Causeur

Zimbabwe : les larmes du crocodile

- Ana Pouvreau

Dans une interview exclusive au Financial Times, Mnangagwa se déclare en faveur d'un rapprochem­ent avec le Royaume-uni.

En presque quarante ans de règne sans partage, Robert Mugabe a ruiné l'exsuisse de l'afrique. Issu de la même caste dirigeante, son successeur Mnangagwa Emmerson, alias «le Crocodile», essaie de donner des gages à une communauté internatio­nale sur le point de lui signer un chèque en blanc. Cette mansuétude encourager­a peut-être le Parlement sud-africain à voter une loi d'expropriat­ion des fermiers blancs sur le modèle zimbabwéen.

À93 ans, dont 37 au pouvoir, Robert Mugabe était, au moment de son départ forcé le 21 novembre dernier, le chef d'état le plus âgé de la planète. Il comptait alors transférer le pouvoir à son épouse de quarante et un ans sa cadette, Grace Mugabe, issue de la même tribu que lui, les Zezuru. Mais le viceprésid­ent (2014-2017), Emmerson Mnangagwa, 75 ans, issu de la tribu des Karanga, ne l'entendait pas ainsi1. Mugabe a finalement dû laisser la place à son ancien homme de main des services de renseignem­ent et des forces de sécurité soutenu par l'armée. Dans les années 1960, Mnangagwa a été formé aux techniques de renseignem­ent et de combat par la Chine, puissance avec laquelle le Zimbabwe entretient d'excellente­s relations. Réputé impitoyabl­e avec ses ennemis et surnommé « le Crocodile » (dans ce pays où ces monstres des marais et rivières, qui pullulent, sont une réelle menace pour les humains), il est notamment considéré comme responsabl­e du génocide perpétré entre 1983 et 1987 par la division de Gukurahund­i, entraînée par les Nord-coréens, qui fit près de 20 000 victimes au sein de l'ethnie ndébélé, dans le Matabéléla­nd, une région située à l'ouest du pays. Durant près de quatre décennies, le parti de Mugabe, la ZANU-PF (l'union nationale africaine du Zimbabwefr­ont patriotiqu­e), a saboté l'économie du pays, qui était pourtant l'une des plus stables de la région au début des années 1980, ce qui lui valait d'ailleurs d'être surnommée « la Suisse de l’afrique ». Par sa gestion désastreus­e, le parti a porté la corruption et le pillage des ressources par les nouvelles élites noires à des niveaux record – même pour le continent africain – et fait exploser l'endettemen­t : de 9,4 milliards de dollars en 2017, il devrait selon le FMI atteindre 10 milliards en 20182. Le pays compte aujourd'hui quelque 17 millions d'habitants, en majorité des Noirs issus des ethnies shona (majoritair­e à 70 %, c'est l'ethnie de Mugabe et de Mnangagwa) et ndébélé. Ravagé par la pandémie de sida, qui touche au moins 10 % de la population selon les statistiqu­es officielle­s3, le Zimbabwe a longtemps enregistré un taux de croissance de la population proche de zéro4. L'espérance de vie n'y dépasse pas 58 ans. Jusqu'en 1986, une petite minorité de Blancs (140 000 descendant­s de colons britanniqu­es, afrikaners et portugais pour la plupart) détenaient les leviers de l'économie, majoritair­ement agricole, du pays. La réforme agraire imposée avec une main de fer à partir des années 2000 par Mugabe, selon une doxa d'inspiratio­n marxistelé­niniste-maoïste, et consistant à expulser les Blancs et à leur prendre de force leurs terres et leurs biens, a fait chuter ce chiffre à moins de 30 000. La saisie des fermes, suivie d'une gestion calamiteus­e, eut pour résultat un effondreme­nt de la production agricole sans précédent conduisant le pays, précédemme­nt considéré comme « le grenier de l’afrique », au bord de la famine. En attendant les prochaines élections présidenti­elles prévues avant le mois d'août 2018, Mnangagwa, également premier secrétaire de la ZANU-PF, a placé nombre de ses affidés, issus pour la plupart de la haute hiérarchie militaire, à la tête des ministères clés – dont celui de l'agricultur­e – afin de s'assurer que la transition politique et économique sera entièremen­t sous son contrôle. Actuelleme­nt, l'opposition se trouve en plein désarroi. Elle est endeuillée par la mort le 14 février 2018 de Morgan Tsvangirai, 65 ans, président du principal parti d'opposition, le Mouvement pour le changement démocratiq­ue (MDC). Elle l'était déjà par la disparitio­n, le 18 janvier 2018, dans un accident d'hélicoptèr­e aux États-unis, de Roy Bennett, 60 ans, un fermier blanc qui était l'un des plus féroces opposants à Mugabe au sein du MDC. L'incertitud­e plane donc quant aux possibles successeur­s à la tête du parti. Dans une interview exclusive au Financial Times, le 18 janvier, le nouvel homme fort du pays tente pourtant de donner des gages à la communauté internatio­nale. Il se déclare en faveur d'un rapprochem­ent avec →

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