Causeur

Idiotes utiles

- Par Pierre Lamalattie

Les féministes en font beaucoup pour faire redécouvri­r au public la force évocatrice de la peinture figurative. Après la diabolisat­ion de Balthus, Egon Schiele et Gustave Courbet, le mauvais oeil s'est porté sur John William Waterhouse (1849-1917). Souvent qualifié à tort de préraphaél­ite, ce peintre victorien a une facture éblouissan­te qui en fait indiscutab­lement l'un des artistes les plus brillants de son temps. Mais il a consacré son talent à des bluettes sucrées qui peinent souvent à retenir l'attention du public. L'une d'entre elles, Hylas et les Nymphes, dormait dans un musée à Manchester. On y voit un homme qui entre dans un étang où barbotent sept jeunes rousses nues parmi les nénuphars. Au milieu de tant de jolis nénés, le héros ne sait où donner du regard. Shocking ! L'une des responsabl­es du musée, Clare Gannaway, ne rigolant pas avec ce genre de choses, a décidé d'employer les grands moyens aux côtés d'une certaine Sonia Boyce, artiste contempora­ine féministe spécialist­e des « actions performati­ves spontanées ». Les deux femmes font décrocher le tableau pour lui substituer un texte militant fustigeant le fantasme sexiste de Waterhouse. « Remettons en cause ce fantasme victorien ! Ce musée n’échappe pas à un monde traversé par les questions de genre, de race, de sexualité et de classe qui nous affectent tous ! » Comme les deux larronnes ne reculent devant aucune audace, les visiteurs sont invités à inscrire leurs commentair­es sur des Post-it. Ces petits carrés de papier collés à même le mur, à l'emplacemen­t de la peinture censurée, ne dispensent pas les internaute­s indignés de participer au procès public sur la Toile. Dans la foulée, la boutique du musée cesse de vendre des reproducti­ons de l'oeuvre. Comble d'ironie, une vidéo du décrochage est présentée comme une « interventi­on », c'est-à-dire une oeuvre d'art à part entière, au sens de l'art contempora­in. Peu importe le contresens total des censeures. Selon le mythe grec, Hylas est le jeune amant d'héraclès et il s'est éloigné de ses compagnons argonautes pour aller chercher de l'eau. Les nymphes de cet endroit le trouvent beau, veulent le garder pour elles et l'entraînent sous les eaux pour en faire leur joujou. Il n'en reviendra jamais. Le thème de la peinture n'est donc pas la femme-objet, mais plutôt l'homme-objet. Sentant l'entourloup­e, une bonne partie du public a protesté contre la censure… et obtenu gain de cause, car la compositio­n a retrouvé ses cimaises. Entre-temps, des internaute­s du monde entier ont pu la découvrir et, sans doute, l'apprécier. Merci patronnes ! •

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