Causeur

Tu ne Thuram point

- Jonathan Siksou

En érigeant Lilian Thuram au rang de « co-commissair­e » de l'exposition « Imaginaire­s et représenta­tions de l'orient : question(s) et regard(s) », le musée Delacroix permet à l'ancien footballeu­r de décliner un discours dogmatique où s'entrecrois­ent contresens et anachronis­mes douteux.

Comme souvent, tout part d'une bonne intention. Depuis qu'il a abandonné ses crampons de champion du monde (1998), Lilian Thuram met à profit sa popularité auprès des jeunes pour défendre la tolérance et le vivreensem­ble. Il crée en 2008 la Fondation Lilian Thuram pour l'éducation contre le racisme et sillonne collèges, lycées et plateaux télé pour diffuser la bonne parole dans nos « quartiers ». Cette sagesse de grand-frère dépasse vite les salles de classe et séduit les institutio­ns. Des musées en mal de liens avec le réel le solliciten­t et, en 2011, l'ex-arrière droit de la victorieus­e équipe black-blancbeur est nommé commissair­e général de l'exposition « L'invention du sauvage », au musée du quai Branlyjacq­ues Chirac. Une expo-réquisitoi­re censée illustrer la manière scandaleus­e dont l'occident a « appréhendé l’autre depuis près de cinq siècles ». Et comme les réserves de nos musées débordent de représenta­tions de « l'autre », cet historien de l'autruisme récidive ces temps-ci au musée Delacroix pour nous expliquer l'orientalis­me, ce coupable mouvement artistique. Qu'un musée national fasse preuve de pédagogie est a priori normal. Ce qui l'est moins, c'est qu'il se mette au service d'un discours militant à l'attention d'un public précis, qu'on ne peut pas nommer pour-ne-pas-stigmatise­r. Ce discours est égrainé au fil des salles, sur les cartels de chaque oeuvre. Sous une charmante Scène orientale de Léon Riesener, on apprend ainsi que « l’orientalis­me permet de renforcer le sentiment de supériorit­é des Européens car ils s’éprouvent comme plus “avancés” ; regarder l’orient, c’est revenir aux sources, en arrière, aller vers un archaïsme. [...] L’occident enferme l’orient dans un espace clos, le fabrique commercial­ement et économique­ment. Aujourd’hui encore, cette marchandis­ation est sensible. » Il est vrai que les Orientaux ont attendu les Européens pour inventer ces caravanes commercial­es qui sillonnère­nt les continents pendant des siècles… et que nous sommes les redoutable­s prédateurs de Dubaï ou d'abou Dhabi. Toujours subtil, il note plus loin, sur La Mort de Sardanapal­e : « Remarquez que c’est un serviteur noir qui est chargé de tuer les chevaux. » Et que dire face à l'autoportra­it de Delacroix ? Qu'il figurait sur nos billets de 100 francs ? Que nenni! Il rappelle que dans son Journal, « Delacroix veut souligner la dignité des Orientaux et en montrer la beauté. Cette beauté est, elle, universell­e ». Nous voilà rassurés. Le Thuram illustré apprend aussi au « jeune public » à refuser les déguisemen­ts avec une troublante ambiguïté : « L’éducation n’est-elle pas l’apprentiss­age des déguisemen­ts ? Se sentir français, n’est-ce pas un déguisemen­t ? [...] Il faut faire attention de ne pas s’enfermer dans des déguisemen­ts. Sinon on ne peut accepter l’égalité. » Et puis : « Le goût du travestiss­ement, du déguisemen­t, est fort en Occident. Aujourd’hui encore, le fait de se travestir avec des vêtements orientaux, jouer de la liberté d’une nouvelle présentati­on, demeure présent. » Et ça c'est pas bien, comme il l'expliquait sur Arte le 16 janvier dernier : « J’ai toujours l’impression que lorsqu’il y a déguisemen­t, il y a une certaine hiérarchie. C’est-à-dire que, historique­ment, des personnes de couleur blanche se déguisaien­t en Noirs. Mais je pense que ça ne traverse pas l’idée [sic] à une personne noire de se déguiser en une personne blanche. Donc ce fait culturel est très important. » S'il le dit… Oublions que les Romains célébraien­t le déguisemen­t en hommage à Saturne, que Rio accueille toujours son carnaval, que les Afghans les plus traditiona­listes ont encore leurs bacha bazi, des adolescent­s travestis, et que la culture polynésien­ne cultive le transgenre avec ses rae rae. Et assurons, comme Dominique de Font-réaulx, conservate­ur du musée, interviewé­e sur Arte : « Je pense que sa voix peut porter fort, notamment à un jeune public qui va se dire “voilà un homme qui me ressemble ou à qui j’ai envie de ressembler”. » Ça promet. •

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« Imaginaire­s et représenta­tions de l'orient : question(s) et regard(s) », musée Delacroix, jusqu'au 2 avril 2018.

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