïté et sans crainte. Je suis poli et je réponds aux dames, mais je ressors plutôt vexé de ces échanges d'égal à égal pué ri culturelle ment parlant. Moi, modeste bourreau des coeurs et vétéran de la guerre des sexes, moi que l'on a sorti de tant d'histoires insulté, maudit et menacé, et parfois dénoncé, jeté à la rue à toute heure, et en slip par tous les temps, moi que l'on a giflé, griffé, mordu et battu, moi que l'on ne pousse que dans les bras de sa pire ennemie, voilà que l'on m'approche sans précaution­s et sans le moindre égard pour le caractère dangereuse­ment lubrique et dominant de mon genre. Je me demande comment j'ai pu en arriver là quand je quitte la milf1 sans méfiance en repensant à des vidéos de sexe forcé.

Il m'arrive aussi, dans mon territoire gagné par la diversité, de tomber sur des Français venus de pays où les poussettes pour homme ne courent pas les rues et où la domination masculine est plus qu'un concept. Ma paranoïa ne manque jamais de me faire remarquer derrière les capuches et les djellabas qui glandent, ou les passemonta­gnes qui bossent, des regards moqueurs et des sourires narquois. Il ne se passe jamais rien, mais je me fais toujours un film. Je déroule en passant un scénario dans lequel les « racailles » et les « islamistes » me traitent de « pédé ». Comme dans mon histoire je n'ai pas plus de conversati­on que l'inspecteur Harry et que pour faire taire la rumeur, un bon bourre-pif vaut mieux qu'un long discours, un stigmatisé finit KO sur le trottoir. Je reprends ensuite mes esprits, la poussette et le chemin de la crèche en ajustant le bonnet sur les oreilles du petit. Je la ramène moins quand je passe au milieu d'une patrouille de l'opération sentinelle. Je regarde avec envie ces fusils d'assaut qu'ils caressent comme l'espoir de dégommer des islamistes et je pense au Sahel, à son climat et à ses putes torrides, mais à l'instant précis où je les croise, j'ai l'air, entre quatre guerriers, d'une nounou.

Mais ma plus grande crainte reste de croiser un type avec une poussette et un gosse dedans. Je relève alors la tête en signe de dédain et je regarde ailleurs. Sans cette précaution, je pourrais subir l'humiliatio­n de regards complices et de sourires gênants. Je presse le pas pour échapper à toute tentative de dialogue. Certains en sont

friands : « Sympa cette forme de biberon ! C’est quelle marque ? Vous l’avez trouvé où ? » Je préfère ne pas, comme disait l'autre. Dans la rue, quand j'aperçois un mec avec une poche kangourou, je change de trottoir. Dans le bus, je me tiens le plus éloigné possible des trentenair­es à landau, barbus et débraillés, avec leurs têtes de congé paternité. Je ne veux pas être vu en compagnie de ces fiottes castrées, de corvée de chiard parce que madame porte la culotte depuis plus tôt qu'eux le matin pour aller au boulot. Je n'ai rien à faire avec ces papas « dégenrés », désexués et décomplexé­s qui se pavanent, qui caquettent et qui promènent, nourrissen­t et torchent Côme ou Timothée. Moi, ça n'a rien à voir. Je veux bien être gentil mais je ne suis pas un ange.

Arrivé à la crèche, je confie le petit à des créatures taillées pour le job et je ressors libre de reprendre ma route et ma vie d'homme quand le téléphone sonne. C'est sa mère qui vient au rapport : « Ça s’est bien passé avec le petit ? – RAS. Comme d’habitude ! »•

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Affiche du film Ce qui vous attend si vous attendez un enfant, réalisé par Kirk Jones, 2012. 1. Mother I'd like to fuck.

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